LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Juste la fin du monde, Jean Luc Lagarce

Fiche : Juste la fin du monde, Jean Luc Lagarce. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  31 Mai 2024  •  Fiche  •  2 017 Mots (9 Pages)  •  100 Vues

Page 1 sur 9

Juste la fin du monde – Explication linéaire de l'extrait trois : scène 1 Deuxième partie, scène 1 intégrale. Projet : incommunication et théâtre mental.

Mouvement un – vers 1 à 16 : Louis se souvient de son départ.

Mouvement deux – vers 17 à 23 : il raconte la comédie qu'il a jouée aux siens les mois suivant ces ultimes instants.

 il échoue à dire l’essentiel 6 - « sans avoir rien dit de ce qui me tenait à coeur », avec renforcement da négation.

Louis apparaît comme un personnage cérébral : 4 « Exactement ainsi/lorsque j’y réfléchis,/que j’avais imaginé les choses,/

scénario anticipé de l’échec ; plus-parfait = antériorité ; rigueur du scénario («adverbe « exactement ») ; « réfléchis » 

Il nomme vaguement le cœur du problème : « Les choses », une expression indéfinie.

Son projet « dire ce qui lui tenait à coeur » est impossible à réaliser, il relève en partie de la fiction, et difficile à nommer précisément : – c’est juste une idée mais elle n’est pas jouable –«  (7) un pronom neutre, indéfini : dit « ce qui [lui]tenait à coeur » ; idée = projection mentale ; « jouable » (au lieu de vivre) : comédie, illusion, artifice vs. Sincérité, spontanéité affective. Son retour, ce qu'il voulait faire, relèverait de l'illusion, de la comédie.

Louis est traversé par un conflit intérieur : antithèse : « juste une idée » (= le minimum) / « ce qui me tenait à coeur ».

Il exprime une impossibilité mais le présent d’énonciation : idée toujours présente à l'esprit, son esprit demeure actif, tendu vers ce qu'il pourrait accomplir (= cérébralité).

Sa pensée n'avance pas en ligne droite. Il tarde à dire l'information principale : «je repris la route » arrive après des détours ; sa pensée se réfléchit en permanence. Il privilégie les digressions, les commentaires, à la communication du fait.

Il livre le récit métaphorique de cette mort qu’il n’a pas pu annoncer « qu'on m'accompagne », « qu’on me laisse partir » 11 : double sens : littéral et euphémisme pour « mourir ».

Ce récit présente une progression dramatique et pathétique entre ses trois propositions : indépendance (« je repris la route », requête aux siens (se lie à eux) : « je demandai qu'on m'accompagne à la gare », « qu'on me laisse partir », qui suggère qu'on le retenait (désir latent)

Louis imagine une possessivité des siens, il se fait des idées ; l'attitude ultérieure de sa mère et de son frère contredit cette projection ; il prend ses désirs pour la réalité comme on dit.

Et il répond à ce désir de le retenir par une comédie. Répétition de « je promets » : dévalue un acte solennel. « mensonges » : disqualifie les paroles qu’il a tenues. « des phrases » : discours narrativité qui désigne un langage coupé de son contenu, un masque. Parallélisme de construction : les deux faces de ses paroles, en alternance = duplicité de L.?

Discours indirect au présent de narration (artifice rhétorique, technique) : leur donne des illusions ; en présentant ses paroles par un artifice, il les coupe du temps vécu ; en même temps le présent de narration les rapproche du lecteur, comme un objet à voir, à contempler : il théâtralise son hypocrisie.

Louis adopte le comportement du fils modèle, une nouveauté à l’égard de ses proches, il joue un rôle (rappel de la théâtralité) et ses actes ne sont par conséquent pas naturels :  «Les semaines, les mois peut-être,/qui suivent,/je téléphone, je donne des nouvelles.» (v.17)
appel de la théâtralité) et ses actes ne sont par conséquent pas naturels.
«j’écoute ce qu’on me raconte, je fais quelques efforts » (v.20) : « On » désigne la famille, il ne la cite même pas précisément, comme souvent dans la pièce, exprimant ainsi sa désinvolture et l’hypocrisie de ses « efforts ». En effet, il doit faire des « efforts » pour montrer ses sentiments (et seulement « quelques » (faible quantité)), ils ne sont donc pas sincères puisque l’amour est censé être inconditionnel.

Ìl emploie toujours le présent de narration pour raconter sa comédie. Il utilise aussi le discours narrativisé : « donne des nouvelles », « ce qu'on me dit » : des paroles ont été prononcées mais elles ne valent pas la peine d'être rapportées, ce sont des simulacres.

« J’ai l’amour plein de bonne volonté » : il synthétise sa comédie par cette image contradictoire : spontanéité de l'affection et effort volontaire + «l'amour » COD du verbe avoir : un corps étranger en lui, qui vivrait sous différentes formes et qu'il observe comme un objet, une partie de son corps.

 Louis dissimule ses pensées désespérées dans lesquelles il se voit déjà mort et agit pour se défaire de ce destin devant sa famille, pour effacer dans leurs esprit son absence pendant les longues années ayant succédé son départ du cocon familial en se rattrapant sur ses derniers instants de vie, même s'il le fait sur le mode de la comédie.
Mais il revient à la réalité de son départ par un mouvement d'opposition : « mais c’était juste pour la dernière fois »( v.22) : une séparation définitive. Il garde son quant-à-soi dans à cet instant pathétique (« ce que je me dis ») et préfère cacher ses sentiments, « sans le laisser voir ».

Par « juste » (rien d'autre que, valeur d'une restriction qui rétablit la vérité), il souligne et minimise à la fois la séparation irrémédiable : ambivalence de ses sentiments (comme dans le titre). Il adopte une froideur de dandy, à la fois sensible et indifférent. Mais cette dualité peut-être vécue comme une fatalité, une loi qui gouverne toute son existence : il est voué à l'inauthenticité de la comédie, de la tricherie. On s'éloigne du (mélo)drame et du pathétique ; on serait peut-être face à la paradoxale « insoutenable légèreté » dont parle Kundéra.

Mouvement trois – vers 25 à 40 : il évoque et développe deux instantanés pénibles liés à ce départ.

Mouvement quatre – 41 à 42 : il leur oppose une vengeance en cours.

Sans transition logique ou chronologique, L. évoque un moment spécial de son départ: un geste de sa mère (« Elle ») qui l'a marqué ; ce souvenir surgit, comme l'image d'un rêve et son cortège d'affects. Développé au présent de narration : en faire sentir la vivacité dans sa conscience.

"Elle, elle me caresse une seule fois la joue" V.24 = Communication muette entre sa mère et lui ; muette mais surtout suggestive; « comme pour m'expliquer » appelle une interprétation ; elle en dit long, insidieusement ; c'est une communication implicite complexe, voire paradoxale : qu'est-ce qu'une caresse suggestive qui « explique » (contradiction entre l'implicite et l'explicite).
"crimes" : la douce caresse accuse, incrimine (perversité); Louis devient criminel sans connaître le crime commis "ces crimes que je ne connais pas, je les regrette," v..27 ; "j'en éprouve du remords," v.28 La suggestion maternelle opère, Louis se sent coupable, sans savoir de quoi (on pense à Kafka (
Le procès) ou à un scénario de rêve, de projection d' affects enfouis : culpabilité latente qui devient ainsi manifeste).

"Antoine est sur le pas de la porte" --> passage abrupt à un second souvenir, toujours au présent de narration, à la suite du mot « remords » (qui appelle peut-être le reproche d'audace « j'ose » plus loin), toujours selon la logique d'un rêve. A. communique surtout par gestes : v.30 " il agite les clefs de la voiture" , avec une forme d'agressivité. Antoine fait comprendre à Louis qu'il veut qu'il parte. "presser", "partir", "chasser" : 3 verbes de plus en plus forts qui sont mis en valeur par leur position en fin de proposition. "déguerpir" : verbe avec la connotation la plus forte. Les phrases négatives formulent l'exact opposé de ce qu'Antoine pense et veut. Il veut, au contraire du sens de ses paroles, que Louis s'en aille. "plusieurs fois" : ton insistant, presse Louis à partir mais de façon perverse, par des dénégations  « ne me chasse pas », « ne souhaite pas que je parte », « jamais il ne me chasse ». L'insistance est suspecte. S'il voulait vraiment que L. reste, il ne dirait rien (au moins) , il ne nierait pas le désir qu'il parte ; en le niant il peut l'exprimer.
Louis admet la sincérité de son frère "et bien que tout cela soit vrai" v.35, lui donne même le statu objectif de vérité, mais il retient malgré tout (« bien que » = opposition) l'interprétation négative, l'apparence qui accuse son frère et touche son imagination,  alimente sa rancoeur, son scénario de bouc émissaire. Ce qui « semble » importe plus que ce qui est « vrai » ; écrivain, L. aime faire des histoires. Il met d'ailleurs son extrapolation en évidence : « il ne me retient pas » est moins grave et moins dramatique que « faire déguerpir ». Mais on peut comprendre aussi « il ne me retient pas (d'emporter cette idée) », en étant plus agréable par exemple.

Louis a une perception très complexe de la situation : il prête à Antoine à la fois une hostilité agressive et une absence d'affection qui le blesse. Une telle complexité nous plonge dans les profondeurs du psychisme de Louis. Au final, tacitement, de façon dissimulée, sans qu'Antoine puisse se défendre, Louis "accuse" Antoine : c'est à cause de lui qu'il doit partir. Cette accusation muette est commentée par un verbe (« j'ose ») qui la présente comme audacieuse, comme une transgression, peut-être un des « crimes » dont sa mère l'accuse par une caresse.

41 ; « C’est de cela que je me venge » : retour au présent d'énonciation, celui du monologue adressé aux spectateurs dans l'ombre. = confidence, embarrassante, qui nous prend à parti.

« je me venge » tonalité dramatique qui s'étend sur ce qui va suivre, mais aussi sur ce qui précède : le présent d'énonciation des monologues encadre les scènes dialogués, qui sont le passé rejoué.

L'objet de sa vengeance est indéfini : que désigne le pronom « cela » ? l'attitude d'Antoine, celle de sa mère, les deux, voire la sienne, tous ces malentendus, tous ces non-dits qui affectent les liens humains, nos vies.

Dans la scène 10 de la première partie, Louis s'est montré jouant cruellement avec les autres après sa mort. La vengeance qu'il nous confie s'apparente peut-être à cette comédie cruelle, cruelle pour les autres et lui. On peut imaginer (on y est forcé) qu'après être revenu chez les siens un jour et que ce retour fut pénible, le protagoniste Louis, écrivain, s'est donnée cette comédie cruelle qu'est Juste la fin du monde. Chaque scène dialoguée, jouée, serait ainsi la projection fantasmée et ironique de ce retour raté.
V42 ; «(Un jour, je me suis accordé tout les droits.) Cette parenthèse rapporte, comme en une confidence, que cette vengeance a une origine, mais sans la situer précisément dans un ordre de faits. Le plus important est l'outrance, la démesure de sa vengeance : cette confidence pourrait agir comme une didascalie pour l'interprétation de toute la pièce, une autorisation de la jouer loin de toute vraisemblance, en défiant ce qui « n'est pas jouable »).

Conclusion : Ce monologue précède les deux scènes qui jouent le départ de Louis et raconte donc ce qui s'est passé ce jour-là et les temps suivants. Le récit de l'ultime séparation met cruellement en évidence les non-dits, les faux-semblants, l'hypocrisie qui règnent dans cette famille ; mais surtout : il manifeste aussi que cette pièce pourrait bien être la  projection mentale d'un homme voué à la comédie, l'illusion ; un théâtre cruel, inspiré par l'angoisse de la mort, et dont la conscience blessée de Louis serait la scène réelle.

Cela est sensible dans la mise en scène que François Berreur, compagnon de route de Lagarce, a créée en  2007 et aussi dans Le Pays lointain, la dernière pièce de Lagarce, qui réécrit Juste la fin du monde  en 1995 en développant cette dimension fantaisiste, mêlant les morts aux vivants dans une comédie (sens général de spectacle illusoire) lyrique et sarcastique, introspective.

...

Télécharger au format  txt (12.1 Kb)   pdf (127.8 Kb)   docx (13.5 Kb)  
Voir 8 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com