Marivaux, Les Fausses Confidences, 1737
Commentaire de texte : Marivaux, Les Fausses Confidences, 1737. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar celgyt • 25 Avril 2023 • Commentaire de texte • 2 073 Mots (9 Pages) • 242 Vues
Objet d’étude : Le théâtre du XVIIème au XXIème siècle.
Etude d’une œuvre intégrale :
Marivaux, Les Fausses Confidences, 1737.
Parcours associé : Théâtre et stratagème.
Séance 10 : Lecture linéaire du texte 2
🡪 Texte 2 : La première « fausse confidence »
Eléments d’introduction :
- Les Fausses Confidences est une comédie écrite en prose qui se compose de 3 actes. C’est une pièce qui a été jouée pour la 1ère fois en 1737, par des comédiens italiens. C’est la 25ème pièce de Marivaux : le dramaturge y reprend ses thèmes de prédilection : la naissance de l’amour/ les stratagèmes amoureux/ l’aveu/ la résistance au sentiment amoureux/ l’aveu.
- L’intrigue montre les étapes d’un plan savamment organisé par le valet Dubois pour permettre à son ancien maître Dorante, jeune homme de bonne famille mais sans argent, de faire la conquête de la riche veuve Araminte.
- Pour y parvenir, le valet entreprend d’éveiller chez Araminte le sentiment amoureux à l’égard de Dorante. Dans la scène 14 de l’acte I, qui constitue un moment clé de la pièce en ce qu’elle met en œuvre la première fausse confidence, Dubois feint de transgresser le secret de l’amour fou qui agite son maître. Il emploie tous ses talents de manipulateur pour montrer à Araminte qu’elle est le sujet d’une fascination extraordinaire. Le but de ce stratagème est de susciter chez la jeune femme des pensées dont elle ne pourra se défaire.
- Dubois se révèle ainsi être le maître des fausses confidences. Il se lance avec une certaine virtuosité dans un récit inventé et improvisé de cet amour secret. Cette parole mensongère sert cependant une cause sincère.
- Son objectif, faire qu’Araminte soit flattée des sentiments amoureux de Dorante afin qu’elle tombe elle aussi amoureuse.
- Dubois est dans son rôle de manipulateur, le valet entreprends un stratagème.
- C’est la première fois où on assiste à Dubois qui manipule les autres personnages.
Problématiques :
- En quoi l’art de la parole permet-il à Dubois de mettre en scène le stratagème ?
- Comment Dubois manipule-t-il le langage pour prendre Araminte aux pièges de l’amour ?
- Quelles manigances Dubois met-il en œuvre pour prendre Araminte aux pièges de l’amour ?
Mouvements :
Mouvement 1 : De la ligne 1 « Il vous adore » à la ligne 15 « bien son tort ».
Un entremetteur habile
Mouvement 2 : De la ligne 16 « Cela est fâcheux » à la ligne 28 « à un point !».
Intitulé : Le récit d’un coup de foudre amoureux
1er mouvement : De la ligne 1 « Il vous adore » à la ligne 15 « bien son tort » : Un entremetteur habile.
- La confidence d’un amour passionnel
- Le mouvement s’ouvre sur la confidence d’un amour passionnel.
- En fin connaisseur de l’âme humaine, Dubois flatte la passion que provoque Araminte auprès de Dorante : « Il vous adore » l.1.
- Il emploie le champ lexical de l’adoration « adore », « contempler », « l’air enchanté », « extasié » pour décrire et appuyer l’intensité du sentiment amoureux.
- Il dépeint une passion démesurée et dévastatrice :
- « il y a six mois » met en avant un sentiment amoureux qui perdure dans le temps
- Les hyperboles l.6 « il y a six mois qu’il ne vit point, qu’il donnerait sa vie » ; « Vous ne croiriez pas jusqu’où va sa démence ; elle le ruine, elle lui coupe la gorge » présente Dorante comme un personnage aliéné qui a perdu la raison.
- L’énumération « Il est bien fait, d’une figure passable, bien élevé et de bonne famille » l.7, permet de faire l’éloge de Dorante.
- L’euphémisme « d’une figure passable » montre la beauté physique de Dorante. L’objectif de la parole ici est programmatif, il programme Araminte à être séduite par Dorante, son langage, ses paroles ont pour objectif de la manipuler afin qu’elle soit à son tour séduite.
- Les termes d’intensités « bien », « bonne » soulignent les qualités de Dorante.
- Piquée par la curiosité, Araminte demande « de quoi s’avise-t-il ? » pour savoir jusqu’où peut aller une passion si virulente. Son intérêt est éveillé.
- Une parole suggestive qui éveille la jalousie
- Après avoir évoqué l’amour de Dorante, il tente de susciter l’intérêt d’Araminte en éveillant sa jalousie :
- Il fait allusions à des prétendantes fictives qui courtisent Dorante. L’utilisation du pluriel rend presque hyperbolique le succès que rencontre le jeune homme auprès d’autres femmes. Elles apparaissent ainsi à Araminte comme des potentielles rivales : l. 8 et 9 « il n’a tenu qu’à lui d’épouser des femmes qui l’étaient (c’est-à-dire « riches »), et de fort aimables ».
- Pour accentuer ce faux-semblant, Dubois insiste sur l’une d’elle « une grande brune très piquante » dont Dorante refuse les avances.
- Les femmes évoquées restent anonymes. Cet élément pourrait trahir le jeu de Dubois. Cependant il parvient à donner du crédit à son propos en affirmant « Je le sais, car je l’ai rencontrée. »
- Bien qu’elle feigne de jouer l’indifférente comme nous l’indique la didascalie « avec négligence », Araminte semble réaliser qu’elle pourrait être doublée par une autre soupirante. L’adverbe « Actuellement » dévoile l’intérêt qu’elle porte à ce que lui relate Dubois (de même que l’adjectif « fâcheux » peut exprimer une forme de contrariété).
- Dubois perçoit la réussite de sa ruse et s’emploie à la poursuivre jusqu’à son terme quand il reprend « Oui, Madame, actuellement ».
- Portrait d’un honnête homme
- Bien que Dorante soit « bien fait, d’une figure passable, bien élevé et d’une bonne famille » (l’énumération révèle sa beauté physique), il n’a pas une position avantageuse pour prétendre à une union avec Araminte. Lui « n’est pas riche » contrairement à elle.
- Pour outrepasser cet obstacle, Dubois vante ses qualités morales :
- En rapportant à Araminte que Dorante est convoité par des femmes « qui offraient de lui faire sa fortune », il révèle le caractère désintéressé de son maître qui les éconduit. (« il fuit » ; « Monsieur refuse tout »)
- Pour mettre en évidence la fidélité et la sincérité de Dorante, Dubois justifie les refus face aux demandes en mariage par un pseudo aveu d’amour :
- Il donne l’illusion de transgresser un secret confié par Dorante lui-même en rapportant au discours direct des paroles inventées : « Je les tromperais, me disait-il; je ne puis les aimer, mon cœur est parti ».
- Par ce procédé, s’opère une mise en abyme. La probité de Dorante touche Araminte par l’intermédiaire de Dubois qui lui prête sa voix.
- Si Dubois construit une image positive de celui qu’il sert, il en appelle aux émotions d’Araminte pour la persuader de le garder à son service. Plus tôt dans la scène, elle exprimait le désir de renvoyer Dorante en raison de l’attachement qu’il éprouve pour elle. Cependant, en entendant le portrait de celui qui a « quelquefois la larme à l’œil », elle ne peut qu’être attendrit devant ce personnage soucieux d’avoir un comportement honnête et remet en cause sa décision.
- 2e Mouvement : « Mais, où m’a-t-il vue » à « Tu m’étonnes à un point ! »
Le récit d’un coup de foudre amoureux
- Le deuxième mouvement s’ouvre sur une question d’Araminte désireuse d’apprendre ce qui a donné naissance à cette passion l.16 : « Mais, où m’a-t-il vue, avant que de venir chez moi [..] ? ».
- Une parole romanesque
- La forte utilisation de la première personne du singulier indique qu’il a participé activement aux évènements qu’il raconte. Il se présente donc comme un témoin privilégié de l’amour naissant qu’il s’apprête à décrire.
- Dubois lui répond et lignes 17 à 20, il déploie tous ses talents d’orateur et de conteur pour livrer le récit de la naissance de l’amour de Dorante pour Araminte :
- Il emploie les caractéristiques du récit romanesque avec l’utilisation des temps du passé (passé simple et imparfait) : « ce fut un jour que vous sortîtes de l’Opéra» ; l.17 ; «il vous vit descendre l’escalier» l.18 ; «il ne remuait plus» ;
- Il suit les étapes du schéma narratif :
- Le portrait de Dorante « bien fait, d’une figure passable, bien élevé et d’une bonne famille » constituait la situation initiale ;
- L’élément perturbateur est le coup de foudre de Dorante pour Araminte « Il vous vit descendre de l’escalier ». (motif fréquent du genre romanesque)
- Les péripéties sont les mésaventures que connaissent maître et valet à cause de l’obsession amoureuse de Dorante
- Des filatures : l.19 « [..] il vous suivit jusqu’à votre carrosse » « dès le lendemain, nous ne fîmes plus que tous les deux, lui, que rêver à vous, […] moi d’épier depuis le matin jusqu’au soir où vous alliez. »
- La situation finale coïncide avec l’action dramatique : « Tout avait été expédié », l.26
- Dubois redouble de précisions pour rendre réaliste son récit :
- Il emploie de nombreuses indications spatio-temporelles « vous sortîtes de l’Opéra » ; « dès le lendemain » ; « aux Tuileries » ; « c’était un vendredi » ; « deux jours après » ; « c’était dans l’hiver ».
- Araminte répond « Quelle aventure ! » l.21 ; puis « Tu m’étonnes à un point ! », l.28, ce qui montre bien l’importance qu’elle accorde au récit de Dubois.
- La folie amoureuse de Dorante
- Dubois compose un tableau presque clinique de la folie amoureuse de Dorante :
- Il perdit la raison précise Dubois l.22 : «J'eus beau lui crier : Monsieur ! Point de nouvelles, il n'y avait personne au logis. À la fin, pourtant, il revint à lui avec un air égaré ». Dorante semble comme totalement dépossédé de lui-même
- Ici, il y a une énumération de tout ce qu’il a perdu de lui-même à cause de son coup de foudre « ce bon sens, cet esprit jovial, cette humeur charmante »l.25. Mais on observe là tout le talent oratoire et stratégique de Dubois. L’éloge de Dorante. On observe ici tout le talent oratoire de Dubois.
- Quand il précise l.26 « Dès le lendemain nous ne fîmes plus tous deux, lui, que rêver à vous, que vous aimer », il souligne que la passion amoureuse de Dubois l’a détourné de toutes ses facultés, notamment celle d’agir.
- Le tableau de la folie amoureuse de Dorante est contrebalancé par des éléments flatteurs envers le jeune homme qui permettent de rassurer Araminte face à l’ardeur des sentiments du jeune homme :
- La concession dans la phrase « Ce bon sens, cet esprit jovial, cette humeur charmante ; vous avez tout expédié » l.25-26 montre que c’est parce que Dorante est un homme sans travers que sa passion démesurée pour Araminte prend une certaine importance.
- Dubois joue donc sur deux tableaux. Son caractère manipulateur s’est révèlé cependant en observant certaine faille de son discours :
- « c’était un Vendredi, je m’en ressouviens ; oui, un Vendredi » l.18
- Le spectateur a pu percevoir toutes les ficelles de la manipulation de Dubois. Les expressions citées montrent qu’il improvise. Les informations qu’ils dévoilent doivent rester assez vagues pour qu’elles ne soient pas vérifiables.
- Les multiples péripéties évoquées prennent des airs de « Comédie ». Dubois ironise en soulignant le caractère rocambolesque des évènements inventés.
Conclusion :
Dans la scène 14 de l’acte I, Dubois informe Araminte de l’amour que lui porte Dorante. La manière dont il formule sa confidence lui permet de diriger les sentiments d’Araminte. Par un habile jeu de langage, il s’appuie sur les ressorts de la jalousie pour éveiller l’intérêt de la jeune femme. Il déploie aussi ses qualités de conteur pour dépeindre la ferveur du sentiment amoureux de son maître face auquel Araminte ne peut être qu’ému. Enfin, le portrait pathétique de la folie amoureuse de Dorante permet de finir de l’apitoyer. Sa parole est redoutablement efficace car la scène se poursuit sur le dilemme d’Araminte qui finalement, renonce à se séparer de Dorante comme elle l’avait évoqué plus tôt dans la scène et feint d’avoir besoin de ses services.
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