Baudelaire, l'alchimiste maudit
Commentaire de texte : Baudelaire, l'alchimiste maudit. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dora2006 • 17 Avril 2023 • Commentaire de texte • 9 170 Mots (37 Pages) • 179 Vues
SEQUENCE 1 : BAUDELAIRE, L’ALCHIMISTE MAUDIT Explication linéaire n°2 : « Parfum exotique » Introduction ▪ Ce poème est extrait du recueil Les Fleurs du Mal de Baudelaire paru en 1857. Baudelaire est un célèbre poète du milieu du XIXème siècle. Il est considéré comme l’héritier des romantiques et le précurseur du symbolisme. ▪ Le poème se rattache à la section « Spleen et Idéal » et fait partie intégrante du cycle « Jeanne Duval », une des muses du poète et une artiste d’origine afro-caribéenne. Baudelaire a entretenu une relation passionnée et tumultueuse avec Jeanne Duval. Le sonnet « Parfum exotique » évoque le versant idéalisé et positif de cette passion. ▪ Dans ce sonnet, la puissance du parfum est telle qu’elle dérive vers une rêverie exotique. D’où la problématique suivante : En quoi ce sonnet est-il une invitation sensuelle et onirique au voyage exotique ? ▪ En étudiant la structure du sonnet, nous dégagerons trois grands mouvements : - Au premier quatrain, le poète bascule dans la rêverie à partir de l’expérience du parfum féminin - Au deuxième quatrain, cette rêverie métamorphose la femme aimée en paradis exotique - Les deux tercets achèvent le voyage en rapprochant l’univers de la navigation maritime et celui de la poésie EXPLICATION LINEAIRE I - Au premier quatrain, le poète bascule dans la rêverie à partir de l’expérience du parfum féminin Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne, Je respire l'odeur de ton sein chaleureux, → Les deux premiers vers installent un climat rassurant et amoureux. Le vers 1 installe une temporalité saisonnière : l’automne est la saison la plus proche de l’été et de l’hiver, elle peut inspirer la mélancolie, la nostalgie de l’été et l’appréhension de l’hiver et de la froideur affective. Mais le poète ne semble pas en mauvaise posture : l’expression « les deux yeux fermés » souligne la sérénité du poète au bord du sommeil. On peut également remarquer le rythme croissant du premier vers : la syntaxe de la phrase suit le laisser-aller du poète. Cette sérénité et cette sensation de plénitude est redoublée par l’adjectif « chaud ». La chaleur du soir entre en résonnance au vers 2 avec l’hypallage « sein chaleureux ». C’est également une métonymie car « sein chaleureux » évoque la femme aimée toute entière. Ici, le recours au parfum est une évocation de la féminité, de la sensualité amoureuse. On peut également y interpréter un retour au sein maternel, installant une relation fusionnelle et surprotectrice entre le poète et la femme qu’il aime. Cette intimité fusionnelle est ponctuée par le tutoiement comme l’indique le déterminant possessif « ton » à la deuxième personne du singulier. Je vois se dérouler des rivages heureux → L’expérience amoureuse et olfactive produit un imaginaire puissant. En effet, le sonnet installe un paradoxe curieux : l’expression « les deux yeux fermés » s’oppose au « je vois » comme si le poète vivait un rêve éveillé. Cette sensation est liée à l’irruption du parfum « Je respire ». Ainsi, le parfum est à l’origine d’une expérience visuelle. La projection vers le rêve est matérialisée à l’hémistiche avec l’hypallage « des rivages heureux ». Le rivage est un bord de mer et peut s’interpréter comme le seuil entre la terre et la mer, le lieu d’un départ vers l’inconnu. L’adjectif « heureux » montre que ce départ est une plongée vers un bonheur et une réjouissance infinie. Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ; → L’enjambement précise la relation entretenue entre le poète et sa muse. Le premier hémistiche « qu’éblouissent les feux » ouvre un mouvement ascendant, un début de gradation avec le verbe « éblouissent » et le GN « les feux ». Dans cet hémistiche, le poète exprime toute la puissance inflammable de la passion amoureuse. Le deuxième hémistiche est étonnant avec l’hypallage « soleil monotone ». Ici « monotone » n’a pas une connotation négative et indique que la puissance amoureuse est stable et ne faiblit pas. L’adjectif « monotone » connote également la tranquillité, la solidité. La relation que le poète entretient avec son amante est complexe : c’est une passion à la fois tranquille, nonchalante et à la fois dévorante d’intensité. A RETENIR – TRANSITION La strophe suivante prolonge le rêve éveillé installé dans la première strophe. On quitte le rivage pour atterrir dans un monde paradisiaque. II - Au deuxième quatrain, cette rêverie métamorphose la femme aimée en paradis exotique Une île paresseuse où la nature donne → Au vers 5, le poète fait la description d’un paysage paradisiaque et exotique. Mais si l’on regarde bien cette description, elle peut être interpréter comme une représentation amoureuse et féminin. L’hypallage « île paresseuse » personnifie l’île en lui donnant des caractéristiques humaines. Elle est associée à une femme. On peut également imaginer que la représentation visuelle d’une île est toujours horizontale. L’adjectif « paresseuse » indique que l’île est couchée comme la posture d’une femme dite paresseuse ou nonchalante. Ici, le sonnet semble produire une métamorphose de la figure de Jeanne Duval, muse du poète, souvent caractérisée par sa nonchalance mais aussi par sa générosité. Le 2ème hémistiche « où la Nature donne » évoque l’idée d’une Nature généreuse, luxuriante, à l’abondance sans effort. L’allitération en [n] ajoute une tonalité sensuelle à cette générosité. Elle rappelle l’image du « sein chaleureux » à la fois généreux, accueillant et érotique. Des arbres singuliers et des fruits savoureux ; → Ce vers construit un monde paradisiaque à l’image d’un jardin d’Eden Le parallélisme de la proposition instaure l’idée que cette Nature est harmonieuse et équilibrée. Mais cette harmonie n’empêche pas une certaine forme d’exubérance, d’étonnement comme en témoignent les adjectifs « singuliers » et « savoureux ». Les arbres « singuliers » rappellent le titre du poème « parfum exotique ». Ici, l’arbre est exotique au sens étymologique du terme « étranger », voire « étrange ». Il manifeste l’étonnement du poète devant le spectacle de la Nature. Au deuxième hémistiche, c’est l’irruption du goût voire de la gourmandise et indirectement, de la tentation et donc au fruit défendu. Outre la dimension érotique évoquée par « les arbres » et les « fruits », le sonnet évoque de manière sous-entendu le jardin d’Eden. Bonus : l’évocation jardin d’Eden à partir de l’évocation d’une île caribéenne est une longue tradition des récits de voyage. Les voyageurs au Nouveau Monde (comme Christophe Colomb) soulignaient déjà un parallèle entre les Antilles et le paradis perdu. Ainsi, le sonnet exploite tous les clichés de l’exotisme et du récit du voyage. Des hommes dont le corps est mince et vigoureux, Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne. → Après avoir dépeint le paysage de ce monde idéalisé, le poète dépeint une société humaine On retrouve le thème du jardin d’Eden en soulignant l’ordre particulier de la strophe : les arbres et les fruits sont mentionnés en premier, puis les hommes puis les femmes. Cet ordre suit la création du monde dans la Genèse et renforce l’idée que le jardin d’Eden n’est autre qu’un univers tropical épargné des vices de la civilisation occidentale. Les vers 7 et 8 constituent une unité poétique car ils sont structurés par un parallélisme « des… dont… » et par la métonymie. Dans la première métonymie, les hommes « vigoureux » sont associés à la force et s’oppose implicitement au corps moribond du bourgeois. Au vers 8, la métonymie se concentre sur le regard des femmes. Il suppose l’idée que l’œil de ces femmes idéalisées est franc et n’a rien à cacher contrairement aux regard hypocrites des femmes occidentales. A RETENIR – TRANSITION Après un séjour dans l’île paradisiaque, les deux tercets embarquent le lecteur en mer pour déboucher dans une réflexion sur la poésie. III - Les deux tercets achèvent le voyage en rapprochant l’univers de la navigation maritime et celui de la poésie Guidé par ton odeur vers de charmants climats, → le premier tercet est un retour vers le motif poétique du voyage. La tournure passive « guidé par » associe la femme à la figure de la navigatrice. Le poète se laisse embarquer la parfum évocatoire de sa muse. Je vois un port rempli de voiles et de mâts Encor tout fatigués par la vague marine, → La fin du tercet entre en résonnance avec le début du sonnet. Le poète évoque un retour en bord de mer. Mais ici les « rivages » sont remplacés par l’image du port à travers la métonymie « voiles et de mâts » qui évoquent les navire de grande traversée. L’hypallage au vers suivant « de voiles et mâts … encore tout fatigués » sous-entend l’idée que les navires reviennent d’un long voyage. L’adverbe « encor » installe une temporalité dans la rêverie du poète. Les navires viennent tout juste d’accoster et sont bercés par le bonheur de l’immobilité. La deuxième partie du vers renforce cette idée à travers la sonorité en [g] et la rime féminine qui apporte une douceur et une sensation de lenteur à la fin du vers. La fin du tercet installe une véritable progression dans le texte. Alors que début du sonnet évoquait un départ vers l’inconnu, la fin du sonnet installe un point d’ancrage : le port maritime. Comme si l’expérience amoureuse était un voyage qui métamorphose l’inconnu et le familier. Pendant que le parfum des verts tamariniers , Qui circule dans l'air et m'enfle la narine, → Le dernier tercet termine le sonnet par l’évocation du tamarinier. Les origines tropicales et africaines du tamariniers rappellent les origines afro-caribéennes de Jeanne Duval. Le deuxième tercet résonne avec la strophe 2 : le tamarinier est l’arbre exotique par excellence, un arbre singulier au fruit savoureux et au parfum suggestif. On retrouve ici l’expérience de la synesthésie où les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Et pour le poète, la première caractéristique de cet arbre est son parfum suggestif. S’ajoute à ce parfum l’adjectif de couleur « vert » qui donne au tamarinier une fraîcheur et une vivacité étonnante. Cette vivacité s’exprime grâce aux verbes d’action « circule » et « enfle ». Le verbe « circuler » connote l’idée de mobilité, et le verbe « enfler » rappellent le mouvement des voiles en pleine mer. Ici le parfum du tamarinier est en lui-même un voyage maritime. Se mêle dans mon âme au chant des mariniers . → Le dernier vers ouvre vers un infini poétique qui mêle le chant et le parfum. Le complément circonstanciel « dans mon âme » renvoie à nouveau le lecteur dans le monde clos et l’intériorité du poète évoqué au premier vers (les deux yeux fermés) comme l’effet d’une boucle. Mais ce n’est qu’une impression de clôture, la fin du sonnet ouvre le lecteur à une expérience musicale inédite : « le chant des mariniers » En effet, le chant est la naissance et la quintessence de la poésie. Or chose étonnante ici, c’est le chant marin qui constitue la quintessence poétique et se confond avec le parfum des tamariniers. Le chant marin est libérateur et ouvre vers un infini. Cet infini se retrouve dans les derniers poèmes du recueil notamment aux dernières strophe du « Voyage ». Conclusion : ce sonnet est une invitation sensuelle et onirique au voyage exotique car la structure même du sonnet s’apparente à un voyage. Après avoir quitté le rivage, le poète décrit un monde idéalisé et exotique avant de s’engager dans un rapprochement entre l’univers de la poésie et celui de la mer. Le voyage exotique serait l’un des échappatoires poétiques trouvés par le poète pour conjurer le mal qui le ronge et qu’il surnomme le « Spleen ». Cette réjouissance infinie est rare dans le cycle adressé à Jeanne Duval. Le poème suivant, « La Chevelure » prolongera et complexifiera l’expérience poétique du parfum féminin.
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