Rabelais, Gargantua, Chapitre 17, Les Cloches de Notre-Dame
Commentaire de texte : Rabelais, Gargantua, Chapitre 17, Les Cloches de Notre-Dame. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Violette2412 • 3 Mars 2023 • Commentaire de texte • 3 819 Mots (16 Pages) • 3 267 Vues
Analyse linéaire/ Parcours « Rire et savoir »
Texte 1, Rabelais, Gargantua, Chapitre 17, Les Cloches de Notre-Dame, p81 et 82 du livre.
Mouvement : Rabelais est connu pour être, avec Montaigne, l’un des grands humanistes du XVIème siècle. Ce mouvement se caractérise par la foi en l’homme qui est placé au centre de l’univers, par l’intérêt pour toutes les formes de la connaissance et par la redécouverte de la littérature de l’Antiquité. Les humanistes comme Rabelais retrouvent donc la foi en l’homme et son corollaire, un appétit de savoir.
Auteur : Rabelais est le meilleur exemple de cette soif de savoir : Rabelais est un clerc tout au long de sa vie. Après avoir été moine, il défroque pour devenir prêtre séculier et après avoir étudié le droit et les langues anciennes, il se tourne vers la médecine en 1530 tout en restant prêtre. Il est d’ailleurs nommé médecin la même année que la parution de Pantagruel en 1532, le premier récit publié par Rabelais sous le pseudonyme d'Alcofribas Nasier, l’anagramme de François Rabelais.
Œuvre : Ce moine savant et auteur humaniste a donc écrit, dans un premier temps, Pantagruel en 1532, puis Gargantua, en 1534. Mais l’écriture ne suit pas la chronologie de la famille car Gargantua est le père de Pantagruel. Dans ces deux œuvres, Rabelais part d’un fondement traditionnel en littérature (le roman de chevalerie et son registre épique), et va lui adjoindre des éléments originaux qui vont les affranchir de la tradition, le gigantisme, par exemple, très à la mode à l’époque.
Gargantua : Ainsi, Gargantua, le héros éponyme, n’est pas un chevalier mais un géant et nous suivons ses aventures dans un roman qui obéit cependant au plan des romans de chevalerie. On y trouve ainsi trois parties : l’enfance de Gargantua (1-24), les prouesses de Gargantua (25-51), et enfin le moniage de Gargantua (52-58).
Texte : L’extrait soumis à notre étude est tiré du chapitre 17, dans la partie qui décrit l’enfance de Rabelais. Cependant, ce chapitre rompt avec la tradition en exploitant le thème du gigantisme cher à Rabelais. Après l’échec de l’éducation menée par ses précepteurs sophistes, Gargantua part avec un nouveau précepteur, Ponocrates, qui représente les idéaux humanistes de Rabelais. Mais, arrivé à Paris, Gargantua est confronté à un véritable harcèlement de la part des habitants de Paris, décrit dans l’extrait soumis à notre étude. Il se réfugie alors sur les tours de Notre-Dame. Notre extrait est une sorte de parenthèse, un passage de pure comédie que Rabelais emprunte à ses Grandes et Inestimables Chroniques du grand et énorme géant Gargantua publiées anonymement en 1532 en y ajoutant une connotation satirique, liée à ses idées proches de l’évangélisme.
Parcours : Notre extrait peut facilement être relié au parcours « Rire et savoir » puisque le lecteur, averti dès le prologue sait qu’il doit, dans cet extrait de pure comédie, chercher à « rompre l’os » pour « sucer la substantifique moelle ».
Problématique : C’est pourquoi notre problématique consistera à analyser en quoi cet épisode héroïcomique met en scène un combat carnavalesque entre le géant évangélique et le géant sorbonnien.
Plan de l’extrait étudié : Pour cela, nous étudierons de façon linéaire, notre extrait qui s’articule en 3 mouvements :
- Tout d’abord, avec les deux 1ers paragraphes, nous étudierons l’introduction de la farce du géant comprenant les premiers indices de la satire.
- Puis, nous verrons, du 3ème paragraphe jusqu’à, dans le 4ème paragraphe « baignez par ris », le gigantisme et l’héroïcomique de ce géant.
- Et nous finirons par la revendication d’une étymologie fantaisiste, dans les 4ème et 5ème paragraphes de « Voilà pourquoi la ville fut nommée Paris » à « hardis en paroles ».
Lecture linéaire :
Première partie : l’introduction de la farce du géant et les premiers indices de la satire (deux premiers paragraphes)
- Première idée de cette partie : c’est le narrateur, Alcofribas Nasier qui parle (L1).
- Rappelons tout d’abord que le narrateur de ce livre est Alcofribas Nasier, l’alter ego de Rabelais. C’est donc lui qui raconte l’histoire du géant. Son œuvre a en effet été publiée sous ce pseudonyme, qui est une anagramme de François Rabelais. Gérard Defaux affirme que « Alcofribas est le masque comique dont Rabelais s’affuble pour démasquer le mal et l’exposer au ridicule. » Il s’agit bien, tout à la fois de « Rire et savoir ».
- En effet, dès la première phrase, Alcofribas Nasier nous fait sourire en introduisant le motif du gigantisme : Gargantua aiguise la curiosité des Parisiens par son allure de géant L1 « tout le monde l’admira ».
- Nous avons tout d’abord une présentation succincte du contexte insistant sur la dimension humaine des voyageurs : comme n’importe quels voyageurs, ils reprennent des forces L1 « Après qu’ils se furent reposés quelques jours » avant de visiter la ville « il visita la ville ».
- Deuxième idée : Alcofribas Nasier fait la satire du peuple de Paris (paragraphe 1).
- Mais la suite de la phrase singularise le héros grâce à l’hyperbole L1 « et tout le monde l’admira ». Le géant attire les regards de tous en raison de son apparence singulière, ce qui autorise dès lors le conteur à entamer une réflexion, encore discrète, sur l’ambivalence de l’être et du paraître. C’est le tout début de la satire du peuple de Paris qui ne juge que sur les apparences.
Pour mémoire : satire = attaque des vices de ses contemporains, dénonciation par le rire.
- Le récit laisse alors place au commentaire du narrateur fait grâce à :
- La gradation rythmique L2 « si sot, si badaud, et si inepte de nature » qui ouvre pleinement la satire,
- Les trois adjectifs dépréciatifs « sot », « badaud » et « inepte » qui décrivent le peuple dans une énumération humoristique :
- Ils sont redondants et mettent donc en exergue le caractère inné du peuple de Paris, sa bêtise.
- Ils sont mis en valeur par l’intensif « si » répété trois fois.
- Pour dénoncer la sottise des Parisiens, le narrateur use du lexique du spectacle et de la fête, mettant en scène L2 « un bateleur », L3 « un mulet avec ses cymbales » et L3 « un joueur de vielle » dans une énumération provoquant le sourire du lecteur.
- Mais ils côtoient également L2 « un porteur de reliques », c’est-à-dire un religieux d’un ordre mendiant, portant des reliques ou des indulgences. Ces indulgences permettaient la rémission des péchés en échange d’un acte de piété qui s’est transformé en un commerce lucratif pour l’église, à l’époque de Rabelais. Les humanistes reprochaient à l’Eglise d’exploiter la ferveur populaire et de favoriser le commerce des reliques et des indulgences. C’est bien sûr une satire de l’église qui profite de la crédulité des Parisiens.
- Troisième idée : le narrateur fait la satire de l’église (1er paragraphe)
- Tous ces personnages appartenant à l’univers de la foire ou de la superstition religieuse s’opposent au L4 « bon prêcheur évangélique ». Derrière la farce se masque la virulente critique rabelaisienne à l’encontre de la bêtise populaire qui consiste à accorder plus de crédit aux indulgences qu’aux prédications évangéliques. Le peuple parisien, pour reprendre les mots de Rabelais est « si sot » qu’il reste sourd au « bon prêcheur évangélique ».
Pour mémoire : évangélisme = mouvement qui prône la lecture directe des textes bibliques, la prière personnelle et la méditation et qui repose sur l’enseignement de Saint Paul.
- Au-delà de cette critique, Rabelais révèle le conflit entre deux conceptions religieuses :
- L’une représentée par L2 « un porteur de reliques », c’est une référence à la Sorbonne et aux superstitions religieuses,
- L’autre représentée par L4 « un bon prêcheur évangélique » : Rabelais revendique ici l’évangélisme, attitude spirituelle qui constitue une sorte de christianisme intériorisé. Toute la réflexion humaniste est marquée par cette influence du courant évangélique qui prône la lecture directe des textes bibliques, la prière personnelle et la méditation et repose sur l’enseignement de Saint Paul.
- C’est un combat entre l’évangélisme et la Sorbonne que Rabelais a dû mener lui-même : alors qu’il est moine franciscain, on lui supprime tous ses ouvrages en grec afin qu’il n’ait pas accès aux textes originaux, comme le recommande la Sorbonne.
- Quatrième idée : le narrateur introduit la réponse de Gargantua aux Parisiens sous forme de farce (2ème paragraphe)
- Après cette rapide critique de l’église, le narrateur reprend son récit avec justement le verbe L5 « poursuivirent ».
- Il explique la réaction de Gargantua qui s’est réfugié sur les tours de Notre-Dame L5/6 « se reposer sur les tours de l’église Notre-Dame » et en explique la cause, le véritable harcèlement des Parisiens :
- Grâce au verbe L5 « poursuivirent »,
- Grâce à l’adjectif péjoratif L5 « importune » qui est accentué par l’adverbe d’intensité « si »,
- Grâce à la forme passive L5 « il fut contraint » qui montre qu’il est acculé,
- Grâce au CC de cause L6 « voyant tant de gens autour de lui ».
- Par représailles, Gargantua prépare donc une farce, pour punir les curieux qui s’agglutinent autour de lui :
- il l’explique grâce à l’ironie L7/8 « donner un pourboire »
- Et le justifie par le rire L8 « Mais ce sera par ris. »
- Le narrateur singularise le héros, seul contre tous, par l’opposition du singulier L6 « lui » et du pluriel L6 « tant de gens ».
- Il le fait même parler au discours direct L6 à 8, dynamisant le récit et lui donnant la possibilité de justifier sa farce : Gargantua se venge de la grossièreté des Parisiens qu’il traite L6 de « maroufles ». Le mauvais accueil et l’humiliation entraînent donc la vengeance du géant.
- Cet extrait mêle bien « Rire et savoir » car Gargantua semble se ranger du côté de la raison avec l’expression impersonnelle L7 « C’est juste. » mais la dernière phrase introduit la farce avec la mention faite au rire L8 « par ris ».
Pour mémoire : farce = plaisanterie bouffonne, voire grossière, que l'on dit ou fait pour divertir les autres mais, plus souvent, pour s'amuser à leurs dépens.
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