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Etude d'ensemble : une exposition théâtrale qui mêle plusieurs héritages

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Par   •  1 Décembre 2024  •  Cours  •  2 456 Mots (10 Pages)  •  11 Vues

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Une exposition théâtrale qui mêle plusieurs héritages

Le choeur antique trouverait son origine dans le dithyrambe, un chant rituel donné par les membres d’un choeur, appelés les choreutes, en l’honneur de Dionysos (Bacchus pour les Romains), dieu grec du théâtre, du vin et de la fête autant que de la fertilité, du renouveau, de la nature et des saisons. Dirigé par le coryphée, le choeur antique chante et danse essentiellement. Introduit dans la tragédie antique, il occupe une place fondamentale et représente la Cité, le peuple des citoyens assistant sur scène aux souffrances de personnages frappés par le destin. Le coryphée ou chef du choeur prend la parole au nom de ce dernier et dialogue avec les personnages. L’entrée du choeur, avant que l’action commence le plus souvent, et son premier chant, le parados, constituent un moment impressionnant. Les stasima ou « chants de pied ferme » sont les chants du choeur qui analysent l’action à un moment où elle est figée. Ils se composent de deux strophes symétriques contraires tant du point de vue du sens que de la danse (le choeur évolue d’abord vers la droite lorsqu’il chante le premier groupe de vers puis vers la gauche pour le second – strophè signifie « tourner » en grec). Les fonctions du choeur sont lyriques et narratives : le choeur grec fait éprouver des émotions intenses au public. Témoin de l’action, il a aussi un rôle de médiateur : il est celui qui présente, commente, résume. Dès la première scène de l’acte I, Musset convoque cet héritage antique en le détournant : le choeur apparaît bien comme un personnage collectif qui s’exprime d’abord au pluriel (« nous ») puis au singulier (« je »), devenant alors « choreute » introduisant maître Blazius puis dame Pluche ; sur le modèle des stasima antiques, ses répliques sont symétriques et renversées (« Doucement bercé sur sa mule fringante / « Durement cahotée sur son âne essoufflé »). Mais loin de la solennité attendue, les interventions du choeur se produisent au sein de situations qui ne sont plus extraordinaires mais grotesques et sont elles-mêmes comiques. Le choeur entraîne alors les personnages eux-mêmes dans ce processus de reprise et d’inversion de couplets aux contenus prosaïques (« un verre de vin frais », demande maître Blazius, / « un verre d’eau et un peu de vinaigre », réclame dame Pluche). Le choeur semble ainsi initier un comique tournoyant de répétition comme de situation, une « mécanique du rire ». À la scène 3, devenu témoin sarcastique, le choeur dresse un portrait satirique des ridicules du couple Blazius/Bridaine, insistant sur le comique de caractère et de situation. Les louanges que Blazius puis Pluche font respectivement de Perdican et de Camille sont les échos dégradés des dithyrambes antiques dans lesquels se déploient des jeux de reprises et de répétitions qui rythment l’échange et fonctionnent alors comme des résidus de parties lyriques. Enfin, la scène 4, où Perdican semble renouer avec ses souvenirs d’enfant et retrouve Rosette, restaure, tout en l’atténuant, la fonction lyrique du choeur qui favorise alors un épanchement touchant des personnages en présence. Ainsi Musset introduit-il une fantaisie toute personnelle dans sa reprise d’un héritage antique. Apparaissent à la scène 1 maître Blazius suivi de dame Pluche, chacun respectivement responsable de l’éducation des jeunes aristocrates et cousins Perdican et Camille. À la scène 2 entre Bridaine, ami du baron (père de Perdican). Bridaine est le curé de la paroisse. La paronomase Bridaine/bedaine souligne le ventre énorme du personnage, son goût excessif pour la bonne chère en même temps que son ridicule. Le nom Blazius peut ramener au terme « blaze », « résidu », et indiquer la basse extraction du personnage. Il résonne également avec Bacchus, nom latin du dieu du vin et du théâtre. Le personnage au ventre rebondi et au triple menton chevauchant son âne a également des allures de Silène, le père adoptif de Dionysos lui-même. Le nom Pluche dérive du terme « épluchure », résidu, ordure. On rencontre ce type de personnages outranciers, bas et grossiers dans des pièces où domine le rire : farces et comédies. Ce sont aussi des grotesques, personnages que l’on retrouve dans le drame romantique. Perdican et Camille apparaissent dans le rôle des jeunes gens de bonne famille disposés à être mariés. Rosette est une jeune paysanne naïve et sensible, liée à Camille comme à Perdican et susceptible de compléter un triangle amoureux. Le prénom épicène Camille est issu du latin camillus, « serviteur de l’autel », « enfant de choeur ». Le nom Rosette d’abord présenté comme un singe savant par son précepteur. Il fait songer alors au Diafoirus du Malade imaginaire de Molière qu’Argan veut marier à sa fille. Le trio Perdican, Camille et Rosette forme le triangle amoureux des comédies traditionnelles que l’on retrouve aussi dans le vaudeville, le mélodrame ou le drame lui-même. On peut ajouter que Rosette, jeune villageoise, sorte de double et de rivale sans grade de Camille, peut convoquer le genre de la pastorale. Par son titre, le baron doit incarner la noblesse et, par son statut de père, l’autorité. Il se présente lui-même comme le meneur du jeu, sorte de chef d’orchestre, organisateur ou metteur en scène initiateur et responsable des événements à venir. Mais le personnage n’a pas l’envergure nécessaire à ses prétentions. Malgré ses efforts, son entreprise semble mal engagée. Prenant ses racines dans l’Antiquité puis au Moyen Âge, la parade, au XVIe siècle, est une courte pièce comique jouée en extérieur et destinée à impressionner le public pour l’attirer vers le spectacle se donnant dans la salle. Le harangueur, le bouffon, le jongleur, la danseuse présentaient une forme burlesque introduisant la représentation théâtrale. Dans la scène 1, Musset donne au choeur la fonction de harangueur introduisant les personnages grossiers de Blazius et de Pluche qui défilent l’un après l’autre sur leur monture en une sorte de chorégraphie rustique. La parole passe ensuite du choeur au personnage de Blazius puis à Pluche, comme une balle. Les portraits de Perdican et de Camille sont ainsi dressés en leur absence. À la scène 2 paraissent le baron, père de Camille, et maître Bridaine, suivis de Perdican et Camille, les jeunes gens que Bridaine est chargé de marier religieusement. Rosette, soeur de lait de Camille, jeune paysanne innocente, est la dernière à entrer en scène (scène 4). La succession de ces personnages remarquables peut se lire comme une véritable parade, tout en mouvements et introduisant la pièce d’une manière dynamique et séduisante.

Désirs contrariés et dissonances

Blazius comme Bridaine sont essentiellement préoccupés de leurs appétits (appétit de nourriture et de vin, et appétit narcissique de reconnaissance, chacun cherchant à impressionner son public par ses bavardages et sa fausse science). Ils se contrarient l’un l’autre jusqu’à s’affronter au cours du premier repas à travers des joutes verbales. Pluche, quant à elle, est tout entière occupée par la démonstration publique de sa dévotion. Tout son appétit est tourné vers le commerce de la religion. Elle repousse tout contact et tout plaisir en dehors de celui, semble-t-il, de la mortification. À travers le mariage de son fils et de sa nièce, le baron compte sortir de la solitude qui lui pèse. L’attitude de Camille met à mal ses attentes. Son désir premier de créer des situations, de les animer (« J’ai disposé les choses de manière à tout prévoir ») est contrarié par l’attitude des jeunes gens qui le réduit à une figure de démiurge impuissant. Perdican cherche à renouer avec les souvenirs heureux de son enfance. Il reste attentif à la nature. Ses désirs sont prosaïques et profanes. Le désir de Camille, lui, se tourne vers le ciel, le sacré. Le désir de chaque personnage est contrecarré par celui d’un autre. Les plus âgés, Blazius et Bridaine, Pluche puis le baron, sont d’abord remarquables par leur certitude et leur égoïsme. Leur vie est derrière eux. Ils forment un premier groupe de personnages qui s’opposent à un second, composé par les trois jeunes gens devant lesquels la vie s’ouvre : Perdican s’exprime souvent au futur et Camille, si réservée qu’elle soit, se trouve libérée de son enfermement au couvent. Rosette, elle, songe au mariage. Par ailleurs, deux visions du monde s’affrontent et esquissent une autre répartition des personnages, selon qu’ils représentent le parti de la vie ou celui de la mort. Les paysans – dont Rosette –, puis Perdican mais aussi les deux prêtres goinfres et ivrognes, avides de plaisirs charnels, et le baron (malgré son impuissance à enrayer le drame), appartiennent tous au parti de la vie. Au contraire, pour les deux personnages féminins Pluche et Camille, la religion est un moyen de fuir la vie. Son chapelet à la main et l’injure à la bouche, Pluche est sèche et vieille. À travers ses paroles et malgré ses dix-huit ans, Camille est rigide (contrairement à Rosette, caractérisée par une spontanéité rieuse). De ces positions contradictoires et de ces tensions découle le drame au sens d’action de théâtre. Fils de baron, Perdican est attiré par la fleur simple, l’héliotrope, « cette petite fleur grosse comme une mouche » mais qui « sent bon », ou Rosette, la jeune villageoise. Si les connaissances que lui a données son éducation l’ont élevé, elles ne l’empêchent pas de tourner son regard spontanément vers le bas. Au contraire, Camille porte son regard vers le haut. Elle admire la vertu avant toute chose (« Oh ! oui, une sainte ! […] comme ce costume religieux lui va bien ! »). Rentrés chacun par un côté de la scène, les deux jeunes gens finissent par se tourner le dos, refusant même de se toucher (recul de Camille à qui Perdican tend la main ; refus successifs des personnages de s’embrasser). Les aspirations des deux jeunes personnages sont antagonistes, ils refusent le contact physique. La scène de retrouvailles qui aurait pu être une scène de fiançailles avorte. Persuadé de parfaitement maîtriser son projet au début de la scène 2, le baron se confronte rapidement à une réalité tout autre que celle qu’il avait imaginée. Dès la scène de retrouvailles des deux cousins, il comprend que son entreprise est mal engagée : « Voilà un commencement de mauvais augure ; hé ? ». La prise de conscience du personnage est exprimée par le présentatif au sens de « vois là » et son émotion est rendue sensible à travers l’interjection expressive « hé ». Dans la réplique suivante, qu’il adresse à nouveau à Bridaine, le baron manifeste plus clairement encore sa déconvenue, avec force adjectifs qualificatifs : « choqué, – blessé […] pénible au dernier point », « complètement gâté », « vexé, – piqué », « fort mauvais ». Le trouble et le mécontentement du père de Perdican sont soulignés par une concentration de figures de style : la gradation, l’hyperbole et l’épanorthose. À la scène 3, la métaphore musicale insiste sur la dissonance entre les amants que relève le baron et qui heurte à la fois sa vue, son oreille et sa sensibilité tout entière. Il cherche alors à partager son ressenti avec Pluche : « Vous le voyez, et vous l’entendez, excellente Pluche ; je m’attendais à la plus suave harmonie, et il me semble assister à un concert où le violon joue Mon cœur soupire, pendant que la flûte joue Vive Henri IV ». Le dissentiment entre les jeunes gens est parfaitement saisi par le baron qui en présente une traduction musicale et tonale : le couple Perdican/ Camille ne s’accorde pas plus que ne le feraient la romance chantée par Chérubin dans l’opéra de Mozart, Le Mariage de Figaro, et une chanson à boire grossière. La disharmonie est patente, comme le souligne l’hyperbole (« songez à la discordance affreuse qu’une pareille combinaison produirait »), et le baron en est secoué (« voilà pourtant ce qui se passe dans mon coeur »).

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