« Idées religieuses des Tchouktchis » de W. Bogoraz
Fiche de lecture : « Idées religieuses des Tchouktchis » de W. Bogoraz. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar loutronne Bouckyse • 20 Décembre 2023 • Fiche de lecture • 3 941 Mots (16 Pages) • 147 Vues
Dossier pour la validation du séminaire
« Histoire de la Pensée Anthropologique »
Fiche de lecture sur l’article de W. Bogoraz
« Idées religieuses des Tchouktchis »
Christine Laurière
Semestre 1
2015/2016
Master 1 Ethnologie et Anthropologie sociale
EHESS
Sommaire
Introduction 1
Biographie de Bogoraz et contexte de l’article 1
Les stades dans l’évolution de l’animisme chez les Tchouktches 3
Cosmogonie et pratiques des Tchouktches 6
Conclusion 8
Introduction
Vladimir Bogoraz (1868-1936) est un des fondateurs de l'ethnographie russe, discipline qui se développa, comme en France, au début du XXème siècle. Outre ses écrits littéraires publiés sous le pseudonyme de Tan, Bogoraz était reconnu pour être le spécialiste des Tchouktches, un peuple de pêcheurs et d'éleveurs de rennes nomades vivant à l'extrême nord-est de la Sibérie à proximité du détroit de Béring. L’article que nous présentons ici, « Idées religieuses des Tchouktchis », fut un des premiers articles, et le seul traduit en français, qu'il publia sur la religion de ce peuple peu connu à cette époque. Il fut publié en 1904, dans la revue Bulletins et Mémoire de la société d’anthropologie de Paris et fut traduit du russe en français par le président de la Société d’Anthropologie de Paris, M.J. Deniker. Cette Société fut fondée en 1858, dans le but de rassembler et de publier les travaux internationaux dans les sciences dites « naturelles » de l’homme, notamment l’anthropologie biologique.
Bogoraz y développe l'analogie de la vie de la Nature et celle de l'homme sous forme de stades et décrit différents éléments de la cosmogonie et des pratiques religieuses. Nous nous intéresserons en premier lieu au parcours de l’auteur et au contexte dans lequel l'article fut écrit. Puis, nous verrons quels paradigmes anthropologiques influencent les idées de Bogoraz (évolutionniste et diffusionniste) et ce que son travail apporte, au niveau méthodologique et théorique, à l’anthropologie aujourd’hui.
Biographie de Bogoraz et contexte de l’article
Vladimir Bogoraz (Waldemar Bogoras ou Tan) débuta ses études de droit, à Saint-Pétersbourg. Militant du mouvement révolutionnaire anarchiste Narodnaïa Volia, il fut emprisonné pendant onze mois puis arrêté une deuxième fois et exilé en Iakoutie (République de Sakha, nord-est de la Sibérie) pendant 10 ans de 1889 à 1899. Chargé d’une mission de la part de la Société Russe de Géographie de St Pétersbourg (créée en 1854), il occupa ses années d'exil à observer plus particulièrement le peuple des Tchouktchis (aussi appelés Tchouktches ou « Chukchee » en anglais), dont la linguistique et la religion.
Bogoraz est, avec Lev Sternberg qu’il rencontra pendant son exil et Vladimir Jochelson, un des pionniers de l'ethnographie russe. Cependant, les trois scientifiques étaient aussi très liés à l'anthropologie américaine et eurent une influence importante dans la discipline. En effet, à la fin de son exile en 1899, le chercheur fut invité, toujours avec Sternberg et Jochelson, par le Museum Américain d'Histoire Naturelle de New York afin de participer à l'expédition « MK Jesup »[1] (appelée « Jesup North Pacific Expedition » en anglais), dirigée alors par l'anthropologue Franz Boas. A partir de 1900, Bogoraz partit ainsi étudier les peuples de la partie extrême de la Sibérie (détroit du Béring), à savoir les Tchouktches et Yupiks (appelés aussi Esquimaux). Jochelson était chargé de son côté de collecter des données sur les peuples des Tongouzes et Koryaks dans la même aire géographique que Bogoraz. L’expédition, qui débuta en 1897 et réunissait une quinzaine d’autres chercheurs outre-Atlantique, avait pour objectifs de rassembler plus de données sur les peuples du nord-est de l'Asie (la partie au nord du fleuve Amour) et de comparer ces connaissances et les traits culturels aux observations effectuées en Amérique du Nord. Parmi les peuples étudiés se trouvent en outre les Aïnous, les Evenks et les Itelmènes du côté sibérien et les Haida, Kwakiutl, Inuit d’Alaska et autres peuples de la Colombie-Britannique (nord-ouest du Canada). Franz Boas effectua lui-même un terrain chez les Kwakiutl.
Ainsi le but premier de cette collecte de données était de trouver l’origine des peuples d’Amérique du Nord et les liens, biologiques et culturels, que ceux-ci pouvaient avoir avec les peuples de l’Asie du Nord-Est. C’est aussi une ethnologie de sauvegarde qui se mettait en place, sous le paradigme du diffusionnisme, soutenu par Boas et dont l’influence méthodologique nous le verrons plus tard se fait sentir dans le travail de Bogoraz. Derrière le postulat diffusionniste se trouve l’idée que toutes les civilisations étaient liées entre elles et par conséquent qu’il fallait observer les ressemblances des traits culturels entre les sociétés. L’approche de Boas est une approche contextuelle qui prône le relativisme culturel et met en avant l’importance de la littérature orale et le « Native Point of View » (le point de vue indigène). C’est dans ce contexte que Bogoraz effectua son deuxième terrain ethnographique chez les Tchouktches dont le résultat fut, en plus de l’article présenté ici, une monographie tripartite The Chukchee (1904-1909).
La situation politique du tsarisme devenant trop tendue pour lui, il quitta la Russie pour New York en 1902 mais décide de revenir définitivement en 1905. Il devint professeur d'ethnologie à l’Ecole d’Ethnographie de Leningrad à partir de 1922 et fut un membre important du Comité du Nord (« Committee of the North » ») et de l’Institut des peuples du Nord (Institute of the Peoples of the North »), deux institutions qui favorisèrent l'intégration des peuples de Sibérie dans l'Union Soviétique et leur garantirent un meilleur accès à l’éducation. Seulement, bien que Bogoraz permit l’institutionnalisation et la professionnalisation de l’ethnologie en Russie comme Franz Boas le fit aux États-Unis, ses travaux comme ceux sur la religion tchouktche, sur le peuple des esquimaux de Sibérie, la mythologie et la littérature orale, ont tous, ou presque, été publiés aux États-Unis, dans des revues telles que Memoirs of the American Museum of Natural History, American Ethnological Society Publications, Journal of American Folk-Lore, la revue de la Smithsonian Institution, etc. Malgré ses opinions politiques tournées vers le populisme et le communisme, Bogoraz avait pris la décision même après la mise en place du régime soviétique, de séparer ses idées politiques de ses travaux ethnographiques.
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