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Journal De Guerre

Note de Recherches : Journal De Guerre. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  9 Mai 2013  •  2 855 Mots (12 Pages)  •  1 055 Vues

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1er SEPTEMBRE't

A 10 h. du matin je déjeune chez « Rey 2 »; pour la première

fois depuis de longs jours je suis vraiment de bonne humeur, je

sens l'ensemble de ma vie autour de moi tout équilibrée et heureuse.

Le journal annonce les revendications d'Hitler; aucun

commentaire, on ne souligne pas le caractère inquiétant des

nouvelles, on ne parle pas non plus d'espoir. Impression

trouble. Je m'en vais vers le « Dôme », désoeuvrée, incertaine.

Peu de monde. J'ai à peine commandé mon café qu'un garçon

annonce « Ils ont déclaré la guerre à la Pologne »; c'est un

client à l'intérieur qui a Paris-Midi; on se rue vers lui et aussi

vers les kiosques à journaux où Paris-Midi n'est pas arrivé. Je

me lève, je cours vers l'hôtel pour attendre Sartre. Les gens ne

savent encore rien, ils sourient dans la rue comme tout à

l'heure. Personne dans l'hôtel, je monte, je lis Marianne-

Magazine pour passer le temps; par instants l'évidence mais

ça y est, c'est la guerre. Je sors de nouveau, quelques types ont

Paris-Midi, on les arrête pour voir le titre. Je reviens chez moi

une seule idée attendre, revoir Sartre au plus vite. Il arrive à

midi. On cherche les musettes, les souliers dans la cave.

1. A partir de cette date jusqu'au 5 novembre, ce journal est très partiellement

cité dans La Force de l'âge.

2. Brasserie«Aux Trois Mousquetaires», avenue du Maine.

3. L'hôtel « Mistral », 24, rue Cels, où ils étaient installés depuis octobre

1937.

Extrait de la publication

J'aperçois nos deux paires de skis dans un coin, ça me fend le

coeur. José est décomposé. Sartre me donne rendez-vous à

2 h. 1/2 et je vais en taxi retrouver Sorokine 2. On va au

« Murat », on mange des gâteaux; c'est désert et sinistre; la

mobilisation n'est pas encore affichée; pourquoi? on aimerait

mieux savoir une bonne fois. Je lui fais la conversation sans

trop de peine; je ne pense presque rien. De temps en temps un

peu d'hébétude. On sort pour voir s'il y a des nouvelles; il n'y a

rien. Je la quitte et m'assieds au « Viaduc» au pied du métro

Passy. Passy est absolument désert, toutes maisons fermées, pas

un piéton dans les rues; mais un interminable défilé d'autos sur

le quai, pleines de valises et parfois de mômes; il y a même des

side-cars. Sartre arrive avec sa musette la mobilisation est

décrétée. Les journaux annoncent qu'elle a lieu à partir de

demain; ça nous donne un peu de temps. On passe à l'hôtel.

Sartre a quand même peur d'être en retard à son centre de rassemblement.

On part sans musette, en taxi, vers la place

Hébert; c'est vers la porte de la Chapelle une petite place un

peu difficile à trouver. Elle est vide. Il y a un poteau au milieu

avec une pancarte « Centre de rassemblement 4» et en dessous

de la pancarte deux gendarmes. Nous tournons un peu autour

d'eux. On vient de coller des affiches au mur, nous allons voir

un grand appel à la population parisienne, sabré de bleu-blancrouge,

et plus modeste, l'ordre de mobilisation décrétée à partir

du 2 septembre 0 h. Sartre joue « Mr. Plume3 mobilisé », il

s'approche des gendarmes et montre son fascicule en réclamant

avec modestie d'être expédié à Nancy. « Venez dès 0 h. si vous

voulez» dit le gendarme « mais nous ne pouvons pas faire un

train pour vous tout seul.» On convient de revenir à 5 h. du

matin. Nous partons à pied vers les boulevards de Montmartre;

on achète un couteau à une horrible femme à barbe et je mange

un peu au « Dupont »; je ne me sens pas émue mais je peux

mal manger. On va en métro au café « Rey », puis à pied au

1. Employé de l'hôtel.

2. Nathalie Sorokine (Lise Oblanoff dans La Force de l'âge), élève de S. de

Beauvoir au lycée Molière l'année précédente.

3. Personnage de Michaux.

Extrait de la publication

café de « Flore ». Sonia est superbe, avec un foulard rouge dans

les cheveux, et Agnès Capri printanière avec un chapeau de

bergère à grand ruban blanc; une femme qui a plutôt l'air

d'une dure a les yeux pleins de larmes. L'optismisme cède un

peu. « Cette fois ça a l'air plus sérieux» dit un garçon; mais les

gens restent souriants. Nous sommes fatigués. Je ne pense

...

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