Le Joueur D'échec
Mémoire : Le Joueur D'échec. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 14 Octobre 2012 • 2 240 Mots (9 Pages) • 3 467 Vues
Stefan Zweig allie l’art du suspense à celui de la compréhension des gens, de l’expression de notre inconscient à notre manière de réagir pour aller jusqu’aux extrémités du possible. Ses romans sont très travaillés pour montrer l’acmé du terrible comme du magnifique. Stefan Zweig reste hors du temps et des modes par sa force d’écriture, la beauté de son style raffiné, la compréhension des méandres de nos pensées et de nos actes comme dans Le joueur d’échecs. Il faut savoir que Stefan Zweig, lorsqu’il a écrit ce livre, avait fui au Brésil, sous l’emprise de la dictature nazie et que ce livre est le dernier du romancier comme un point d’orgue à son œuvre. Cinq mois plus tard il se donnait la mort après avoir vu sombrer son pays dans la barbarie. Il savait que la Gestapo torturait ou utilisait des méthodes douces comme voler les âmes. La folie, peut être une manière d’essayer de conserver son intégrité psychique au risque de détruire le corps ou d’anéantir l’esprit.
Le joueur d’échecs est un huit-clos où l’homme est enfermé dans une prison sans échappatoire. On peut analyser comment l’homme se comporte socialement, comment on peut lui inculquer une autre pensée que la sienne, le rendre fou par la répétition des sévices et des questions lors des interrogatoires brutaux et vicieux, par la solitude sans aucun contact vraiment humain. Il peut alors se tuer lui-même inconsciemment. C’est la vie de ce joueur d’échecs qui reflète bien l’état d’esprit de Stefan Zweig réfugié dans un pays qui l’héberge tandis que beaucoup de ses concitoyens meurent torturés, déportés. Il comprend le gouffre dans lequel tout espoir peut être anéanti.
Stefan Zweig commence le récit par la fin de l’histoire, en nous montrant deux champions d’échecs qui s’affrontent dans un tournoi international et un spectateur qui a l’air de savoir mieux jouer qu’eux, ce qui paraît presque irréel. Nous faisons ensuite marche arrière pour comprendre pourquoi ce joueur refuse de jouer, finit par accepter une partie avec le champion du monde, gagne, hésite à jouer la deuxième, la commence en gagnant puis laisse tout tomber pour sauvegarder son intégrité psychique. Stefan Zweig peut alors nous raconter la vie de ce joueur exceptionnel qui ne joue plus pour ne pas devenir fou.
Stefan Zweig fait une analyse très fine des qualités que doit posséder tout joueur de haute qualité ; « La patience, l’idée subite et la technique s’y joignent dans une certaine proportion très précise à une vue pénétrante des choses, pour faire des trouvailles comme on en fait dans les mathématiques, la poésie ou la musique (…). » (p. 689) Les joueurs sont décrits avec leur avidité du gain et leur soif de gagner : « Un pli profond se creusait de sa bouche à son menton tendu en avant, l’air agressif. Dans ses yeux, je reconnus avec inquiétude cette flamme de folle passion (…). À cet instant je fus certain que cet amour-propre forcené allait lui coûter toute sa fortune (…). » (p. 695) Apparaît alors le personnage principal, « un homme d’environ quarante-cinq ans » (p. 696) qui se permet de donner des conseils judicieux au perdant, ce qui paraît presque incroyable : « La précision autant que la rapidité de ses calculs étaient déconcertantes (…). » (p. 697) Stefan Zweig a l’art de faire monter le suspense : « Comment cet inconnu avait-il eu le pouvoir de faire perdre à moitié une partie à un champion du monde ? » (p. 699) L’inconnu refuse tout d’abord de jouer à son tour une partie et sa raison excite encore plus notre curiosité : « il y a vingt ou vingt-cinq ans que je n’ai pas vu d’échiquier… » (p. 700) Il accepte alors de confier son passé à celui qui insiste pour qu’il joue.
Stefan Zweig raconte la vie de cette personne en Autriche et celle-ci a bien des points communs avec la sienne. Nous voyons la montée du nazisme. Stefan Zweig décortique le long cheminement de cet homme enfermé en tant que prisonnier de luxe en vue de le faire parler. Il est dans un hôtel : « Une chambre particulière dans un hôtel – peut-on rêver traitement plus humain, n’est-ce pas ? (…) Car la pression qu’on voulait exercer sur nous pour nous arracher les renseignements recherchés était d’une espèce plus subtile que celle des coups de bâton et des tortures corporelles : c’était l’isolement le plus raffiné (…). On ne nous faisait rien – on nous laissait en face du néant, car il est notoire qu’aucune chose au monde n’oppresse davantage l’âme humaine. En créant autour de chacun de nous un vide complet, (…) on usait d’un moyen de pression qui devait nous desserrer les lèvres, de l’intérieur, (…). » (p. 706)
Les interrogatoires se succèdent et sont épuisants. Il n’y a aucune échappatoire : « la porte demeurait verrouillée nuit et jour, il m’était interdit d’avoir un livre, un journal, du papier ou un crayon. Et la fenêtre ouvrait sur un mur coupe-feu. Autour de moi, c’était le néant, j’y étais tout entier plongé. » (p. 706) En plus de l’impossibilité du contact, du vide fait autour de lui, il ne rencontre aucun visage aimant : « Je ne voyais jamais aucune figure humaine (…). Jour et nuit, les yeux, les oreilles, tous les sens ne trouvaient pas le moindre aliment, on restait seul, désespérément seul en face de soi-même, (…). » (p. 707)
Le vide de tout est angoissant et empêche le cerveau de penser. On perd peu à peu la notion du concret et les seuls moments où l’homme en sortait, c’était pour les interrogatoires. « Il n’arrivait rien. » (p. 707) Ainsi peu à peu l’homme perd ses forces : « Personne ne dira jamais comment vous ronge et vous détruit ce vide inexorable, (…). À de petits signes inquiétants, je connus que mon cerveau se détraquait. » (p. 710) C’est alors qu’en attendant debout avant un interrogatoire, il voit « quelque chose qui gonflait sur le côté la poche de l’un des manteaux. » (p. 712) L’homme a soif de cet objet, un livre vraisemblablement, dans le pardessus d’un allemand au porte-manteau du vestiaire. Il va attendre, le bon moment, s’adosser légèrement au mur, faire glisser subrepticement l’objet dans son pantalon : « mes oreilles se mirent à bourdonner, le cœur me battit, mes mains glacées ne m’obéirent plus. » (p. 713)
Il y a après la prise de conscience de la folie du geste, l’angoisse de l’interrogatoire, l’espoir qu’on ne voit pas son vol ; il marche normalement jusqu’à sa cellule ; il attend d’être dans son isolement complet pour regarder ce qu’il a pris : « Mais quel instant inoubliable que celui où je me retrouvai dans mon enfer, enfin seul, et cependant
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