La conquête de l'Angleterre par Guillaume de Normandie en 1066 selon Guillaumes de Jumièges

COMMENTAIRE

LA CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE (XIe siècle)

La conquête de l'Angleterre par Guillaume de Normandie (1065-1066) d'après Guillaume de Jumièges

                Il y a 878 ans avant le débarquement de Normandie par les Alliés lors de la Seconde Guerre Mondiale, un duc Normand prénommé Guillaume mène une opération en sens inverse, c'est-à-dire la conquête  de l'Angleterre, épisode de l'histoire qui marquera les mentalités et les mémoires des anglo-saxons dont ils en gardent un mauvais souvenir.

        Guillaume II de Normandie, dit le « Bâtard » ou le Conquérant, né vers 1027 et mort en 1087, est le fils de Robert le Magnifique et de Herlève, la concubine de ce dernier. Il devient Duc à la mort de son père en 1035, à l'âge de huit ans, mais devra faire face à des luttes seigneuriales pendant plusieurs années. Il remporte sa plus grande bataille en août 1047 à Val-ès-Dunes face à des barrons Normands rebelles. Il faudra attendre vers le début des années 1050 pour que son autorité soit rétablis dans tout le duché. Son histoire, sa vie est surtout marqué et connu par sa conquête de l'Angleterre (d'où son diminutif de «le Conquérant»), dont il en devient roi en 1066. Cet épisode de l'histoire a été écrit par de nombreux auteurs notamment Guillaume de Jumièges dont nous avons un extrait issu de son livre Gesta Normannorum ducum (Histoire des Ducs Normands – Geste des Ducs Normands), il le dédie « à Guillaume, pieux, victorieux et roi orthodoxe des Anglais » (Extrait de la Lettre à Guillaume de Normandie dans la Gesta Normannorum ducum). Guillaume de Jumièges, surnommé «Calculus» (né vers 1000 – mort après 1070) est un moine et chroniqueur normand contemporain de la conquête de l'Angleterre. Il rentre dans le monastère de Jumièges sous la direction de Thierry de Mathonville. Il est connu pour son écrit Gesta Normannorum ducum, rédigé entre 1050 et 1060, en s'inspirant du livre Historia Normannorum (Histoire de la Normandie) de Dudon de Saint-Quentin. On pense que Jumièges a révisé et abrégé l’œuvre de Dudon en rajoutant les règnes de quatre ducs normands de Robert II à Guillaume II le Bâtard par la suite. Son œuvre connaît un grand succès au Moyen Âge dont nous conservons quarante-sept manuscrits. Notre extrait est issu du livre VII, écrit entre 1067 et 1070, qui est consacré à la vie de Guillaume le Conquérant. C'est ce dernier qui fait la demande au moine normand de Jumièges de rajouter l'épisode de la conquête de l'Angleterre pour faire valoir ses droits au trône anglais et légitimer sa soit disant « conquête » car, lors de la période de rédaction de ce passage, Guillaume, maintenant Roi d'Angleterre depuis 1066 doit faire face à des révoltes anglo-saxonnes dont la première rébellion a lieu à Exeter, bastion de la résistance, dans le sud-ouest de l'Angleterre en 1067-1068, facilement remportée, mais la plus dure fut celle au Nord du pays à la fin des années 1060 dont Guillaume réprime et ravage systématiquement. Il y a plusieurs raisons à ces révoltes dont la principale cause est la présence de l'occupation militaire normande. Notre document historiographique, issu des chapitres 31 à 37 (livre VII), raconte l'histoire de la conquête de l'Angleterre par Guillaume de Normandie dont l'auteur présente les différentes causes et étapes de cette guerre et cherche ainsi à transmettre les faits importants de ce moment historique de l'histoire des Normands mais surtout à légitimer le pouvoir du nouveau roi dans cette période de troubles dont nous avons présenté auparavant, il fait cela au nom de la postérité.

        Nous pouvons donc nous poser la question de savoir comment Guillaume de Jumièges, moine Normand contemporain des faits, décrit-il la conquête du trône d'Angleterre par Guillaume II de Normandie ?

        Pour réponde à la problématique, nous verrons tout d'abord que l'auteur présente Guillaume comme étant l'héritier légitime face aux autres prétendants dans un contexte de crise de succession, ensuite nous étudierons la stratégie du duc Normand en présentant la préparation du débarquement et les autres événements de la guerre successorale, et pour finir, Guillaume de Jumièges donne au duc une image « victorieuse », en passant de la bataille d'Hastings au couronnement de Guillaume le Conquérant.

I – Guillaume II de Normandie, l'héritier légitime ?

        Guillaume de Jumièges présente Guillaume le Bâtard comme étant le seul héritier au trône d'Angleterre face à deux prétendants dont l'auteur oublie de le préciser leur statut d'héritier dans son écrit. Cette période, qui s'étend de 1065 à 1066, est considéré comme une crise de succession entre les trois protagonistes après la mort du roi Édouard.

        A – Guillaume, l'héritier choisi par Édouard

        Guillaume de Jumièges commence par dire à la première ligne que le «roi des Anglais» Édouard le Confesseur (1042-1066), marié à Édith de Wessex, sœur de Harold Godwinson, se trouve « par les dispositions de la Providence sans héritier direct » car selon certains écrits, comme étant un homme pieux, il n'aurait jamais consommé son mariage. Le souverain décide, comme le sous-entend l'auteur, d'envoyer deux ambassades pour prévenir son cousin qu'il sera l'héritier du trône d'Angleterre à sa mort (l.1 à 14). La question est pourquoi ? Rappelons que lui et sa famille, son père Aethelred le Malavisé (roi d'Angleterre de 978-1013) et sa mère Emma de Normandie, grande tante de Guillaume II de Normandie, ont été chassés du trône d'Angleterre par Sven Ier roi du Danemark en 1013. Édouard trouve refuge à la cour normande et y reste presque trente ans avant de retourner dans son pays pour y être couronné roi en 1042. Il est « normanophile » et décide à son retour d'amener des amis Normands comme Robert de Jumièges (ou Champard) et le nomme archevêque de Cantorbéry en 1051, dont certaines familles aristocratiques comme les Godwine ne supportent pas la présence normande à la cour. Ce dernier est envoyé en ambassade auprès du «duc Guillaume et institué le duc héritier du royaume que Dieu lui avait confié »(l.3). Nous pouvons dater cet événement vers 1052 mais nous voyons que l'auteur précise que Dieu avait choisi de «confier» le royaume au duc de Normandie, comme si c'était une volonté de Dieu. Il veut montrer que Guillaume le Bâtard était l'«élu de Dieu» au trône d'Angleterre.

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