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Le Mariage de Figaro, III, 16

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Par   •  21 Février 2024  •  Analyse sectorielle  •  2 310 Mots (10 Pages)  •  108 Vues

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EL 2 : Le Mariage de Figaro, III, 16 

On montrera comment Marceline fait de son plaidoyer contre les accusations de Bartholo un réquisitoire contre l’ensemble de la gent masculine.  

OU On essaiera de comprendre pourquoi cette partie de la scène 16 a été coupée pour les premières représentations, sur demande des comédiens de la Comédie Française.

OU On montrera la portée polémique de cette scène, jugée scandaleuse lors des premières représentations.

.

BRID’OISON - C’est clair, i-il ne l’épousera pas.

BARTHOLO. Ni moi non plus.

MARCELINE. (…) Vous m’aviez juré…

BARTHOLO. J’étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu d’épouser tout le monde.

BRID’OISON. E-et si l’on y regardait de si près, pe-ersonne n’épouserait personne.

BARTHOLO. Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable !

Au début de l’extrait, on comprend à la 3e réplique que Bartholo se dédit de la promesse faite à Marceline de l’épouser au cas où ils retrouveraient leur fils disparu.

  • La première justification de Bartholo, et la surenchère du juge Brid’oison ont une portée satirique :

-Bartholo s’accuse de folie, mais pour mieux se dédouaner de ses responsabilités dans la phrase hypothétique suivante :

         il sous entend que Figaro n’est sans doute pas son seul enfant naturel, et qu’il a eu bien d’autres conquêtes : il a donc eu tort de faire des promesses à Marceline !

         il se fait le porte parole des hommes en employant le pronom indéfini « on » et présente leurs comportements volages comme tout à fait naturels.

         la périphrase « tout le monde » est en revanche très méprisante à l’égard des femmes séduites, privées de toute individualité.          

-la réplique de Brid’oison crée un effet comique : bégaiement + parallélisme qui fait écho à la phrase hypothétique de Bartholo, souligné par l’antithèse « tout le monde »/ « personne » (il signifie par là qu’il vaut mieux ne pas trop enquêter sur les enfants naturels des unes et des autres : cela ferait trop d’obstacles à d’éventuels mariages)

  • Dans un deuxième temps, Bartholo reporte la faute sur Marceline, dont il condamne paradoxalement (par rapport à la sa réplique précédente)  les erreurs de jeunesse et la conduite immorale : l’adverbe intensif, les exclamatives nominales traduisent sa réprobation.

MARCELINE, s’échauffant par degrés. 1Oui, déplorable, et plus qu’on ne croit 2! Je n’entends pas nier mes fautes, ce 3jour les a trop bien prouvées ! mais 4qu’il est dur de les expier après trente 5ans d’une vie modeste !

6J’étais née, moi, pour être sage, et je le 7suis devenue sitôt qu’on m’a permis 8d’user de ma raison. Mais dans l’âge 9des illusions, de l’inexpérience et des 10besoins, les séducteurs nous 11assiègent, pendant que la misère nous 12poignarde, que peut opposer une 13enfant à tant d’ennemis rassemblés ?

14Mais dans l’âge des illusions, de 15l’inexpérience et des besoins,

 16         les séducteurs nous assiègent, 17        pendant que la misère nous 18poignarde,  

19(CCTemps composé d’un GN ternaire 20+ d’une relative + d’une 21subordonnée de temps)

22que peut opposer une enfant à tant 23d’ennemis rassemblés ? (prop 24principale)

25Tel nous juge ici sévèrement, qui 26peut-être en sa vie a perdu dix infortunées !

27FIGARO. Les plus coupables sont 28les moins généreux ; c’est la règle.

L’injustice de cette accusation provoque la colère de Marceline, signalée par la didascalie, la reprise elliptique de l’adjectif « déplorable », et les trois phrases exclamatives ouvrant la réplique suivante sous la forme d’un plaidoyer.

  • Elle commence par concéder les prétendues fautes que lui reproche Bartholo (sous la forme d’une litote avec la formule négative), mais pour mieux passer du statut de coupable à celui de victime : si sa jeunesse fut « déplorable », c’est dans le sens de « pitoyable » et non d’ « immorale »

-elle sous-entend qu’elle a déjà payé pour ses erreurs puisqu’elle a toujours vécu modestement, qu’elle est restée pauvre, alors même qu’elle s’est laissée séduire par un homme plus riche.

-elle suscite l’apitoiement de son auditoire par des expressions intensives pathétiques, et par les connotations religieuses du verbe « expier »

  • elle s’oppose ensuite aux accusations de Bartholo et affirme qu’elle n’est pas la femme déraisonnable et immorale dont il parle :  si elle a manqué de sagesse, c’est lorsqu’elle était toute jeune fille, car elle était fragilisée par la misère et l’absence d’éducation.

  elle glisse alors du pronom « je » au pronom « nous », se faisant ainsi la porte-parole de l’ensemble des femmes de condition modeste 

-elle rappelle que les jeunes filles de milieu modeste sont fragilisées par leur état de dépendance et par leur naïveté : elles constituent donc des proies faciles pour les séducteurs sans scrupules qui leurs promettent leur protection.

  • cette partie du plaidoyer de Marceline est particulièrement pathétique

-antithèse entre

                « les séducteurs » associé au lexique de la guerre, le GN au pluriel mis en valeur par l’adverbe intensif « tant d’ennemis rassemblés »

                le mot « une enfant » au singulier, qui présente la femme comme une victime fragile, pure et sans défense.

- personnification de la misère, représentée comme une traitresse meurtrière

-question oratoire soulignant l’impuissance des jeunes filles

- la construction déséquilibrée de la phrase, le rythme ternaire, le parallélisme de construction soulignent la fragilité la jeune fille confrontée à tant de circonstances difficiles, en même temps que sa colère croissante

  • de fait, la dernière phrase est clairement accusatrice

-l’adjectif indéfini « tel » appelle non seulement Bartholo, mais chaque homme présent, dans le tribunal représenté sur scène, et aussi dans le public, à faire son examen de conscience

 Marceline dénonce ici la mauvaise foi des hommes qui traitent les femmes de filles faciles alors que ce sont eux qui en ont abusé.

        -l’hyperbole accusatrice « perdu dix infortunée »…

        -le décalage entre l’expression « juger sévèrement »/ et l’expression pathétique « infortunée » (au sens de malheureuse) … soulignent l’injustice des hommes.

        

  • Figaro, le personnage éponyme, qui suscite depuis le début de la pièce la sympathie du public, surenchérit à ce dernier paradoxe au moyen d’une sentence au présent de vérité générale, associant deux tournures superlatives opposées (formant un chiasme avec la dernière phrase de Marceline). La courte proposition « c’est la règle » coupe court à toute réplique

MARCELINE, vivement. Hommes plus qu’ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes ! c’est vous qu’il faut punir des erreurs de notre jeunesse ; vous et vos magistrats

vous et vos magistrats, si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille ouvriers de l’autre sexe.

FIGARO, en colère. Ils font broder jusqu’aux soldats !

Dans la suite de la tirade, Marceline retourne explicitement l’accusation de Bartholo contre l’ensemble de la gent masculine : ce sont eux qui sont responsables de la misère et des égarements des femmes.

 Le ton est maintenant celui du réquisitoire (didascalie « vivement »)

  • elle interpelle violemment les hommes par l’apostrophe péjorative de sens superlatif « hommes plus qu’ingrats », pour développer la suite de son affirmation précédente : elle s’indigne du fait que les hommes osent  salir la réputation de celles dont ils ont abusé.

- la métaphore du « jouet » dans la périphrase « les jouets de vos passions » présente les hommes comme des bourreaux, qui traitent leurs conquêtes comme les objets méprisables de leurs plaisirs.

-le rejet du mot « victimes » en fin de phrase le met en valeur de façon pathétique.

- l’allitération en r ( ingrats, flétrissez, mépris) contribue à noircir encore ce portrait des hommes sans scrupule

- elle laisse éclater sa colère et sa soif de justice par la  tournure présentative accusatrice « c’est vous », la répétition du pronom « vous », l’allitération insistance en [v], la tournure impersonnelle « il faut »

  • Elle s’en prend ensuite plus précisément aux magistrats, dont elle raille la « vanité », c’est à dire l’orgueil mais aussi la ridicule inutilité.

-le GN « vous et vos magistrats » rappelle que les juges sous l’Ancien Régime sont acquis à la cause des hommes puisque les femmes ne peuvent être magistrates.;

-elle se moque des magistrats qui s’enorgueillissent d’avoir seuls le droit de juger les femmes, mais qui sont en fait négligents et inconséquents  :

 ils ont autorisé les hommes à occuper des emplois jusqu’ici réservés « naturellement » aux femmes (les travaux de confection de vêtements féminins,  auxquels elles sont aptes du fait de leur constitution et surtout de leur éducation), les privant ainsi de cette ressource pour vivre honnêtement.

(NB : ce sont donc encore les hommes que l’on charge de parer les femmes pour en faire des outils de séduction.)

- les expressions intensives, la question oratoire, l’asyndète de la dernière phrase ( les : se substituent à « pourtant » )l’hyperbole « mille ouvriers » trahissent encore la véhémence du ton.

  • Ici encore, Figaro fait écho à la colère de Marceline, ironisant sur le caractère contre nature de cette mesure autorisée par les magistrats (association paradoxale du verbe « broder » aux soldats, incarnation de la virilité.)

MARCELINE, exaltée. Dans les rangs même plus élevés, les femmes n’obtiennent de vous qu’une considération dérisoire : leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! Ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié !

FIGARO. Elle a raison !

LE COMTE, à part. Que trop raison !

BRID’OISON-  Elle a, mon-on Dieu, raison !

Dans la dernière partie de la tirade, Marceline est décrite comme  « exaltée », transportée par son statut de porte-parole de la condition féminine : il s’agit du point culminant de son discours.

  • Elle évoque maintenant le sort des femmes de « rang plus élevé », qui ne sont pas moins à plaindre que les autres, malgré des apparences plus enviables.

-certes, on les flatte par des paroles, des comportements galants qui semblent les valoriser

-mais elles sont autant trompées et manipulées que les autres : toutes ces marques de respect sont qualifiées de  « dérisoires » (négation restrictive + oxymore ), et même illusoires.

- en réalité

                 elles sont tout aussi soumises à la domination masculine (antithèse respect apparent/ servitude réelle)

                 elles subissent une double peine (soulignée par le parallélisme antithétique)

                         on les juge incapables de disposer seules de leur argent : elles restent éternellement mineures économiquement ;

                         en revanche, on n’hésite pas à les juger responsables de fautes qu’elles ne sont souvent pas les seules à commettre : elles sont juridiquement majeures.

  • L’indignation de Marceline éclate particulièrement dans cette fin de tirade,

-rythme binaire, -exclamations, interjection Ah

-opposition des pronoms »vous »/ « nous » (qui appelle implicitement les femmes à faire front uni face à l’oppression masculine)

- la tirade s’achève avec force sur les deux mots « horreur » et  « pitié », qui donnent à la tirade un accent tragique, inédit dans la pièce.

 elle renverse ainsi complètement l’accusation initiale : d’accusées, les femmes sont devenues accusatrices ; d’inférieures, elles affirment leur supériorité, leur mépris à l’égard du comportement injuste des hommes. (ce sont maintenant tous les hommes qui sont présentés comme « déplorables »)

  • la triple approbation « elle a raison », entonné tour à tour par Figaro, le Comte et le juge Brid’oison crée un écho comique, mais a aussi pour vocation d’orienter les réactions du public  : il ne s’agit pas de rire de Marceline, ici, mais de considérer la gravité et la justesse de son accusation. Beaumarchais cautionne clairement son personnage féminin à travers ses trois personnages :

-Figaro, porte parole de la contestation et du combat pour les opprimés depuis le début de la pièce

-de façon plus surprenante, le Comte, qui non seulement incarne les puissants mais est aussi une figure de séducteur, avide de conquêtes féminines

-et pour finir, Brid’oison, acquiesce à sont tour, certes de façon grotesque, mais à travers lui, c’est la justice toute entière qui semble reconnaître ses torts.

Conclusion : une scène audacieuse où Beaumarchais accuse les hommes d’être  responsables de l’aveuglement, de la misère et des égarement des femmes, quelle que soit leur condition sociale.

...

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