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Les Mémoires d'Hadrien / Yourcenar

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Par   •  17 Mars 2022  •  Dissertation  •  5 362 Mots (22 Pages)  •  603 Vues

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                                Correction Yourcenar

Introduction

        Mémoires d’Hadrien expose les différentes facettes d’un même personnage : prince, voyageur, lettré et amant. Mais si l’on observe la répartition du livre en chapitres, on s’aperçoit que les titres des chapitres empruntés aux monnaies du règne soulignent principalement son activité d’empereur, en mettant en valeur les différentes périodes de son règne   : Tellus stabilita, Saeculum aereum, Disciplina augusta et Patientia. C’est ce rapport que le sujet choisit d’étudier : le rapport entre empereur et empire. Les deux noms aux mêmes radicaux possèdent en fait par leur étymologie latine une évolution similaire : l’imperator est déjà à Rome celui qui commande, puis le général en chef (définition chez César, en BC 3, 51, 4 : « libere ad summam rerum consulere debet.) avant d’être l’empereur chez Suétone et Pline le Jeune. L’imperium signifie le commandement, le pouvoir souverain de prendre toutes mesures d’utilité publique, même en dehors des lois. Il signifie empire au même moment où imperator signifie l’empereur, chez Suétone et chez Pline le Jeune également. Le sujet nous invite donc à mobiliser toute cette polysémie pour étudier les rapports entre empiereur et empire.

        Une telle étude prend toute sa place dans la classe de première dont le programme propose à la fois « l’étude du personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours » ainsi qu’une réflexion sur la question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe siècle à nos jours », car Mémoires d’Hadrien, œuvre qui traverse les genres, ne peut être cantonnée dans une seule catégorie générique. Les élèves pourront ainsi lire les réflexions d’un personnage historique, devenu le personnage d’une (auto)biographie sur sa fonction d’empereur et l’évolution de son empire.

        Les cinq extraits proposés se répartissent inégalement dans Mémoires d’Hadrien : les quatre premiers extraits appartiennent à la troisième section Tellus stabilita, tandis que le cinquième qui opère un grand saut dans le temps se trouve à la fin du livre dans Patientia. On fera donc observer aux élèves que la réflexion sur l’empire est surtout celle d’un homme heureux de la stabilité de son empire et que celle-ci sera contrebalancée par la réflexion d’un homme, proche de la mort, dont le raisonnement possédera encore plus de réflexivité. Dans le premier, Hadrien justifie la non extension de son empire, contrairement aux entreprises commencées par Trajan juste avant sa mort et présente le rôle de pacificateur d’Hadrien, voulant réconcilier Grecs et Juifs, dans le second, Hadrien réfléchit à l’évolution de Rome dont il refuse qu’elle devienne pétrifiée. Le texte 3 offre une réflexion sur le rôle qu’Hadrien veut faire jouer à l’armée dans l’organisation de l’empire et sur l’évolution de la fonction d’empereur parallèlement à l’évolution de l’empire. Dans le texte 4, Hadrien montre en quoi parce qu’elle s’inscrit dans une sorte de routine, sa fonction d’empereur le fait accéder au rang d’un dieu. Enfin, le texte 5 qui rompt avec les quatre premiers, en tant qu’il porte un regard rétrospectif sur le passé d’Hadrien, proposent une autre réflexion sur le destin de Rome, de la part d’un Hadrien que Marguerite Yourcenar présente comme un prophète.

        Étudier ces textes s’inscrit bien dans une réflexion sur le personnage de roman, dont une des pistes est le personnage historique, mais on montrera aussi aux élèves que Mémoires d’Hadrien n’est en rien un roman historique comme il l’est au XIXe siècle[1], ni ne s’inscrit dans le genre des Mémoires, car, en sa qualité d’empereur, Hadrien ne constitue pas une figure historique de second plan, mais est au contraire le principal agent du livre. L’énonciation à la première personne servirait donc plus une réflexion sur le pouvoir politique que l’écriture autobiographique, posée immédiatement comme fausse, puisque ce n’est pas Hadrien qui écrit ses Mémoires. Les événements narrés le sont avec une subjectivité omniprésente, mais aussi avec une réflexion toute aussi omniprésente, qui peut inscrire le livre dans une réflexion sur la question de l’Homme, fût-il un empereur, que Yourcenar présente aussi comme un homme. L’étude de l’œuvre correspond à la piste 8, qui propose une réflexion sur le pouvoir, à la différence que c’est l’homme qui a le pouvoir qui réfléchit sur le rapport qu’il entretient avec le pouvoir, et dans les termes du sujet, avec l’empire. La réflexion entre les facultés d’un individu et le droit qu’il a de commander aux autres n’est pas le fruit d’un observateur, mais celui de l’agent lui-même qui se donne à lui-même son autorité.

        Nous nous attacherons donc en premier lieu à faire étudier aux élèves comment Hadrien se pose en empereur régnant sur un empire, en tant qu’il le délimite et l’organise. Nous nous attacherons ensuite à faire chercher par les élèves comment l’empereur garantit l’empire en le faisant accéder à la fois à l’unité et à l’universalisme. Enfin, nous ferons en sorte que les élèves voient qu’Hadrien réfléchit lui-même sur les relations entre empereur et empire.

         I. Hadrien : un empereur régnant sur un empire

  1. L’empereur : une partie de l’empire

        Faisons d’abord repérer par les élèves dans le texte 1 l’assimilation de l’empire à un être vivant ou un organisme. Cette ressemblance est posée dès la première phrase : « Le monde dont j’avais hérité ressemblait à un homme dans la force de l’âge, robuste encore, bien que montrant déjà, aux yeux d’un médecin, des signes imperceptibles d’usure, mais qui venait de passer par les convulsions d’une maladie grave ». L’empire est présenté ici comme un « corps-monde malade » selon l’expression de C. Gulslevic, qui contient en lui-même les germes de son déclin et crée un lien entre sa propre agonie et celle, à venir, de l’univers qu’il gouverne. Même si l’empire-homme est encore dans la force de l’âge, une grave maladie-grave rébellion vient de l’ébranler, signe annonciateur de la mort à la fois d’un homme et d’un empire. Il faut montrer aux élèves que cette métaphore s’interrompt pour reprendre à la fin du premier paragraphe : après la paix et la reprise des échanges économiques et spirituels, l’empire recommence à vivre : « le pouls de la terre se remettait à battre ». La métaphore biologique possède ici des connotations positives : elle permet de montrer l’attachement du narrateur à ses origines et souligne qu’il se considère comme une partie de l’empire, avec une fonction à remplir. Tribun ou empereur, il faut que la fonction soit en relation avec le tout et qu’Hadrien ait conscience de remplir un rôle à l’échelle de l’univers et donc dans l’empire. Le fait d’avoir commencé par le repérage d’une métaphore, exercice assez simple, permet d’emblée de poser une relation fondamentale de l’empereur avec l’empire, comme une partie du tout. On peut aussi réfléchir avec les élèves ce que l’établissement de l’image de l’organisme implique pour l’empire romain :  celui-ci ne saurait croître indéfiniment et aurait atteint chez les Antonins une limite indépassable. Ce qui nous amène à voir l’empereur comme un « délimitateur ».

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