Fiche De Lecture - l'article Une Histoire Des émotions Incarnées de P. Nagy Et D. Boquet
Note de Recherches : Fiche De Lecture - l'article Une Histoire Des émotions Incarnées de P. Nagy Et D. Boquet. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar misaro • 29 Mars 2015 • 1 707 Mots (7 Pages) • 1 256 Vues
L’article « Une histoire des émotions incarnées » des historiens Damien Boquet et Piroska Nagy est paru dans la revue Médiévales en 2011. Ils s’attachent à défendre l’idée selon laquelle dans l’Occident chrétien médiéval, le rapport chrétien au monde établit un lien entre l’affectivité et le corps. Cet article est programmatique puisqu’il s’inscrit dans la production de leur œuvre historique. En effet, D. Boquet, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille travaille sur la relation entre l’anthropologie religieuse et les pratiques affectives au Moyen-Age central. P. Nagy est professeure d’Histoire à l’Université de Montréal et partner investigator au Centre d’Excellence pour l’Histoire des émotions depuis 2014. Elle concentre ses recherches sur les structures de l’affectivité médiévale et ses représentations. Tous deux coordonnent le programme de recherches Emma – Les émotions au Moyen Age. Ils se sont associés pour la production de nombreux ouvrages ou articles attenant à l’histoire des émotions à l’époque médiévale : « Pour une histoire des émotions : l’historien face aux questions contemporaines », dans Le Sujet des émotions au Moyen Age, 2009, ou Sensible Moyen Age. Une histoire culturelle des émotions et de la vie affective dans l’Occident médiéval, à paraître dans l’année. Il paraît important de noter la participation de la psychologue Anna Tcherkassof à l’introduction de l’article dont les recherches se cristallisent autour des émotions et des expressions faciales émotionnelles dans les interactions sociales : le rôle des tendances à l’action en tant que reflets de processus cognitifs, d’après le laboratoire interuniversitaire de Psychologie de Grenoble-Chambéry.
Cet article s’articule selon six axes. Dans un premier temps, une introduction sur l’historiographie des émotions. Dans un second temps nommé « Quelle histoire ? Quelles émotions », les auteurs différencient l’émotion historique de l’émotion psychologique. Dans le point suivant « Ecrire l’histoire des émotions médiévales », D. Boquet et P. Nagy défendent leur entreprise d’étude sur l’histoire des émotions. C’est dans la partie nommée « La chair des émotions » que les historiens retracent l’histoire du lien entre le corps et les émotions, qu’ils appliquent à l’Occident chrétien médiéval dans « Des affects médiévaux chrétiens ? ». Enfin, ils présentent le corpus d’articles sur les liens entre émotions et corps au Moyen Age. Il convient alors de faire la synthèse de cet article.
Pour défendre leur idée selon laquelle les émotions sont incarnées au Moyen Age, D. Boquet et P. Nagy entreprennent tout d’abord de dresser l’historiographie de l’histoire des émotions. Elle prend forme dans les années 1940 lorsque L. Febvre souligne la pertinence « d’une sensibilité dans l’histoire » dans son ouvrage La Sensibilité dans l’homme et dans la nature. A. Corbin situe cette nouvelle conception à la parution de l’article de L. Febvre «Comment reconstituer la vie affective d’autrefois ? La sensibilité et l’histoire» où il définit l’histoire des sensibilités comme les manières d’éprouver le monde sensible. Ce tournant historiographique vient du processus de rationalisation des émotions grâce aux apports des sciences auxiliaires. Cette idée est d’ailleurs soutenue par L. Febvre qui souligne la rationalisation croissante des comportements en admettant le déclin de l’odorat et du toucher au profit de l’ouïe et de la vue en Occident au XVIe siècle. A. Corbin ajoute que cette conception nouvelle des émotions intervient dans un contexte précis : négliger les émotions dans les années 1940, revient à mettre de côté les origines du fascisme. Du fait de l’aspect récent de cette conception, il est nécessaire pour les historiens de défendre l’histoire des émotions. En effet, les émotions peuvent être réduites à leur conception corporelle. On parle alors de synergologie, théorisée par les néophysiognomistes, science qui lit les émotions sur le corps. D. Boquet et P. Nagy s’accordent à reconnaître qu’il s’agit d’une conception trop scientifique qui met sous silence le langage et la conception sociale des émotions. D’autres remettent en cause l’histoire des émotions compte tenu du fait que les émotions se dissiperaient. D. Boquet et P. Nagy trouvent néanmoins dans cette volatilité des émotions dans les sources, soulignée par L. Febvre également, la possibilité d’un travail d’autant plus palpitant. L’historien Z. Weygand en 2003 s’est par exemple concentré sur le phénomène de privation sensoriel dans Vivre sans Voir. Considérer l’émotion comme objet historique revient à l’éloigner de l’émotion psychologique qui l’établit comme un phénomène universel. Les historiens se doivent de considérer l’émotion comme un évènement culturel, en constante redéfinition selon le temps et l’espace, soit « un phénomène affectif transitoire ». Les historiens disposent alors de différents outils : d’une part l’anthropologie qui met en lien l’émotion aux normes culturelles qui l’établissent, d’autre part la psychologie cognitive qui permet de rationaliser l’affectivité.
Pour arriver à la définition du concept d’émotions incarnées dans l’Occident médiéval, D. Boquet et P. Nagy s’inspirent de la pensée antique. Aristote définit en effet l’hylémorphisme qui consacre l’unité du corps et de l’âme. Il considère l’âme comme « la forme d’un corps naturel ayant la vie en puissance ». Dès lors, l’aspect physique des émotions dépend des dispositions physiologiques. Les émotions sont conçues comme les effets de l’âme sur le
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