La révision pour imprévision
Dissertation : La révision pour imprévision. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Côme de la Houplière • 4 Décembre 2024 • Dissertation • 9 238 Mots (37 Pages) • 15 Vues
L'article 1103 du Code civil énonce que « les contrats tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits », consacrant ainsi le principe pacta sunt servanda. Toutefois, les aléas des affaires peuvent bouleverser l'équilibre initial d'un contrat, rendant son exécution excessivement onéreuse pour l'une des parties. Avec la réforme du 10 février 2016, le législateur est venu consacrer dans le droit commun la révision judiciaire pour imprévision, une rupture historique avec l’arrêt Canal de Craponne (6 mars 1876) qui faisait alors loi[a].
La révision contractuelle [b]désigne l’adaptation ou la modification des termes d’un contrat initialement conclu pour ajuster ses effets en fonction de nouvelles circonstances, souvent imprévues. [c]L’imprévision se caractérise par une situation dans laquelle des circonstances imprévues et extérieures perturbent l’équilibre initial du contrat. Dans certains cas, les parties insèrent des clauses de renégociation (dites clauses de hardship) pour anticiper la possibilité d’une révision en cas de changement significatif et imprévisible des conditions. Quid en l’absence de telles clauses ? La réforme de 2016, réforme globale du droit des [d]contrats, de la preuve et du régime général des obligations, est venue introduire à l’article 1195 la révision pour imprévision. Un mécanisme permettant aux parties ou au juge de rééquilibrer un contrat devenu excessivement onéreux à exécuter à causes de phénomènes imprévus, révision strictement limitée aux cas d'imprévisions[e].
La Cour de cassation a d’abord sacraliser l’intangibilité contractuelle. Dans l’arrêt Canal de Craponne (1876), la Cour de cassation a statué que, même face à un bouleversement des circonstances économiques, le juge ne pouvait modifier les clauses contractuelles. En l’espèce, un contrat datant de trois siècles, prévoyant une redevance fixe pour l’entretien et l’irrigation des plaines, s’était révélé économiquement déséquilibré en raison de l’érosion monétaire. La Cour d’appel avait accordé une révision de la redevance au propriétaire du canal. Pourtant, la Cour de cassation cassa l’arrêt en rappelant que « quelque équitable que puisse paraître la solution, le juge ne peut tenir compte du temps ou des circonstances pour modifier les stipulations des parties », consacrant ainsi la force obligatoire des contrats (article 1134 ancien). Cette position s’est confirmée dans des arrêts ultérieurs, tels que l’arrêt de la chambre commerciale en date du 10 juillet 2007, dite Les Maréchaux, où la Cour a réaffirmé que toute intervention judiciaire dans le contenu du contrat porterait une « atteinte à la substance même des droits et obligations convenus ». Une vision stricte de la sécurité juridique et du respect du pacte contractuel initial, rendant inapplicable la révision pour imprévision.[f]
Ce mécanisme n’est pas nouveau. Le Conseil d'État dans son arrêt du 30 mars 1916 dit “Gaz de Bordeaux”, admettait la révision pour imprévision en matière administrative. Le droit allemand autorisait dès 1993 ce mécanisme, dit localement “Störung der Geschäftsgrundlage”, soit la perturbation de la base contractuelle.
Si ce mécanisme vise à rétablir l’équilibre initial convenu entre les parties, conforme à l’exigence de bonne foi (article 1104), il porte atteinte au principe d’intangibilité contractuelle (article 1103 du code civil) en venant redéfinir une nouvelle loi autre que celle convenue. Dans enjeux, définir force obligatoire
Dans quelle mesure la révision judiciaire pour imprévision, consacrée par la réforme de 2016, porte-t-elle une atteinte nuancée au principe de force obligatoire des contrats ?
la réforme consacrant la révision pour imprévision porte t elle atteinte à la force obligatoire?
Bien que le cadre strict de l'article 1195, issu de la réforme de 2016, limite l'atteinte à la force obligatoire du contrat (I), dans ses effets, l’atteinte demeure néanmoins notable (II).
I. Un cadre strict, limitant l’atteinte à [g]la force obligatoire du contrat
La réforme de 2016 marque une rupture historique avec la tradition juridique française, longtemps fondée sur le principe de l'intangibilité contractuelle. Si l'article 1195 du Code civil introduit la possibilité de réviser un contrat pour imprévision, ce mécanisme reste encadré de manière rigoureuse, dans le fond, par des conditions strictes restreignant son applicabilité (A) et dans la forme, par une procédure graduée réduisant l’intervention judiciaire dans la révision (B)
A) Des conditions cumulatives strictes restreignant l’applicabilité de la révision pour imprévision[h]
La réforme de 2016 est venu consacrer dans le droit commun un mécanisme de révision pour imprévision limitée dans son applicabilité à la réunion de conditions cumulatives strictes (2)[i]. Par ailleurs, la révision s’avère inapplicable dans les cas où l’exécution de la prestation est rendue totalement impossible, relevant alors de la force majeure (2[j])
La réforme de 2016 a bouleversé cette approche en permettant une révision judiciaire pour imprévision limitée dans son applicabilité à la réunion de quatre conditions cumulatives, destinées à éviter une intervention systématique du juge. [k]
La révision pour imprévision requiert de prime abord un changement de circonstances. Le terme « changement » dans l’article 1195 est neutre et n’exige pas une soudaineté particulière : un changement progressif peut suffire. Les « circonstances » désignent des faits externes impactant l’exécution du contrat. Ce champ est large et inclut des éléments commerciaux, financiers, normatifs ou technologiques. En outre, ce changement doit être qualifié d’imprévisible. L’imprévisibilité doit s’apprécier lors de la conclusion du contrat. Il s’agit de déterminer ce qu’un professionnel prudent aurait pu raisonnablement anticiper. En cas de reconduction tacite, l’imprévisibilité est analysée à chaque renouvellement contractuel. La condition reste cependant délicate à analyser. Dans un monde où les données économiques sont de plus en plus accessibles, la frontière entre prévisible et imprévisible est floue[l]. -> pas atteinte force obligatoire Le changement doit entraîner un déséquilibre économique significatif, rendant l’exécution excessivement onéreux pour une partie au contrat. Le juge appréciera ce critère en tenant compte de l’équilibre commercial initial et des perspectives de rentabilité mutuelles. Dans l’arrêt Tribunal judiciaire de Paris en date du 15 novembre 2023, la société requérante, Le Figaro, a demandé la révision d’un contrat pour imprévision au motif que la pandémie liée au Covid 19 a augmenté significativement les prix du papier (80 %). Répercussion qui n’a pû être prise en compte par les sociétés contractantes. [m]-> pas atteinte force obligatoire Enfin, la révision est limitée par l’acceptation du risque. L’article 1195 n’est pas d’ordre public. Les parties peuvent librement y déroger par des clauses spécifiques. Si l’une des parties accepte contractuellement le risque, elle ne peut plus invoquer l’imprévision. Dans l’arrêt Tribunal judiciaire de Paris en date du 15 novembre 2023, la société requérante, Le Figaro, n’a pu obtenir la révision de son contrat pour imprévision - bien que l’augmentation des prix ait été imprévisible et onéreuse - parce que la société avait accepté les fluctuations des coûts par une clause contractuelle.[n] -> pas atteinte force obligatoire
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