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Extrait d’Orphée de Jean Cocteau

Commentaire de texte : Extrait d’Orphée de Jean Cocteau. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  20 Mai 2023  •  Commentaire de texte  •  2 440 Mots (10 Pages)  •  222 Vues

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Commentaire de texte: Extrait d’Orphée de Jean Cocteau

Au cours du XXème siècle, de nombreux dramaturges choisissent de “revisiter” les tragédies du théâtre antique, en proposant des versions contemporaines, rédigées en prose. Ainsi Jean Cocteau (1889-1963), dramaturge et poète français, va reprendre le mythe d’Orphée dans sa pièce éponyme, écrite en 1925. Au couple marié d’Orphée et Eurydice s’ajoutent de nouveaux personnages: l’ange Heurtebise, un cheval blanc, la Mort personnifiée, et un mystérieux miroir. Comme dans le mythe, le poète, en épousant Eurydice, l’a détournée des Bacchantes. Leur chef, furieuse, empoisonne la jeune femme, mais Orphée obtient d’aller la chercher aux Enfers, le pacte lui interdisant de se retourner vers elle. Cependant, il ne peut tenir cette promesse et la perd à jamais. Dans l’extrait étudié, la fin de la scène IX -que nous prendrons comme scène de dénouement-, une lettre avertit Orphée et Heurtebise de l’arrivée imminente des Bacchantes, qui cherchent vengeance, et parallèlement, de la mort inévitable du poète. Nous nous demanderons donc quels aspects prend la tragédie dans cette réécriture.

Afin de répondre à cette question, nous étudierons dans un premier temps les modifications apportées au mythe original, avant de nous intéresser à sa dimension théâtrale (oratoire, avec tension dramatique et violence omniprésentes) pour enfin réfléchir au rôle joué par la fatalité dans le dénouement de la pièce.

Par la réécriture, le dramaturge peut remettre en cause la tradition et redéfinir les formes et les genres littéraires. Ainsi, dans Orphée, Cocteau ne suit plus les règles traditionnelles de la tragédie. Écrite en prose, c’est une pièce en un seul acte, qui ne possède pas certaines caractéristiques réglementaires (absence d’un “choeur”), et qui se déroule à une époque contemporaine à celle de son écriture. Dans cet extrait, on peut notamment remarquer la présence de termes modernes: “incognito”, “collabore” ; et un niveau de langue courant, voire familier : l’ “énorme troupe de folles” -périphrase désignant les Bacchantes- ou le mot en acrostiche sous-entendu dans la phrase “Madame Eurydice Reviendra Des Enfers”. Ce vocabulaire permet d’ “alléger” la scène, la rendant plus ordinaire, voire comique. La grandeur tragique de ce dénouement ne réside pas dans l'écriture, qui est simple, avec une majorité de répliques brèves et claires. L’histoire est aussi transformée par les temps verbaux employés, ceux du discours: présent de l’indicatif pour la majorité du texte (narration et description) et passé composé pour décrire des faits antérieurs. Elle se déroule dans un cadre spatio-temporel ordinaire, ainsi générique: maison avec “chambre”, “balcon”, “table”, “miroir”, “porte” ; décrit à travers les nombreuses didascalies, qui nous informent à la fois sur l’espace scénique et le hors-scène.

Cependant, cette réécriture ne réside pas simplement dans l'adaptation et le changement de l’époque de la pièce: Cocteau ajoute à l'œuvre de “nouvelles” caractéristiques. Ainsi, dans cette scène IX, deux objets -absents du mythe originel- jouent un rôle important: la lettre anonyme et le miroir/glace. La lettre constitue l’élément perturbateur de l’extrait, car elle prévient Orphée et Heurtebise de l’arrivée d’une troupe de femmes, provoquant leur panique, tandis que le miroir -lié à la lettre car indispensable pour la déchiffrer- est un objet catalyseur de la mort du poète: son brisement pousse Orphée à s’élancer sur le balcon. C’est de plus, dans la pièce, un objet symbolique, du passage entre deux mondes: celui des morts et celui des vivants. Le dramaturge introduit aussi des personnages nouveaux: le Cheval, entité capable de “création poétique” et utilisée par Orphée, se révèle dans l’extrait être un antagoniste: il est à l’origine du poème incriminant cité dans la lettre, et s’est donc “joué” d’Orphée. Cocteau transforme donc complètement le mythe: Orphée n’est pas un véritable poète, c’est un “mystificateur”. Un autre aspect changé est celui d’Eurydice: c’est dans cette scène un personnage secondaire, au même titre que l’amour. En effet, bien qu’Orphée dit vouloir “rejoindre Eurydice”, son amour pour sa compagne n’est pas directement responsable de sa mort, et donc pas central à cette scène de dénouement.

Un autre personnage créé par le dramaturge est celui d’Heurtebise, vitrier et ange “gardien” d’Orphée, qui joue un rôle important, autant dans la scène que dans la pièce entière. Sa véritable nature est sous-entendue dans la “peur inhumaine” qu’il ressent, et il semble ainsi toujours avoir un pas d’avance sur Orphée et le public: il connaît l’existence de la lettre, sait comment la déchiffrer et semble deviner le destin funeste de son compagnon, avant que la tête coupée ne soit montrée au public. Il guide donc Orphée, à travers des ordres donnés à l’impératif: “Lisez”, “Sauvez-vous”, “Cachez-vous”. Cependant à partir de la “transfiguration” d’Orphée, sa parole semble n’avoir aucun effet: leur conversation n’a plus d’utilité. Dans cette scène, Heurtebise est très expressif: on apprend successivement son incrédulité -à la lecture de la lettre et face aux décisions d’Orphée- exprimée à l’aide de phrases négatives, sa culpabilité, son désespoir -visible de par les points de suspension et ses nombreuses exclamations, sa peur mentionnée précédemment et son émotion suite à la mort du poète: “Heurtebise pousse un faible cri”. C’est donc un personnage qui, de par son expressivité et sa relation à Orphée, contribue à la tension de la scène.

Nous pouvons remarquer, dans un second temps, la dimension dramatique de cet extrait, à la fois dynamique, oratoire/sonore, et empreint de violence. L’organisation du récit permet une augmentation progressive de la tension dramatique: la découverte de la lettre constitue l’incident déclencheur et provoque l’incrédulité des personnages, puis la prise de conscience d’Orphée, qui entre alors en conflit avec Heurtebise. La violence approche progressivement, et les didascalies remplacent peu à peu le dialogue, jusqu’à la rencontre entre Orphée et les Bacchantes, point culminant de la scène. Les “Ténèbres” indiquées par la didascalie finale permettent une pause dramatique à la fois visuelle et sonore, qui précède la révélation de la mort brutale, et choque le public. Le conflit de cette scène de dénouement réside notamment dans l’opposition constante entre ses deux personnages: Heurtebise et Orphée. L’intensité de leur confrontation verbale est traduite par des stichomythies de plus en plus courtes, qui permettent d’accélérer le rythme de la scène, jusqu’à ce qu’elles deviennent, au point culminant de la scène, des exclamatives souvent non verbales. La fin de leur dialogue est teintée d’incompréhension: aucun des deux n’écoute réellement l’autre, l’inquiétude de l’ange contrastant avec la réjouissance du poète: il ne peuvent communiquer, c’est la discordance finale, accentuée par la répétition -et opposition- avec les répliques successives “La glace!”, “Pas la glace!”.

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