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Explication linéaire Zola, L'Oeuvre, un manifeste littéraire et une mise en abyme

Commentaire de texte : Explication linéaire Zola, L'Oeuvre, un manifeste littéraire et une mise en abyme. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  26 Mars 2023  •  Commentaire de texte  •  2 458 Mots (10 Pages)  •  2 804 Vues

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Émile ZOLA, L’ŒUVRE, Chapitre VII (1886)

INTRO

Contextualisation :

Le romancier Émile Zola est le chef de file du mouvement naturaliste, mouvement qui succède au réalisme et s’inspire des théories scientifiques de l’époque. Zola a notamment publié un cycle romanesque de 20 volumes : les Rougon Macquart, Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le IId Empire fondé sur l’arbre généalogique de deux familles fictives, marquées par une lourde hérédité, les Macquart représentant plutôt le peuple et les Rougon, la bourgeoisie.

Gervaise Macquart, héroïne de L’Assommoir, un roman sur l’alcoolisme dans le milieu ouvrier, est la mère de Claude Lantier, le héros de L’Œuvre, 14e tome des Rougon-Macquart, publié en 1886. Ce roman se situe dans le milieu des artistes. Claude est peintre et son ami, Pierre Sandoz, romancier. L’Œuvre est une fiction d’inspiration autobiographique, qui évoque les liens d’Émile Zola avec Paul Cézanne amis d’enfance lorsqu’ils vivaient en Provence.

Situation de l’extrait et présentation du texte :

Cet extrait du chapitre VII est un dialogue entre le peintre, Claude Lantier, et le romancier, Sandoz. Claude vient de rentrer à Paris avec sa femme Christine après un long séjour à la campagne. Le peintre, qui connaît des difficultés dans son couple à cause de ses tourments d’artiste, semble envier le bonheur de son ami, mais Sandoz fait une mise au point en lui expliquant ses propres difficultés. C’est alors qu’il se lance dans une diatribe contre les critiques qui attaquent durement son premier roman et surtout dans un plaidoyer en faveur de son projet littéraire qu’il estime incompris.

[LECTURE DU TEXTE]

Projet de lecture : 

Nous verrons que le discours de Sandoz est une « mise en abyme » qui permet à Zola de faire de son personnage son porte-parole et de ce texte un manifeste littéraire.

Mouvements du texte :

La structure du texte est symétrique, ce qui permet au romancier de mettre en valeur les théories naturalistes de Sandoz, double de lui-même :

1) Au début et à la fin du texte, lig x à x et lig x à , Claude exprime son admiration envieuse envers Sandoz

2) Dans ce cadre, s’inscrit la diatribe de Sandoz contre les critiques, en deux étapes : lig x à x et lig x à x

3) Et, au milieu du texte, se trouve le manifeste littéraire de Sandoz : lig x à x

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— Elle est charmante, ta femme, dit Claude, et elle te gâte. /

 Mais Sandoz, assis devant sa table, les coudes parmi les pages du livre en train, écrites dans la matinée, se mit à parler du premier roman de sa série, qu’il avait publié en octobre. Ah ! on le lui arrangeait, son pauvre bouquin ! C’était un égorgement, un massacre, toute la critique hurlant à ses trousses, une bordée d’imprécations, comme s’il eût assassiné les gens, à la corne d’un bois. Et il en riait, excité plutôt, les épaules solides, avec la tranquille carrure du travailleur qui sait où il va. Un étonnement seul lui restait, la profonde inintelligence de ces gaillards, dont les articles bâclés sur des coins de bureau, le couvraient de boue, sans paraître soupçonner la moindre de ses intentions. / Tout se trouvait jeté dans le baquet aux injures : son étude nouvelle de l’homme physiologique, le rôle tout-puissant rendu aux milieux, la vaste nature éternellement en création, la vie enfin, la vie totale, universelle, qui va d’un bout de l’animalité à l’autre, sans haut ni bas, sans beauté ni laideur ; et les audaces de langage, la conviction que tout doit se dire, qu’il y a des mots abominables nécessaires comme des fers rouges, qu’une langue sort enrichie de ces bains de force ; et surtout l’acte sexuel, l’origine et l’achèvement continu du monde, tiré de la honte où on le cache, remis dans sa gloire, sous le soleil. /  Qu’on se fâchât, il l’admettait aisément ; mais il aurait voulu au moins qu’on lui fît l’honneur de comprendre et de se fâcher pour ses audaces, non pour les saletés imbéciles qu’on lui prêtait.

— Tiens ! continua-t-il, je crois qu’il y a encore plus de niais que de méchants… C’est la forme qui les enrage en moi, la phrase écrite, l’image, la vie du style. Oui, la haine de la littérature, toute la bourgeoisie en crève !

Il se tut, envahi d’une tristesse. / 

Bah ! dit Claude après un silence, tu es heureux, tu travailles, tu produis, toi !

[Sandoz s’était levé, il eut un geste de brusque douleur.

— Ah ! oui, je travaille, je pousse mes livres jusqu’à la dernière page… Mais si tu savais ! si je te disais dans quels désespoirs, au milieu de quels tourments ! Est-ce que ces crétins ne vont pas s’aviser aussi de m’accuser d’orgueil ! moi que l’imperfection de mon œuvre poursuit jusque dans le sommeil ! moi qui ne relis jamais mes pages de la veille, de crainte de les juger si exécrables, que je ne puisse trouver ensuite la force de continuer ! Je travaille, eh ! sans doute, je travaille ! je travaille comme je vis, parce que je suis né pour ça.]

1/ Cet extrait du roman est un dialogue entre les 2 amis : c’est Claude qui introduit le dialogue et se montre envieux de la vie l’écrivain.

L’auteur emploie d’abord le discours direct (tiret + proposition incise « dit Claude ») qui produit un effet de dramatisation, comme au théâtre.  Cl. utilise un vocabulaire mélioratif « charmante », « gâte » pour mettre en avant la chance de son ami. Les allitérations en « t » et les assonances en [a) (citer) et l’emploi de l’apposition mettent en valeur la femme de Sandoz. On sait qu’à ce moment-là, Claude fait souffrir Christine et qu’il se sent malheureux dans sa famille.

2/ A partir de la conjonction de coordination « Mais », Sandoz relativise l’enthousiasme de son ami en lui expliquant la violence des critiques à l’encontre de son premier roman : Sandoz contredit son ami en montrant que sa vie n’est pas aussi facile. Le récit commence par une description réaliste, le romancier fait son autoportrait dans son décor familier qui rappelle un tableau d’Édouard Manet de 1868. Le champ lexical du livre occupe une place essentielle et l’évocation rappelle clairement la « série » des Rougon-Macquart. Il s’agit donc bien d’une mise en abyme.

La réponse de Sandoz à Claude est au discours indirect libre, ce qui permet à l’auteur d’associer le point de vue du personnage et celui du narrateur. Personnage, narrateur et auteur finissent donc par se confondre. Son discours commence par des exclamations qui soulignent son agacement, sa colère contre les critiques, ce que confirme l’emploi du langage familier « son pauvre bouquin » après l’interjection « Ah ! ». Dans son réquisitoire, le vocabulaire utilisé pour caractériser la critique est très péjoratif et relève du champ lexical de la violence. Il s’agit de métaphores et d’hyperboles placées dans une énumération (lig 5). Cette gradation qui se termine par une subordonnée circonstancielle comparative et hypothétique introduite par : « comme si » permet d’insister sur sa colère, car la critique le traite en criminel, ce qui peut nous rappeler les procès de Baudelaire et de Flaubert accusés pour outrages aux bonnes mœurs. Mais Sandoz est surtout ironique comme le précise le narrateur : « il en riait, excité plutôt ». Malgré son énervement, il se moque des critiques qu’il désigne avec l’antiphrase « gaillards » alors qu’il les perçoit comme des lâches, des bons à rien qui ne comprennent rien à son projet ; il éprouve plutôt un sentiment d’injustice, leur bêtise (leur « profonde inintelligence ») lui inspire du mépris ; il se présente quant à lui comme un travailleur acharné, un homme énergique et volontaire avec des « épaules solides », et « la tranquille carrure du travailleur qui sait où il va» (expression soulignée par l’allitération en [TR] et en [k]) ; on note aussi une antithèse car les articles des critiques sont « bâclés sur des coins de bureau » : le travail acharné de l’écrivain est ainsi opposé au médiocre travail des critiques qui ne cherchent pas à comprendre « ses intentions » et se contentent de l’insulter, de le couvrir de « boue », de salir sa réputation sans apporter le moindre argument solide. Leur ignorance lui paraît même incompréhensible comme le prouve le terme « étonnement » sujet de la phrase.

3/ Pour répondre aux critiques et justifier son projet littéraire, Sandoz expose après les deux points son manifeste naturaliste. Sandoz est donc bien le porte-parole de Zola, et il résume son œuvre sous la forme d’une énumération.

Il riposte d’abord en utilisant la métaphore du « baquet aux injures » pour désigner leurs articles, avant d’exposer à Claude, et surtout au lecteur, son projet révolutionnaire. Il emploie un lexique scientifique (citer les mots du champ lexical des sciences) : cette « étude nouvelle » de l’homme et de la société rappelle le sous-titre des Rougon Macquart (« Histoire naturelle et sociale…) avec un intérêt majeur pour le corps (l’ »homme physiologique ») ; son ambition est présentée comme d’ampleur universelle (citer les termes qui le prouvent), c’est un projet global, qui défend une littérature puissante, refusant la censure, les tabous, puisqu’il s’agit de se rapprocher le plus possible de la réalité, de la vérité ; les doubles négations  « sans haut ni bas, sans beauté ni laideur » insiste sur le fait que le romancier ne s’impose pas de limites et privilégie la vérité plutôt que la morale. Il insiste aussi sur le fait que le « langage » doit lui aussi être vrai, et que ce souci de vérité va revivifier la langue française quitte à utiliser des « mots abominables ». L’un des mots clés de sa théorie est « audace » et c’est pour cela qu’il termine son énumération par une provocation en concluant son énumération évoquant « l’acte sexuel » « remis dans sa gloire, sous le soleil ». Cette conclusion est introduite par « et surtout » qui la met particulièrement en évidence. L’antithèse « origine » et « achèvement » montre bien que Sandoz, comme Zola, envisage la vie dans sa totalité, de l’acte sexuel à la mort. Les termes « origine…du monde » peuvent aussi faire songer au tableau de Courbet L’Origine du Monde, datant de 1866, qui a été longtemps une œuvre cachée et un objet de scandale, mais qui aujourd’hui est exposé au Musée d’Orsay.

4/ Sandoz reprend alors sa diatribe contre les critiques en utilisant une tournure concessive articulée par la conjonction « mais » après la subordonnée au subjonctif imparfait « Qu’on se fâchât » : il ne s’en prend pas au métier de critique, mais à leur ignorance, tout au long du texte. Il répète d’ailleurs le terme « audace » pour montrer qu’il est en avance sur son temps, que la critique est encore pleine de préjugés qu’il désigne par la métaphore « saletés imbéciles ». Il renvoie donc les critiques qu’on lui adresse aux critiques eux-mêmes, qui ont qualifié sa littérature de sale, et de putride.

Le discours direct réapparaît à la fin de l’extrait quand Sandoz traite les critiques de « niais » et explique avec ce champ lexical que c’est son écriture qui choque, bien plus que les sujets qu’il traite : « C’est (= présentatif) la forme qui les enrage en moi, la phrase écrite, l’image, la vie du style. » Sous Napoléon III, le public bourgeois s’offusque des audaces de langage alors que c’est cette nouveauté justement que revendique Zola. Sa conclusion avant le silence est un dernier cri de colère : il emploie des exclamatives « Tiens ! », affirme son opinion « Oui, … » et il généralise son propos en passant du métier de critique à « toute la bourgeoisie ». Les derniers mots de sa diatribe « haine » et « crève » résonnent comme une dernière provocation : selon lui, la bourgeoisie est réfractaire à la littérature et cette « haine » est un poison dans la société où les vrais artistes sont maudits, comme l’expliquait déjà Baudelaire dans « L’Albatros ».

Le retour au récit, est comme une sorte de didascalie à la fin de cette scène dialoguée : la « tristesse » et le mutisme de l’écrivain contrastent avec son ardeur, son énergie du début du texte, comme si le découragement de Claude le gagnait à son tour. Tous deux partagent finalement ce silence, ce sentiment de solitude, et d’incompréhension.

5/ Malgré tout, Claude reprend la parole et se montre toujours aussi admiratif de l’énergie de Sandoz qu’au début de l’extrait.

Claude emploie une énumération et une exclamation renforcée par l’anaphore « tu » et par le rythme ternaire ; il utilise un vocabulaire mélioratif pour faire l’éloge de l’énergie et du bonheur de son ami qu’il envie : on remarque comme au début une allitération en [t] et une assonance en [a] (citer), et l’apostrophe « toi » qui fait écho à « ta femme », ce qui les oppose à nouveau tous les 2 : le peintre découragé et le romancier lancé dans une œuvre ambitieuse, « qui sait où il va » (cf. lig x).

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