Payer pour jouir, est-ce mal ? PHILIPPE HUNEMAN
Cours : Payer pour jouir, est-ce mal ? PHILIPPE HUNEMAN. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar LORENE_0542 • 14 Mai 2023 • Cours • 3 137 Mots (13 Pages) • 248 Vues
Payer pour jouir, est-ce mal ? Par PHILIPPE HUNEMAN Philosophe, chargé de recherches au CNRS et à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST) (Libération - 21/04/2011).
La proposition de loi* visant à pénaliser les clients de prostituées, présentée comme un effort pour protéger les femmes, repose en réalité sur la thèse morale suivante : il est mal de monnayer la jouissance. Les prostituées comme leurs clients ignoreraient cette vérité que le pouvoir entend donc leur faire reconnaître [A noter : Le texte prend son départ dans une négation du sens déclaré de ce projet de loi et dans une affirmation de son sens inavoué. Il y est donc question d'une interprétation. Est-elle convaincante ?].
Les promoteurs de la loi argumentent ainsi : les prostituées étant des victimes de réseaux criminels les forçant à vendre leur corps, la pénalisation viendra donc les protéger. Il n’y a pourtant rien là de propre à la prostitution : beaucoup d’activités industrielles sont exercées par des ouvriers dans des conditions abominables, avec des conséquences délétères sur leur santé. La mondialisation implique qu’en achetant un vêtement ou un jouet, souvent fabriqué en Asie par des enfants horriblement mal payés, je soutiens ces pratiques. De même qu’il existe des «empreintes carbone», on pourrait imaginer une «empreinte pénibilité» pour mesurer l’effet du consommateur sur le ou les producteurs du bien consommé. A cette aune, pas sûr que le client de prostituées s’avère plus nocif que l’acheteur avisé de jouets Mattel [Que faut-il comprendre et conclure de cette première avancée ? Elle souligne deux faits, (1) qu'il est question seulement de pénaliser les clients de l'un des nombreux trafics qui exploitent et abîment les facultés humaines (physiques et psychiques) et (2) que ce trafic n'est pas le plus horrible. Il pourrait sembler que ce propos engage à refuser l'hypocrisie générale, à condamner et à combattre par conséquent tous les trafics de ce type au lieu d'un seul. Que la pénalisation du consommateur soit un moyen approprié resterait à décider par contre. Cependant Huneman conclut et engage à réfléchir tout autre chose :] Entre la prostitution et le commerce, la différence serait donc purement morale [Il apparaît dans cette conclusion que Huneman cherche seulement à répondre à une question précise : « Pourquoi cette proposition de loi ne vise que les clients de la prostitution ? ». Autrement dit : « Qu'est-ce que ce clientélisme a de si spécial pour qu'on envisage de le punir lui et aucun de tous les autres qui, comme il lui arrive (Huneman ne le conteste pas : il y a des réseaux de prostitution criminels), sont complices d'un système d'exploitation inhumain ? ». La réponse était présupposée dans le titre de cet article : « Parce qu'on juge qu'il est mal de payer pour jouir ». Précisons l'argument qui justifie cette réponse ; c'est l'acte en lui-même (payer pour jouir) qui est incriminé et non pas l'acte en tant qu'il est complice d'un système sordide, car si c'était le cas on incriminerait tous les autres actes (en graduant simplement la peine en fonction de la nocivité des systèmes auxquels ils sont liés, du moins c'est ce que suggère le texte). Ce qui signifie que cet acte devrait être pénalisé même s'il n'était lié ni de près ni de loin à aucun trafic inhumain]. Or, si elle n’est pas nécessairement fausse, cette position morale doit, comme n’importe quelle autre position morale, être discutée [On en revient donc au titre lui-même : « Est-ce qu'il est mal de payer pour jouir ? ». Le jugement qui est (selon Huneman) au principe du projet de pénalisation est-il valide ? Pour le savoir il est nécessaire d'en discuter. On peut en convenir assez facilement et accepter d'en discuter mais il faut remarquer, tout de même, que le propos de Huneman n'est pas si neutre qu'il le prétend. Il a fixé les conditions initiales de cette discussion et de ce fait il est possible qu'il l'ait orientée ou faussée. Il ne s'agit pas de lui faire un procès d'intention mais d'ouvrir au moins la possibilité d'une discussion de la façon dont il interprète ce projet. Cette interprétation n'est pas nécessairement fausse mais, pourrait-on lui retourner, elle doit être discutée comme n'importe quelle interprétation. Par ailleurs il apparaît en fin d'article que l'auteur attend une « preuve » de cette discussion : il faudrait que les promoteurs de la pénalisation de cet acte produisent la preuve de son immoralité intrinsèque. L'attente est à double tranchant à nouveau puisqu'elle pourrait être retounée : Huneman serait-il capable de produire la preuve de la validité de son interprétation ? Ses arguments ont-il la force d'une preuve ? On soulignera pour en finir que s'il paraît tout à fait légitime de discuter la validité du jugement moral qui, selon Huneman, est le motif réel du projet de punir le client de la prostitution, il peut sembler au contraire tout à fait extravagant d'exiger une preuve de l'immoralité de ce clientélisme. Il n'est pas du tout évident en effet que les considérations morales puissent être apppuyées sur des preuves factuelles ou rationnelles (cf. Hume, T.N.H.). Qu'en serait-il par exemple de l'affirmation de l'égalité de tous les êtres humains ? Quelle preuve en a-t-on ? Et faut-il renoncer au projet de pénaliser toutes les discriminations au motif de l'incapacité à produire la preuve de leur immoralit ?].
Hypothèse 1. L’exceptionnalisme de la prostitution : coucher pour de l’argent serait essentiellement différent de tous les autres rapports sexuels. Cette discontinuité entre prostitution et autres formes de sexe n’est pourtant pas si claire. En vérité, on couche souvent pour quelque chose [Risque de confusion entre l'idée de finalité (la jouissance ou la reproduction par exemple) et l'idée d'échange (le donnant-donnant)], que ce soit une reconnaissance symbolique, une aide, une promotion, un réconfort narcissique, etc., ou parfois pour une rétribution à recevoir au long de sa vie. De nombreuses sociétés traditionnelles estiment que le mari doit subsistance (donc argent) à l’épouse, en échange du sexe conjugal. Une vision continuiste du sexe est donc plus réaliste : un rapport sexuel, ce serait échanger entre du sexe et autre chose, X ; dans le cas de la prostitution, simplification extrême de cette structure, X est une somme d’argent, échangée contre un acte sexuel spécifique [Définition discutable : 1. Sa validité générale est contredite par ce que Huneman a suggéré un peu avant (« souvent » ≠ « toujours » / « la plupart du temps ») 2. La relation sexuelle est une interaction qui peut certes être décrite comme un échange, ainsi que n'importe quelle autre interaction, mais cela ne signifie pas que la relation sexuelle ne puisse pas être engagée et vécue tout autrement qu'un échange (un rapport fusionnel de plusieurs sujets, une extase du sujet, un abandon total de soi, etc.). Le prétendu réalisme de la vision continuiste fait abstraction de ces discontinuités subjectives très marquées et de ce fait il suggère un sophisme du type : On condamne la relation sexuelle tarifée - Or toutes les relations sexuelles sont des relations qui ont la même structure que celle de la relation sexuelle tarifée (le donnant-donnant) – Donc on doit condamner toutes les relations sexuelles – Cependant on ne les condamne pas toutes – Donc la structure qui leur est commune n'est pas en cause – Donc on ne peut pas condamner la relation sexuelle tarifée (ni l'achat ni la vente)].
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