La notion de Rien

Le mot "Rien" vient du latin res qui signifie chose. Pourtant, nous l’utilisons avec le sens de l’inexistant, il pourrait alors être synonyme de zéro ou de vide. C’est " l’anti-plein ", "l'anti-tout". On le rencontre souvent dans le langage courant, sans qu’on lui donne une grande importance. C’est trois fois rien… Mais trois fois rien c’est déjà plus que rien du tout.

Donc Rien est bien quelque chose, ce n’est pas le néant.

L'envie d’aborder les pistes que m’inspire le principe du Rien m’est venue alors que je repensais aux cours de dessin que je suivais quand j’étais étudiant aux Beaux Arts. Notre professeur nous demandait parfois de ne pas tracer les contours de la matière que l’on voyait, mais de tracer ceux de l’espace laissé autour de cette matière. Il s’agissait de dessiner les vides, donc le Rien. Cet exercice est très utile lorsque l’on a des difficultés à percevoir un volume, une courbe. Là, le Rien prend une toute autre importance. Les espaces laissés révèlent donc les formes (j’y reviendrais plus tard). Décidément, le Rien, ce n’est pas rien, mais ce n'est pas tout:

Le Rien est partout et en tout. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas quelque chose que cette chose n’existe pas ou qu’il ne s’y passe rien, que c'est du néant. Vous savez bien qu’en musique, par exemple, sans silence, nous aurions affaire à du son tenant plus d'un brouhaha chaotique qu'à de la musique, qui ne pourrait plus être qualifié comme telle. Pendant un silence, par définition, aucun son n’est émis, et pourtant il s’y passe pourtant bien quelque chose. Ce silence génère le rythme et contribue à l'harmonie. Il en va de même pour la réalisation de tout ce qui touche aux 5 sens : Imaginez-vous toucher ou voir une sculpture dans laquelle il n’y aurait ni pleins ni vides, imaginez le goût d’un repas dans lequel toutes les saveurs se mêleraient dans un seul et même plat, etc.… Ainsi, nous pouvons discerner les choses grâce à l’espace laissé entre elles. Pour cette raison, une disposition judicieuse et pensée des pleins et des vides est indispensable pour générer sinon l’harmonie, au moins la cohérence. Nous en avons un exemple avec la découverte du nombre d’or qui nous permet de calculer les proportions et la disposition des pleins et des vides dans une composition pour obtenir un équilibre flatteur. Cette proportion est le résultat du constat de confort des sens dans un type précis d'organisation des volumes.

Nous venons d’aborder l’importance de l’alternance du Rien et du Plein en ce qui concerne les sens. Il en va de même dans le cheminement de l'individu en quête de lumière. Il a besoin de distanciation de silence et de discernement. Chacun de nous a besoin de s’enrichir. Ce qui implique une découverte. Or avant d’avoir abordé quelque chose, ne connaissant pas encore cette chose, cette dernière n’est rien, ou n’est éventuellement qu’un soupçon. En tout cas rien de tangible. C’est ce que j’appellerais le pied dans le rien. Puis vient le contact avec le sujet et sa découverte. Ensuite il faudra prendre le recul nécessaire afin d’avoir une vision globale de l’acquis afin d’en percevoir les lacunes éventuelles dans le but d’être le plus complet possible. Pour finir, le discernement nous permettra d’être justes (de justesse et de justice) dans l’utilisation de ces nouveaux outils. C’est ce que j’appellerais le pied dans le plein. Ces notions, à mon avis, sont en appui sur le Rien et sur le Plein. Les opposés ne sont ils pas aussi complémentaires ? Y aurait-il de l’ombre s’il n’y avait pas de lumière? La notion de bien existerait-elle sans celle du mal? Y aurait-il un tout si le rien n’existait pas ? Dans ces situations je crois qu'il nous faut tendre à être sur la zone intermédiaire située entre l’un et l’autre pour trouver un équilibre, un milieu?

Le Rien a plus d’importance que ça encore! Pensez donc! Il est présent à l’origine de tout! Avant le Big-bang, il n’y avait rien de ce que nous connaissons. Mais ce point de départ a donné naissance à quelque chose de si grand et de si durable que les limites de mon cerveau m’empêchent de le concevoir dans son ensemble. Pourtant l’univers est d’abord plein de vide. Et dans ce rien, des éléments de matière naissent, sont en mouvement, vivent, meurent, génèrent la vie, génèrent le mouvement, génèrent la mort. Ce qui est en haut n'est il pas comme ce qui est en bas et ce qui est en bas comme ce qui est en haut? Pourquoi serions-nous en dehors de ces principes qui régissent tout l'univers, alors que nous en sommes aussi les fruits?

Avant de faire quelque chose, il n’y a rien. Du moins il n’y a pas encore. Bien sur il y a tout ce que d’autres ont fait avant nous, ou ce que nous avons fait nous-mêmes, ce qui nous donne les moyens de transformer ce rien en quelque chose, mais le Rien est bel et bien une partie intégrante du processus de création. D’ailleurs, créer n’est-ce pas sortir quelque chose de Rien? La fameuse page blanche est bien le premier support. Elle est page, elle est quelque chose mais c’est quelque chose de vide, qui ne contient rien. Et c’est parce qu’il n’y a rien que l’on pourra y mettre quelque chose. Le passage à l’acte, le passage aux faits est un des points indispensable pour générer.

Ainsi, avant que la chose ou la pensée ne naisse, elles ne sont rien. Mais quand elles apparaissent et se développent, ces matières ne suppriment pas le rien, elles s’en enveloppent. Et où il y a de la matière, il y a du rien. Où il y a pensée, il y a du rien. Sinon nous serions submergés, saturés de matière, de pensées. Cependant, une simple volonté, une simple pensée n’est rien si elle n’est pas concrétisée dans la matière ou dans le cheminement de l’esprit (par l’écrit ou le verbe). En fait le Rien est partout et depuis toujours. Le Rien et le Plein sont complémentaires et leurs échanges constituent

...