Compte rendu sur L'autre moitié du soleil, Chamamanda Ngozi Adichie
Fiche de lecture : Compte rendu sur L'autre moitié du soleil, Chamamanda Ngozi Adichie. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Jeanne Sire • 26 Avril 2017 • Fiche de lecture • 5 700 Mots (23 Pages) • 1 027 Vues
SIRE Jeanne Pour le 17 mars 2017
Essai sur L’autre moitié du soleil, de Chimamanda Ngozi Adichie
Le roman de Chimamanda Ngozi Adichie L’autre moitié du soleil a été publié en 2007 et récompensé par l’Orange prize, un prix britannique exclusivement féminin. S’il s’agit bien d’une œuvre romanesque, reposant sur des éléments de fiction, le cadre très réaliste de ce roman autorise également une approche historique de la guerre du Biafra, qui s’est déroulée du 6 juillet 1967 au 15 janvier 1970 à la suite de la sécession de cette partie orientale du Nigéria, majoritairement peuplée d’Igbos. Divisé en 4 parties, la première et la troisième étant consacrées au début des années 60, moment de l’indépendance du Nigéria, la deuxième et la quatrième à la fin des années 60, le roman s’ouvre sur l’arrivée d’un jeune homme de treize ans, Ugwu, destiné à devenir le boy d’Odenigbo. Fraichement arrivé d’Opi, un village de la campagne tropicale, c’est avec ses yeux étonnés que le lecteur découvre la maison de son Master, professeur de mathématiques à l’université de Nsukka, jeune idéaliste engagé qui aime animer des discutions politiques dans son salon. Ce personnage, issu d’un milieu plutôt pauvre, tombe amoureux d’Olanna, une femme magnifique, également politisée et enseignante, issue pour sa part de la bourgeoisie industrielle nigériane. Le destin de cette première cellule familiale croise rapidement le destin d’un autre couple, que forment Kainene et Richard. Bien qu’elle ne lui ressemble en rien, Kainene est la sœur jumelle d’Olanna : androgyne, exubérante et sûre d’elle-même, elle travaille à faire fructifier les marchés de son père, et dans la première partie du livre elle rencontre Richard lors d’une soirée mondaine, dont elle tombe amoureuse. Richard est un journaliste britannique, blasé des positions racistes et méprisantes du milieu des expatriés autant qu’il est passionné par la culture Igbo. La première partie s’ouvre ainsi sur des rencontres, politiques, amoureuses ou amicales, qui semblent riches en perspectives pour l’avenir, porteuses d’espoirs. Le contraste entre la première et la deuxième partie n’en est que plus saisissant : une ellipse narrative permet à l’auteur de passer directement à la fin des années 60, et le tableau s’assombrit alors considérablement. Soudain, Olanna et Odenigbo ont une petite fille, Baby ; Olanna et Kainene ne s’adressent plus la parole, Odenigbo ne veut plus voir Richard, sans que le lecteur puisse en comprendre les raisons ; mais surtout, les discussions politiques, qui paraissaient tout à fait déconnectées des préoccupations quotidiennes des personnages au début du roman, deviennent tout d’un coup bien plus pragmatiques : au Nord du Nigéria, région habitée par une majorité Haoussa musulmane, et à la suite du coup d’Etat du général Igbo Johnson Aguiyi-Ironsi, des pogroms anti-Igbos s’amorcent : Richard, impuissant, voit un jeune homme se faire tuer à l’aéroport, et Olanna découvre, parmi tous les cadavres jonchant le sol de Sabon Gari, les corps inertes de sa tante Ifeka et de son oncle Mbaezi. A la maladie d’Olanna, qui ne parvient plus à marcher après la vision traumatisante du massacre de tout un village, succèdent la joie et l’euphorie que déclenche la proclamation de la sécession de la région biafraise et son indépendance derrière Son Excellence, le colonel Ojukwu. Mais bien vite, les armées fédérales du Nigéria tentent de reprendre le territoire, et Nsukka est une des premières villes à tomber, le 30 mai 1967, forçant ainsi Olanna et Odenigbo à déménager. Cette deuxième partie s’achève sur le déménagement, puis le mariage précipité d’Olanna et d’Odenigbo, alors que des bombes tombent en territoire biafrais. La troisième partie est une analepse, puisqu’elle revient sur le début des années 60, et permet en partie d’expliquer les relations entre les personnages au début de la deuxième partie : le lecteur apprend que Baby n’est pas la fille d’Olanna mais le fruit d’un adultère, Odenigbo ayant eu des relations sexuelles avec la domestique de sa mère durant l’absence d’Olanna. La domestique n’ayant pas voulu garder l’enfant, Olanna décide de l’adopter après s’être séparée provisoirement d’Odenigbo. Enfin, si Kainene ne parle plus à sa sœur, c’est parce qu’elle apprend que Richard l’a trompée avec cette dernière. Le tableau s’assombrit encore au cours de la quatrième partie, qui revient plus en détail sur les différentes victoires et défaites du Biafra, alternant ainsi moments d’intense euphorie et de crainte, et qui décrit longuement les conséquences très variées de la guerre : le Nigéria bloquant les routes d’approvisionnement, la pénurie alimentaire fait de nombreux morts ; les enrôlements de force sont nombreux et Ugwu n’y échappera finalement pas ; le territoire biafrais se réduit comme une peau de chagrin, Olanna et Odenigbo finissent par devoir se réfugier chez Richard et Kainene, qui habitent Port-Harcourt, ville côtière qui n’est pas encore tombée. Le roman s’achève ainsi sur la fuite d’Ojukwu, la défaite de l’armée biafraise et la disparition de Kainene, partie derrière les lignes ennemies pour aller acheter des denrées quelques jours avant la fin de la guerre. Le résumé rapide de ce roman permet d’en saisir certains enjeux, qui peuvent avoir un intérêt historique : quelles sont les différentes composantes sociales et culturelles qui coexistent au Nigéria au moment de l’indépendance ? Quelles relations entretiennent-elles ? Comment la guerre est-elle vécue par ces populations ? Car si la perspective historique permet de reconstruire la chronologie de la guerre du Biafra avec précision, les offensives et les contre-offensives, les victoires et les défaites, les sources sont bien souvent muettes quant à l’intime réalité du vécu, que seule l’imagination romanesque semble pouvoir restituer. Il faudra tout d’abord montrer que cette imagination repose sur des éléments historiques, objectifs et vérifiables, alors même que la démarche de Chimamanda Ngozi Adichie est volontairement peu historique. En effet, l’auteur veut échapper à « l’histoire unique » d’un événement historique en s’appuyant sur des procédés romanesques, et notamment l’alternance des points de vue, qui sont autant de subjectivités. Cette écriture littéraire permet ainsi une approche bien plus intime de la guerre, objet d’une troisième partie.
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