Dire la douleur de la séparation : Lettre de Mme de Sévigné à sa fille
Commentaire de texte : Dire la douleur de la séparation : Lettre de Mme de Sévigné à sa fille. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar steflac • 2 Avril 2024 • Commentaire de texte • 1 209 Mots (5 Pages) • 119 Vues
Séance 5 : Dire la douleur de la séparation : Lettre de Mme de Sévigné à sa fille
Observation du texte :
1/ Quel sentiment Mme de Sévigné exprime-t-elle ?
2/ Comment l’exprime-t-elle ? Par quels procédés d’écriture ?
- Un texte élégiaque
définition : une élégie est un texte lyrique (souvent un poème) exprimant une plainte douloureuse, des sentiments mélancoliques.
- Une séparation douloureuse : on parle d’« élégie de l’absence » pour caractériser les textes exprimant la souffrance qui découle d’une séparation d’avec l’être aimé. Ici, Mme de Sévigné déplore l’absence de sa fille que son mariage avec M. De Grignan a éloignée d’elle.
- la lettre d’amour a d’ordinaire pour fonction de combler l’absence, fonction que le texte ne parvient pas ici à remplir : « J’ai beau chercher ma fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu’elle fait l’éloignent de moi. » , cf. l’exclamation « quelle rude séparation ! » qui renforce cette tonalité plaintive.
- Le « Moi » au centre de l’expression des sentiments : le champ lexical de la douleur est très présent dans ce texte, ce sont d’ailleurs les premiers mots (« Ma douleur »). Mais cette souffrance devient plurielle et s’étend à tous à la fin du texte, comme prenant de plus en plus d’espace. cf. « redoubla mes douleurs », « avec les douleurs de tous ceux que vous avez laissés ici ».
- Toutefois, la lettre qui devrait servir à dire cette souffrance, semble échouer à le faire : cf. l’hypothèse de la 1ère phrase « Ma douleur serait bien médiocre, si je pouvais vous la dépeindre». Les mots, pour Mme de Sévigné, sont insuffisants pour traduire sa douleur tant elle est grande. Il s’agit donc pour elle de tenter de dire l’indicible.
- Par l’usage de la prétérition, figue de style qui consiste à parler de quelque chose après avoir annoncé qu’on ne le ferait pas (cf. « je ne l’entreprendrai pas aussi »), elle attire notre attention sur la force de sa souffrance.
- L’objet de la lettre reste bien cet épanchement lyrique : en effet, la phrase finale fait écho à la 1ère phrase du texte en reprenant la structure de l’hypothèse : « toute la lettre serait pleine de compliments, si je voulais. (le « pouvais » et « le voulais » s’opposent ici et expriment un paradoxe subtil : « je ne peux pas dire combien je souffre, mais je ne veux pas non plus dire autre chose que cette douleur »)
3.Un sentiment exprimé avec violence : la douleur de la séparation se ressent dans le corps, comparable à une torture physique : « il me semblait qu’on m’arrachait le cœur et l’âme ». L’autrice de la lettre interpelle également sa destinataire à deux reprises, par 2 questions rhétoriques qui amplifient la puissance de son ressenti et suscitent la compassion : « comprenez-vous ce que je sentis en montant ce degré ? », « Comprenez-vous bien tout ce que je souffris ? ».
- La tonalité devient alors tragique et la souffrance est mise en scène en un tableau pathétique.
- Une mise en scène de la douleur
- Une errance du corps : Mme de Sévigné décrit factuellement les déplacements effectués tout au long de sa journée, mais sans rien en raconter, elle qui d’ordinaire raconte des anecdotes savoureuses sur la vie à la cour ou dans les salons parisiens, et qui a toujours une nouvelle surprenante à dire. Ici, nous la suivons dans sa trajectoire sans but ni plaisir : « Je m’en allai donc à Sainte Mairie », « on me mena dans la chambre de madame du Housset », « j’allai ensuite chez Mme de Lafayette » etc., sans même que les personnes rencontrées fassent l’objet d’un quelconque commentaire. Ils n’existent qu’à peine, désignés souvent par l’indéfini « on » : « on ne parla que de vous ».
- La séparation s’éprouve donc dans l’espace : cf. « tous les pas qu’elle fait l’éloignent de moi »
- La négation restrictive « ne... que » exclut tout autre sujet de conversation. Cette séparation et la souffrance qui en découle occupe toutes les pensées de la mère. Les occurrences de « tout » (déterminant ou adverbe) sont d’ailleurs nombreuses : « toutes mes pensées », « tout démeublé », « tout dérangé », « tout ce que je souffris », « tous ceux que vous avez laissés » : comme si ce « tout » cherchait à remplir le vide incommensurable laissé par le départ de Mme De Grignan, mais en vain.
- Un personnage sans volonté, qui subit sa passion triste (la mélancolie): « on me mena », « on me fit du feu », « mes pensées me faisaient mourir » : l’autrice représentée par le pronom « me » est dans de nombreuses phrases en fonction d’objet (COD, COI), et non de sujet agissant. Son état semble maladif, comme dans les grandes tragédies, elle est l’objet de ses passions. (du latin « patior » : « souffrir, subir »).
- La situation semble subie par Mme de Sévigné, tout entière à sa mélancolie « elle était comme je la désirais » dit-elle à propos de Mme de La Fayette, « seule, malade, et triste », éplorée par la mort d’une religieuse. Ainsi, ces termes pourraient s’appliquer à Mme de Sévigné, son état se rapprochant de la maladie : cf. le champ lexical de la mort.
- Les quelques verbes d’action dont elle est le sujet appartiennent au champ lexical de la lamentation : « toujours pleurant et toujours mourant » : les participes présents associés à la répétition de l’adverbe « toujours » expriment ici une attitude éplorée qui accompagne tous les gestes et déplacements de Mme de Sévigné, qui paraît inconsolable. On peut associer cette attitude à celle des grandes tragédiennes de l’époque classique, le XVIIème siècle de Mme de Sévigné porte d’ailleurs ce genre théâtral à son apogée. (cf. Phèdre de Jean Racine)
- Ce ton tragique se lit aussi au travers des exclamations pathétiques : « bon Dieu ! » « hélas ! »...
- La torture du temps : la séparation s’éprouve aussi dans le temps « qui sépare ceux qui s’aiment » (comme dans le poème de Prévert intitulé « Les Feuilles mortes »). Le texte est jalonné d’indications temporelles qui accentuent l’aspect mécanique des déplacements de Mme de Sévigné qui semble compter les heures qui la séparent de sa fille. « cinq heures sans cesser de sangloter », « je revins à huit heures », « les réveils de la nuit, « le matin », « l’après-dinée » etc... Le temps semble s’étirer en heures infinies de souffrance.
BILAN : Mme de Sévigné écrit ici une lettre des plus émouvantes qui laisse libre cours à la douleur d’une mère séparée de sa fille qu’elle chérit plus que tout. Véritable déclaration d’amour, ce texte aux forts accents élégiaques nous donne à voir, ressentir et entendre le désespoir sincère de Mme de Sévigné qui d’ordinaire fait plutôt preuve de pudeur et de retenue sur ce sujet. Malgré une mise en scène de cette souffrance aux accents pathétiques, le lecteur est touché par l’authenticité des émotions de Mme de Sévigné. Sa rhétorique nous apparaît en effet comme naturelle.
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