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La Peau de chagrin, acceptation du pacte (notes)

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Par   •  23 Mai 2023  •  Commentaire de texte  •  2 789 Mots (12 Pages)  •  462 Vues

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Balzac, La Peau de chagrin, « Le Talisman » : Le pacte

– J’avais résolu[1] ma vie[2] par l’étude et par la pensée[3] ; mais elles ne m’ont même pas nourri[4], répliqua l’inconnu. Je ne veux[5] être la dupe ni d’une[6] prédication digne de Swedenborg[7], ni de votre6 amulette[8] oriental[9], ni des6 charitables efforts que vous faites, monsieur, pour me retenir dans un monde où mon existence est désormais impossible. Voyons[10] ! ajouta-t-il en serrant le talisman[11] d’une main convulsive[12] et regardant le vieillard. Je veux5 un dîner royalement splendide[13], quelque bacchanale13 digne du siècle où tout s’est, dit-on[14], perfectionné ! Que mes convives[15] soient[16] jeunes, spirituels et sans préjugés, joyeux jusqu’à la folie ! Que les vins se succèdent16 toujours plus[17] incisifs, plus17 pétillants, et soient16 de force à nous enivrer pour trois jours[18] ! Que la nuit soit16 parée de femmes ardentes[19] ! Je veux que la Débauche en délire et rugissante nous emporte16 dans son char à quatre chevaux[20], par-delà les bornes du monde, pour nous verser sur des plages inconnues[21] : que les âmes montent16 dans les cieux ou se plongent16 dans la boue19, je ne sais si alors elles s’élèvent ou s’abaissent[22] ; peu m’importe ! Donc je commande5 à ce pouvoir sinistre19 de me fondre toutes les joies dans une joie. Oui, j’ai besoin d’embrasser les plaisirs du ciel et de la terre22 dans une dernière étreinte pour en mourir[23]. Aussi souhaité-je et des priapées antiques[24] après boire, et des chants à réveiller les morts, et de triples baisers, des baisers sans fin dont le bruit passe sur Paris comme un craquement d’incendie19, y réveille les époux et leur inspire une ardeur cuisante19 qui rajeunisse même les septuagénaires !

Un éclat de rire[25], parti de la bouche du petit vieillard, retentit dans les oreilles du jeune fou comme un bruissement de l’enfer19, et l’interdit si despotiquement qu’il se tut[26].


[1]        J’avais résolu : indicatif plus-que-parfait, temps du « passé du passé », qui sert ici à indiquer un passé définitivement révolu.

        Chronologie : J’avais résolu (indicatif p.-q.-p., le passé du passé) → elles ne m’ont […] pas nourri (indicatif passé composé, donc passé plus proche) → mon existence est désormais impossible (indicatif présent).

        Le thème du suicide et de la mort, présent depuis le début du roman, apparaît dès le début de cet extrait, qui se concluera par la damnation de Raphaël (voir le rire diabolique du vieillard lorsque le protagoniste aura accepté le pacte avec la peau).

        On peut dire que Raphaël, un jeune homme mal dans sa peau, va en quelque sorte changer de peau, en acceptant celle que lui propose le vieillard, pour finalement y laisser sa peau (selon l’expression familière)

[2]        Ma vie : premier nom commun de l’extrait, plutôt surprenant dans un texte qui présente un personnage avec des pensées suicidaires (songerait-il à la possibilité de prolonger sa vie malgré le fait que tout espoir semble évanoui?) ; le choix entre prolonger la vie ou mourir immédiatement est un thème central de ce passage et du roman.

[3]        Par l’étude et par la pensée : en français, il n’est pas nécessaire de répéter la préposition « par ». L’anaphore sert ici à insister sur chacun des deux éléments, comme s’ils étaient dissociés. L’affirmation de Raphaël n’est pas entièrement vraie, comme nous le voyons dans la 2e partie du roman, « La Femme sans cœur », où nous voyons que ce que Raphaël a poursuivi (et qui a épuisé son énergie vitale), c’est sa passion amoureuse pour Fœdora, qui ne l’aimait pas en retour, mais se servait de lui ; en effet, l’oncle de Raphaël avait suffisamment de relation pour faire reconnaître en France le mariage de Fœdora avec un comte russe.

        Nous voyons en outre une oppositions entre les aspirations du jeune homme (d’ordre intellectuel) et les exigences « bassement matérielles » de son corps. La même opposition se retrouve chez Baudelaire, notamment dans son poème « La Muse vénale ».

[4]        Elles ne m’ont même pas nourri : opposition entre la richesse intérieure de Raphaël et sa pauvreté matérielle. Nous voyons une personnification de ses idéaux (l’étude et la pensée) qui, tels des parents, auraient dû nourrir leur enfant. Nous pouvons également voir en elles des êtres ingrats qui, bien que Raphaël leur ait consacré toute sa vie, n’ont même pas subvenu à ses besoins fondamentaux en retour.

[5]        Je ne veux … je veux… je commande : affirmation de la volonté du protagoniste (encore appelé « l’inconnu » à ce stade du roman (il sera appelé « Raphaël » pour la première fois juste après ce premier vœu par Rastignac, en sortant de la boutique). Par cette gradation, le jeune homme se présente comme un homme qui (1) sait ce qu’il ne veut pas (2) affirme sa volonté et (3) donne des ordres au pouvoir de la peau, de façon autoritaire. On voit subtilement l’idée de suicide s’éloigner de plus en plus, car le héros imagine petit à petit un avenir.

[6]        Ni d’une… ni de votre… ni des… : anaphore avec un rythme ternaire et une gradation, procédé rhéto-rique digne de quelqu’un qui a fait des études supérieures (la rhétorique était considérée jusqu’alors comme la matière la plus importante, loind devant l’histoire ou même les mathématiques).

        Explication de la gradation : « une » = article indéfini, sans précision < « votre » = déterminant possessif, donc plus précis < « des » (pour « de les ») = article défini, signifiant « de tous les ».

[7]        Swedenborg : Le savant et théosophe suédois Emmanuel Swedenborg (1688-1772) avait fondé une secte mystique, l’Église de la Nouvelle Jérusalem. Quelques années après la rédaction de La Peau de chagrin, Balzac se laissera fasciner par la métaphysique étrange de Swedenborg, qui repose sur les correspondances unissant entre eux tous les êtres visibles et invisibles de la Création. Voir Baudelaire, Les Fleurs du mal, « Correspondances ».

[8]        Amulette : à ce stade du récit, Raphaël sous-évalue complètement le pouvoir de la peau, la considérant comme une simple curiosité orientale, un « grigri » exotique. Opposition avec la fin du roman, juste avant la mort du héros, aqui déclare à Pauline : « Ceci est un talisman qui accomplit mes désirs, et représente ma vie ». On le voit alors affirmer pour la première fois à voix haute sa croyance dans la peau.

[9]        Amulette oriental : C’est seulement dans l’édition de Furne qu’amulette devient masculin. La désinence -ette étant habituellement féminin, l’usage a longtemps varié : Littré trouve le mot au féminin aussi bien chez d’Aubigné que chez Chateaubriand.

[10]        Voyons : impératif présent. L’impératif est le mode de l’ordre. Coup de théâtre : le rationaliste Raphaël (qui avait « résolu [sa] vie par l’étude et la pensée ») lance un défit à la peau ! C’est le moment crucial du roman, sur un ton de défi. L’utilisation du le 1re personne du pluriel (« nous ») pourrait également inclure l’antiquaire.

[11]        Le talisman : voir la note 8. L’article défini « le » donne de l’importance à la peau, comme sil elle était l’unique talisman qui existe.

[12]        D’une main convulsive : traduit le bouillonnement intérieur de Raphaël, sa nervosité. Ce détail donne à l’action un caractère tragique. De plus, le mot « convulsif », apparenté à « convulsion » (« Contraction violente, involontaire et saccadée des muscles », dictionnaire Le Robert) provient du vocabulaire de la médecine, et annonce l’état maladif qui résultera, pour Raphaël, de l’utilisation de la peau. On peut penser à la « promenade » qu’il vient de faire au bord de la Seine dans le but de s’y jeter : « S’il déposait pendant un moment le fardeau de son intelligence et de ses souvenirs pour s’arrêter devant quelques fleurs [...], bientôt saisi par une convulsion de la vie qui regimbait encore sous la pesante idée du suicide, il levait les yeux au ciel ». De même, nous voyons l’idée de convulsions liée directement aux plaisirs et à la mort lorsqu’il déclare : « S’il se roule convulsivement et souffre une sorte d’agonie après avoir abusé du tabac, le fumeur n’a-t-il pas assisté je ne sais en quelles régions à de délicieuses fêtes ? » Nous sommes alors dans la patie du roman où Raphaël, au cours du banquet qu’il a souhaité, raconte ses débuts dans la débauche. A la fin de cette nuit de débauche, on invite les participants à venir prendre un petit déjeuner dans une autre pièce : « Là, si tout porta l’empreinte ineffaçable des excès de la veille, au moins y eut-il trace d’existence et de pensée comme dans les dernières convulsions d’un mourant ». Tous ces exemples montrent que les convulsions ne sont pas liées uniquement à une grande nervosité, mais également à un état proche de la mort, en lien avec la débauche et la fête.

[13]        Le verbe je veux est suivi d’un double COD marquant l’hybris (l’orgueil et la démesure) du protagoniste : l’hyperbole un dîner royalement splendide renvoie à une forme de luxe en lien avec l’actualité (la monarchie restaurée de Louis XVIII puis de Charles X), tandis que la bacchanale fait penser à l’empire romain (sur le déclin) et à ses orgies. En effet, les bacchanales étaient des fêtes complètement débridées en l’honneur du dieu Bacchus (équivalent romain du Dionysos grec), dieu du vin, de l’ivresse et de la fête.

[14]        Dit-on sert à mettre en relief, par l’insertion de virgules, le mot « perfectionné », qui se retrouve ainsi seul entre une virgule et le point de la fon de la phrase. Il y a une sorte d’opposition entre le côté débridé des bacchanales et la « perfection » de la civilisation romaine. Aussi, l’expression « dit-on » sert à accréditer les propos de Raphaël : ce n’est pas seulement lui qui dit que le siècle s’est perfectionné à l’époque des bacchanales, mais c’est « on », c’est-à-dire l’opinion commune.

[15]        Mes convives : les convives sont ceux de Raphaël, être égocentrique et possessif (ce qui est montré par l’utilisation du déterminant possessif). Il est en quelque sorte le maître de la fête et les convives lui appartiennent, de même qu’il aurait souhaité posséder de l’argent ou l’amour de la comtesse.

[16]        Que… soient…, que… se succèdent… et soient, que… soit, que… nous emporte, que… montent… ou se plongent : L’autoritarisme (verbes au subjonctif présent, introduits par la conjonction « que ») de Raphaël grandit progressivement (gradation), son enthousiasme se traduit par une sorte d’envolée rhétorique (d’où l’utilisation abusive de l’anaphore). À présent, le pacte est scellé. Le côté oriental (un objet qui réalise les souhaits comme les lampes de génies dans le conte d’Aladin) se trouve renforcé par l’évocation d’un sérail à travers les femmes ardentes.

[17]        Toujours plus…, plus… : montre le désir de jouissance sans limites, infini : « toujours plus ».

[18]        Hyperbole.

[19]        Que la nuit soit parée de femmes ardentes : personnification de la nuit à travers hypallage (transfert d’épithète) de l’adjectif « parée » (normalement, ce sont les femmes, non la nuit, qui sont « parées » de bijoux). La nuit est un être féminin dont les bijoux sont les femmes ardentes. L’adjectif ardentes renvoie à l’idée de feu (ardere signifie en latin brûler) et le thème de l’enfer est subtilement évoqué. Il se trouvera confirmé dans cet extrait par les expressions les âmes […] se plongent dans la boue, ce pouvoir sinistre, un craquement d’incendie, une ardeur cuisante et comme un bruissement de l’enfer. Par conséquent, dans le vœu que la nuit soit parée de femmes ardentes, on retrouve les thèmes de la femme, du luxe (« soit parée » comme avec des bijoux), du désir sexuel et de la damnation.

[20]        Que la Débauche en délire et rugissante nous emporte dans son char à quatre chevaux : personnification de la Débauche présentée comme un monstre, qui conduit un char volant par-delà les bornes du monde. Il y a un clin d’œil au mythe de Phaéton. Ce fils de Phoebus (autre nom d’Apollon), dieu du soleil, avait exigé de son père que celui-ci lui permît de conduire son char (celui qui tire le soleil au-dessus de la terre) pendant une journée. N’ayant pu maîtriser les coursiers, il perdit le contrôle du char et brûla aussi bien le ciel que la terre. Jupiter (Zeus) foudroya le jeune homme pour mettre fin à cette catastrophe. Rongé par la tristesse Phoebus ne fit pas paraître le soleil durant trois jours (l’expression « trois jours » se trouve d’ailleurs dans notre extrait). L’idée de chaleur brûlante est également présente dans notre passage et la fin tragique de Phaéton présage celle de Raphaël.

[21]        Nous verser sur des plages inconnues : (rêve de voyage) l’idée d’un ailleurs meilleur, où l’on se rend pour échapper à son mal être sera reprise par Baudelaire, par exemple dans le poème « Vie antérieure ».

[22]        que les âmes montent dans les cieux ou se plongent dans la boue, je ne sais si alors elles s’élèvent ou s’abaissent : l’opposition (ici entre le haut et le bas : « montent dans les cieux / se plongent dans la boue » et « s’élèvent / s’abaissent », « les plaisir du ciel / et de la terre ») est un procédé littéraire très cher à Balzac. L’idée de monter et de tomber renvoie à la fois au mythe de Phaéton et à celui d’Icare. Dans l’un cas comme dans l’autre, l’issue est la mort du héros qui a succombé à la tentation de l’hybris. Raphaël en est conscient, car il a « besoin d’embrasser les plaisirs du ciel et de la terre dans une dernière étreinte pour en mourir ».

[23]        Oui, j’ai besoin… mourir : On songe à Faust qui, lorsque Méphistophélès lui fait remarquer que la mort n’est jamais un hôte bien venu, répond : « ô heureux celui […] qu’après l’ivresse d’une danse ardente, elle vient surprendre dans les bras d’une femme ! Oh ! que ne puis-je […] me voir transporté, ravi, et ensuite anéanti ! […] Il faut que dans le gouffre de la sensualité mes passions ardentes s’apaisent ! » Les flots de vins incisifs et pétillants que le jeune homme appelle de ses vœux rappellent les flots de vin et de champagne que Méphistophélès fait gicler de la table de la taverne.

[24]        Des priapées antiques : après les bacchanales (après boire), fêtes orgiaques en l’honneur de Bacchus, nous avons l’évocation de fêtes encore plus délurées, en l’honneur de Priape, dieu romain de la fertilité. Représenté avec un immense phallus, il symbolise la débauche sexuelle.

[25]        L’éclat de rire démoniaque de l’antiquaire (qui a déjà été comparé au « masque de Méphistophélès » qiand Raphaël l’a aperçu pour la première fois et sera à nouveau comparé à cet être lorsque Raphaël le rencontrera au théâtre au bras de la belle Euphrasie) en fait une représentation du diable, auquel le héros aurait vendu son âme. Il ne faut cependant pas fondre le vieillard et la peau en un seul être !

[26]        L’interdit si despotiquement qu’il se tut : Raphaël, qui vient de faire un long discours à caractère autoritaire (par l’utilisation de verbes tels que « vouloir » ou le mode impératif) semble avoir trouvé une autorité supérieure à la sienne. « Interdire » signifie ici « Jeter [qqn] dans un étonnement, un trouble tel qu’il lui ôte la faculté de parler et d’agir ». Placés à côtés, les mots interdit et si despotiquement que montrent un pouvoir absolu et sans pitié des forces infernales.

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