Expedition d'Egypte de Bonaparte 1798 - 1801

HISTOIRE

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Henry Laurens

L’Expédition d’Egypte

1798 - 1801

I) L’Expédition

Géopolitique des Lumières :

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la géopolitique mondiale subit des

transformations majeures. Après une longue période de stabilité depuis les

Grandes Découvertes, la situation se modifie rapidement. L’Amérique devient

progressivement moins accessible aux ambitions européennes. La guerre de

Sept Ans (1756-1763) éjecte les Français d’Amérique du Nord, et la guerre

d’Indépendance des États-Unis entraîne une réduction de l’influence anglaise

dans ses colonies, augurant une possible autonomie des possessions restantes.

On prédit également que l’Amérique latine suivra l’exemple de l’Amérique du

Nord, ce qui marque la fin du premier empire colonial des puissances maritimes

européennes. Parallèlement, le terme “Occident” commence à supplanter celui

d’“Europe” pour désigner la sphère d’influence de la culture européenne.

La stagnation de l’Ancien Monde

L’Ancien Monde, en revanche, reste relativement inchangé depuis le XVIe

siècle. Si l’Europe connaît une expansion initiale, elle est suivie d’un repli. La

Chine et le Japon se ferment, tandis que l’Empire ottoman et la Perse limitent

les contacts avec l’Europe à des relations commerciales et diplomatiques. En

dehors de quelques archipels et régions d’Afrique, la véritable implantation

territoriale européenne est marginale. Une exception notable est l’Inde, où

l’effondrement de l’Empire moghol permet aux puissances européennes,

notamment la France et l’Angleterre, de se disputer le contrôle du commerce.

L’Angleterre s’impose au cours de la guerre de Sept Ans, et devient une

puissance territoriale dans le sous-continent, contribuant à l’émergence d’un

nouvel équilibre politique en Asie.

L’Empire ottoman en déclin

L’Empire ottoman, malgré son influence encore significative, commence à

montrer des signes de déclin. La décentralisation politique, amorcée dès le

XVIe siècle, culmine au XVIIIe siècle avec l’autonomie croissante des

gouverneurs de province. Bien que ces gouverneurs restent sous l’autorité

théorique du pouvoir central, les rivalités internes affaiblissent l’Empire. De

plus, l’armée ottomane, autrefois redoutée, devient progressivement

désorganisée, tandis que la population stagne en raison de la peste et des

conditions agricoles difficiles.

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Les guerres de 1768-1774 et de 1787-1792 mettent en lumière la faiblesse de

l’Empire ottoman face à la Russie et à l’Autriche, qui cherchent à s’emparer des

Balkans. La France, elle-même en proie aux troubles de la Révolution, est

contrainte de se désengager, laissant l’Empire ottoman dépendre des nouvelles

puissances comme la Prusse et l’Angleterre.

La France et l’Orient

À la veille de la Révolution française, la « question d’Orient », c’est-à-dire

l’avenir de l’Empire ottoman, est perçue comme la question politique majeure.

La France, grâce à son réseau commercial établi dans le Levant, reste un

partenaire clé de l’Empire ottoman, mais la menace d’une dislocation de cet

empire alimente les débats au sein de la classe politique française. Certains,

appelés les interventionnistes, estiment que la France doit s’engager dans une

conquête coloniale pour compenser la perte des îles à sucre, tandis que d’autres,

comme Vergennes, plaident pour une approche plus modérée, en soutenant la

modernisation de l’Empire ottoman de l’intérieur.

L’émergence du concept de civilisation

À la fin du XVIIIe siècle, le débat sur l’Orient dépasse la simple sphère

politique et touche aux fondements de l’analyse sociale et culturelle. La

domination coloniale n’est plus justifiée par des raisons religieuses, mais par un

nouveau concept : celui de la civilisation. Cette idée prend forme à partir de la

reconnaissance de la supériorité matérielle de l’Europe par rapport aux autres

aires culturelles. Les penseurs des Lumières, et plus tard les idéologues de la

Révolution, développent l’idée que la civilisation européenne est le produit

d’une évolution historique de la raison, née en Égypte, passée par la Grèce et

Rome, puis transmise aux Arabes avant de trouver son expression définitive en

Europe.

La hiérarchie des cultures

Cette vision hiérarchisée du passé permet aux Européens de

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