Histoire des Genocides
Rapports de Stage : Histoire des Genocides. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 28 Octobre 2013 • 1 772 Mots (8 Pages) • 761 Vues
Préméditation, désignation d’un groupe cible et extermination méthodique à la machette et au fusil : le massacre, au Rwanda, au printemps 1994, de 1 million de Tutsi est bien un génocide. Perpétré dans l’indifférence de la communauté internationale. Récit.
Le 6 avril 1994, vers 20 h 30, l’avion qui transporte les présidents rwandais et burundais est abattu par deux missiles sol-air, alors qu’il entamait sa manoeuvre d’atterrissage au-dessus de l’aéroport de Kigali, capitale du Rwanda.
La nouvelle se répand comme une traînée de poudre aux quatre coins du pays. Comme si elle n’attendait que ce signal, la machine à tuer se déchaîne aussitôt. La garde présidentielle et les Interahamwe, milice* hutu aux ordres du pouvoir, bouclent Kigali avant d’installer des postes de contrôle à tous les carrefours stratégiques. Les premiers coups se portent aussi bien sur les Tutsi, que sur les « Hutu modérés », appartenant à l’opposition politique.
Le génocide a commencé. Car il s’agit bien d’un génocide, c’est-à-dire, selon la définition de l’article 2 de la Convention sur le génocide de 1948, d’un acte criminel prémédité commis dans le but de détruire méthodiquement un « groupe national, ethnique, racial ou religieux » .
Au matin du 7 avril, les tueries éclatent non seulement à Kigali mais encore à Gikongoro, Kibungo, Byumba, Nyundo, du nord au sud du pays, de l’est à l’ouest, confirmant la thèse de la planification. Partout elles s’opèrent selon les mêmes procédures. Dans un premier temps, des responsables administratifs ordonnent à la population d’ériger des barrières, pour intercepter les Tutsi qui tenteraient de fuir, et d’organiser des patrouilles, pour débusquer ceux qui seraient passés entre les mailles du filet.
Dans un deuxième temps, une même tactique est mise en oeuvre partout dans le pays, qui consiste à laisser les Tutsi se rendre vers les églises, dispensaires ou écoles, lieux d’accueil présumés qui constituent en réalité des souricières et se muent rapidement en abattoirs. Les militaires y répandent en effet des gaz lacrymogènes, jettent des grenades à fragmentation puis investissent les lieux et les vident de leurs réfugiés terrorisés et résignés. Des complices attendent aux sorties avec leurs machettes, leurs lances et leurs gourdins cloutés.
Des dizaines de milliers de personnes sont ainsi assassinées, souvent sous le nez des autorités locales, des casques bleus* et des soldats français. Si l’on en croit le recensement du 18 décembre 2001, ces massacres ont fait près de 1 million de victimes en trois mois.
Deux outils, l’un moderne, l’autre archaïque, symbolisent ce génocide d’un genre très particulier : la radio et la machette. Le premier est mis à profit pour donner et recevoir les ordres d’un coin à l’autre du pays, le second pour les exécuter. Si les armes utilisées pour tuer semblent bien primitives ? du bâton équipé de clous à la houe, en passant par l’emblématique machette ?, si les méthodes d’extermination semblent également d’un autre âge ? la plupart du temps la mort est donnée sur place et non dans des lieux spécialisés ?, le crime ne tient en rien de l’improvisation. Méthodes d’extermination « primitives », certes, mais crime moderne car organisé, méthodique. On ne tue pas 10 000 personnes par jour sans une préparation ni une programmation très minutieuses.
Outre la préméditation, l’intention d’exterminer « un peuple de trop sur terre » est essentielle pour pouvoir qualifier une tuerie de « génocide ». Car le génocide ne se reconnaît pas à l’ampleur du massacre mais à la volonté de ne laisser, à terme, aucun représentant du groupe cible en vie.
Les chiffres des massacres donnent la mesure du degré d’accomplissement de la décision génocidaire. Toutes les études démontrent l’existence d’une véritable « solution finale » décentralisée, région par région, sous l’autorité hiérarchique des préfets, sous-préfets et bourgmestres.
Aucun Tutsi ne peut échapper au massacre général, homme ou femme, vieillard ou enfant. Dans l’esprit des responsables hutu, il est hors de question de répéter l’« erreur » faite au moment des grandes tueries de 19591 et de laisser survivre ou fuir les plus jeunes. Comme pour la Shoah, les enfants seront donc les premières cibles. « En 1959 et en 1972, ils tuaient les hommes, mais pas souvent les femmes ni les enfants. [...] Cette fois-ci, en 1994, c’était complètement différent. Ils tuaient même les enfants et les vieillards. Ils tuaient tous les Tutsi2. »
Le groupe visé par les auteurs du génocide doit être visible. Supposés reconnaissables à leur physique, les Tutsi sont identifiés grâce à leur carte d’identité, instaurée par les Belges en 1933. Cet instrument de la modernité sera leur « étoile jaune ».
Gérard Prunier, chercheur au CNRS et spécialiste de l’Afrique orientale et des Grands Lacs, a expliqué très clairement le phénomène de la constitution de listes de personnes à tuer : « Le problème des listes était une question d’urgence parce que «les génocidaires» [...] craignaient d’être interrompus dans leur tâche. Il y avait des ordres de priorité et les listes étaient très courtes. J’estime le génocide à 800 000 morts, avec une marge d’erreur très importante de l’ordre de 10 à 15 %. Il n’y avait pas 800 000 personnes sur des listes. Tout le monde n’avait pas le même ordre de priorité dans la mort. Certaines personnes devaient mourir tout de suite et à tout prix. Les personnes qui ont été tuées les 7, 8, 9, 10 et 11 avril devaient mourir parce qu’elles étaient importantes. Il y avait là un certain nombre de Tutsi mais aussi beaucoup de Hutu de l’opposition.
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