Compte rendu l'État de Barbarie de Michel Seurat
Fiche de lecture : Compte rendu l'État de Barbarie de Michel Seurat. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Garichulio • 14 Avril 2019 • Fiche de lecture • 7 411 Mots (30 Pages) • 687 Vues
Introduction :
La réédition très récente (mai 2012) de l'ouvrage de Michel Seurat (rebaptisé Syrie : l'État de barbarie, et en partie modifié) témoigne de l'acuité et de la pertinence de ses analyses sur le Moyen Orient. Nous nous intéresserons ici au volume publié en 1988, préfacé par Gilles Kepel et Olivier Mongin, qui regroupe la grande majorité des articles écrits par Michel Seurat et publiés entre 1978 et 1986, parfois sous le pseudonyme de Gérard Michaud.
Compte tenu du contexte de la recherche scientifique des années 1970 et 1980, ce chercheur en sociologie fait aujourd'hui figure de précurseur : connaissant la langue arabe, il attachait une réelle importance à l'étude du « terrain » (il vit au Liban de 1971 jusqu'à sa mort, malgré l'invasion du pays par Israël en 1982 et le contexte de guerre civile), et l'on sait combien cette importance est aujourd'hui reconnue par tous les représentants du monde de la recherche en sciences sociales lorsque les travaux portent sur une aire culturelle spécifique.
Ce recueil nous semble être traversé par la volonté centrale de comprendre les rapports entre société et État au Moyen-Orient (et plus spécifiquement en Syrie). Ainsi, on s'intéressera dans un premier temps à comprendre les cadres théoriques et conceptuels que mobilise Michel Seurat afin de déterminer dans quelle mesure ils contribuent à la fertilité de sa production scientifique. En second lieu, on montrera la diversité de plans sur lesquels se place Michel Seurat . Il semble en effet que l'auteur s'attache à tenter d'expliquer la réalité de manière plurielle : une vision dichotomique ne peut suffire à saisir la complexité de la situation au Moyen Orient. Il est alors important de prendre en compte à la fois la diversité des lignes de clivages d'une société et l'imbrication des situations en faisant varier les échelles d'analyse. Ces deux dimensions nous paraissent primordiales dans la compréhension et dans la richesse de la démarche scientifique de Michel Seurat : elles constitueront l'objet de notre deuxième partie. Enfin, nous nous intéresserons à la pertinence des analyses de l'auteur dans le contexte moyen-oriental actuel, en montrant dans quelle mesure il a contribué à faire avancer la question de l’État et de la société au Moyen-Orient, et a influencé d'autres auteurs qui, à sa suite, se sont intéressé à cette région du monde.
Résumé de l'ouvrage :
Dans la première partie, intitulée De la tyrannie aujourd'hui, composée de six articles portant sur la situation syrienne de 1979 à 1984, l'auteur analyse la structure et les fondements de l'État syrien, les moyens de consolidation de son pouvoir. Il offre également une analyse critique du phénomène de la montée de l'intégrisme musulman, qu'il affirme qu'il doit être compris non pas comme un mouvement purement religieux mais comme le réveil de la communauté musulmane sunnite (qui représente environ 75% de la population en Syrie), en réaction au système en place. Il ne tombe pas pour autant dans dans le travers qu'il dénonce au début du premier article: celui de cautionner les actions violentes et répressives de l'État sous le prétexte de maintenir sous contrôle de violents extrémistes religieux.
La seconde partie regroupe deux articles de sociologie urbaine sur le thème de « la ville arabe orientale ». Le premier est un texte général, tandis que le second présente une étude de cas du quartier de Bâb Tebbâné à Tripoli au Liban. Celui ci constitue son travail le plus abouti, notamment dans l'utilisation du cadre conceptuel khaldounien (dont nous auront l'occasion de reparler), qu'il enrichit des données concrètes du terrain.
La troisième partie traite des fondements socio-historiques de la situation politique au Moyen Orient : le premier s'attache à montrer le rôle de la ville de Lyon dans l'installation du mandat français en Syrie, après la première guerre mondiale. Le second traite plus spécifiquement du processus d'industrialisation au Moyen-Orient et du rôle de l’État dans ce processus. Enfin le troisième article se penche sur les rapports entre paysannerie et État en Syrie. Dans les deux derniers, c'est encore la question de l’État au Moyen Orient, et de ses rapports à la société ou « société civile », qui constitue le point central de son étude.
Enfin la quatrième partie reproduit la préface du livre de Ghassan Kanafani dont il a fait la traduction, Des hommes dans le soleil (Paris, Sindbad, 1977). Poète palestinien engagé, Ghassan Kanafani fut assassiné par les services secrets israéliens en 1972. Michel Seurat lui rend ici hommage en développant une interprétation de son œuvre, et en retraçant parallèlement la vie de l'auteur et la naissance et l'histoire du mouvement de résistance palestinien, qui connaît, au moment de la rédaction de l'article, de grosses difficultés après l'abandon de ses soutiens. Michel Seurat témoigne ici son attachement à la cause palestinienne et à l'idéologie de la Résistance, et s'engage résolument à ses côtés, sans pour autant en masquer les zones d'ombres (et l'on voit toujours ici son refus d'une conception manichénne simpliste).
Les influences théoriques de Michel Seurat
L'influence des cadres de pensée marxistes
On peut tout d'abord noter l'influence des cadres de pensée marxistes de Michel Seurat, qui s'inscrivent dans le contexte intellectuel et politique « post - soixhuitard »[1] des années 1970 et 1980, et qui sont donc liés aux enseignements qu'il a reçus dans le monde universitaire français. Plus spécifiquement, on se penchera sur deux notions qui sont à de nombreuses reprises mobilisées par le chercheur, et qui renvoient à ces références théoriques. La première, c'est l'analyse de la société en terme de classe, que l'on constate plus spécifiquement dans la partie III : Les Aléas du développement.
Par exemple dans l'article Paysan et État en Syrie, en retraçant l'histoire de la condition paysanne depuis l'indépendance de la Syrie (donc avec l'arrivée au pouvoir du parti Baas en 1963, la prise de pouvoir de Hafez al Assad en 1970, et les différentes réformes agraires), il tente de décrire la formation d'une « classe paysanne ». Mais il constate lui même que cette évolution ne va pas dans le sens d'une telle formation. Tout d'abord parce que la question rurale est d'abord une question politique (et non une « question de classe », qui se base sur les rapports de production), et que le « mouvement paysan » est en rapport direct avec l’État, en tant que masse et non par le biais de modes d'affiliation traditionnels (famille, confession...) ou modernes (syndicats...), quant à l'Union des paysans, elle constitue non pas une structure visant à défendre l'intérêt du groupe concerné, mais bien une corporation qui permet un encadrement étatique. Ensuite, car c'est toujours l’État (selon le modèle du despotisme oriental, concept également marxisant dont nous développeront l'utilisation dans un second temps) qui garde une main mise sur les terres cultivables (et non une grande bourgeoisie foncière plus ou moins indépendante, ou encore la paysannerie elle même). L'État y parvient par le biais de multiples moyens : impératifs de production (selon le système de planification), fixation des prix, remise automatique à l’État de tous les bien produits (pour les cinq produits principaux : blé, coton, lentilles, betteraves et orge), interdiction faite aux paysans de toute commercialisation marginale de ces mêmes produits, menace d'une expropriation en cas de non respect des règles fixées par l'État... A la fin de l'article, il considère lui même la possibilité d'une « action de classe » comme irréalisable, compte tenu du constat de « l'absence d'autonomie de cette classe nouvelle par rapport à l’État »[2]. On voit donc que Michel Seurat constate lui même les limites de la dimension opérationnelle d'une analyse en terme de classe sociales dans le contexte rural syrien.
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