La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIème siècle à nos jours.
Cours : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIème siècle à nos jours.. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar mihawk • 13 Mai 2016 • Cours • 2 841 Mots (12 Pages) • 1 314 Vues
Objet d’étude : La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIème siècle à nos jours.
Lecture analytique n°7 :
MONTAIGNE, Les Essais, Livre I, Chapitre XXXI
« Sur les Cannibales » (1595)
Introduction :
C’est au XVIème siècle, en plein milieu des guerres de religion et de l’expansion vers le Nouveau Monde, après avoir lu avec curiosité les récits de Jean de Léry sur les Indiens « Tupinambas », après avoir conversé avec un chef cannibale qu’on avait ramené en France, à Rouen, alors qu’il avait à son service un des compagnons de Villegaignon qui avait mené l’expédition française au Brésil, que Montaigne nous livre le fruit de ses pensées sur les Cannibales. En effet, dans les Essais, de nombreuses pages sont consacrées à la découverte du Nouveau Monde si fascinant : les « coches » et surtout le chapitre XXXI qui traite des « Cannibales », ces Indiens du Brésil dont il dresse un tableau idéalisé qui contribuera à la naissance du « mythe du bon sauvage ». L’extrait que nous étudions se trouve dans le prolongement de ce texte. Ici, Montaigne décrit et commente les mœurs de ces Indiens comme pourrait le faire un ethnologue, puis il compare ces pratiques apparemment barbares à celles de ses contemporains européens. Ces comparaisons aboutissent à une remise en question profonde des notions de « barbarie » et de « civilisation » et conduisent à un relativisme étonnant qui met à bas toute tentation d’ethnocentrisme.
(Lecture du texte)
Problématique :
Comment l’évocation des pratiques cannibales remet-elle en cause les notions de barbarie et de civilisation ?
Axes :
I/ L’éloge du cannibalisme.
II/ La critique de la civilisation européenne.
III/ Une leçon de relativisme : le « barbare » n’est pas celui qu’on croit.
I/ L’éloge du cannibalisme :
- Une leçon d’ethnologie :
- Discours explicatif qui présente les coutumes des cannibales : Présent de vérité générale, 3ème pers. du sg.= souci de donner une description précise et objective des us et coutumes de ce peuple.
- Précision des détails : « tous nus » (l.2), description des armes : « des arcs ou des épées de bois, aiguisées par un bout, à la façon des fers de nos épieux. » (l.2,3). Comparaison de leurs armes avec les nôtres pour être compris par tous = souci didactique + montrer qu’ils ne sont pas si éloignés de nous…
- Le vainqueur pavoise l’entrée de son logis, chez nous = drapeau, chez eux « trophée personnel » = « tête de l’ennemi que l’on a tué » : On peut être choqué mais on doit reconnaître là une similitude de comportement.
- Exposé très précis, méthodique et détaillé des étapes du rituel cannibale :
- Réunion des proches.
- Prisonnier attaché par une corde tenue par son « maître » et l’ami de celui-ci.
- Prisonnier assommé à coups d’épée en présence de toute l’assemblée.
- Le corps du prisonnier est ensuite rôti et mangé par le groupe réuni.
Ce texte permet donc de se représenter clairement les pratiques d’un peuple étranger, aux mœurs très éloignées des nôtres. L’exposé fait déjà penser à ceux de nos ethnologues contemporains…
- Un jugement mélioratif implicite :
On relève cependant dès les premières lignes un lexique mélioratif + construction emphatique qui, d’une manière implicite, vante les qualités des Cannibales :
- « C’est une chose étonnante… pour ce qui est de la déroute et de l’effroi, ils ne savent pas ce que c’est. » = admiration / courage et bravoure de ce peuple.
- Dans l’exposé du rituel, Montaigne insiste sur le fait que le prisonnier, avant le rituel, est bien traité par son « maître », qu’il est considéré comme un être humain et qu’il est respecté : « Après avoir longtemps bien traité, avec tous les agréments … » (l.5,6) = adverbe « bien » +déterminant « tous » = mélioratifs.
- Le prisonnier est respecté, on reconnaît sa force : « il le tient éloigné de quelques pas, de peur d’être blessé par lui » (l.8)
Le tableau que peint Montaigne présente donc déjà les Cannibales comme des hommes dignes d’intérêt, il souligne leurs qualités : bravoure et humanité.
- Un éclairage rationnel sur une pratique apparemment barbare :
- Montaigne ne se contente pas de décrire, il cherche aussi à comprendre et à expliquer cette pratique.
- Sa thèse : le cannibalisme ne répond pas à un besoin de nourriture mais permet de « manifester une très grande vengeance ».
Il ne s’agit donc pas d’un comportement « animal ». Aussi choquant soit-il, le cannibalisme ainsi pratiqué relève d’une coutume propre à une civilisation que nous ne connaissons pas mais qui a ses propres règles.
- De plus la pratique n’est pas « sauvage », elle est cohérente et ritualisée : « grande assemblée des gens de sa connaissance » (l.6), « en présence de toute l’assemblée » (l.9), « en mange en commun » (l.10), « au plus cher de ses amis » (l.8), « envoient des morceaux à ceux de leurs amis qui sont absents »(l.10). On note la présence d’un lexique qui renvoie au groupe social, à des relations humaines (amitié) donc cette pratique permet de renforcer la cohésion sociale, elle est l’expression d’une vengeance symbolique.
Ainsi la présence d’un rituel très structuré, la référence symbolique : manger la chair de l’ennemi, c’est se venger de lui mais c’est aussi reconnaître en lui une force que le groupe s’approprie par cette pratique… Ces remarques prouvent bien qu’on a affaire à une véritable civilisation aussi étrange soit-elle. Cela suscite la réflexion de l’Européen : cela nous dérange, cela nous intrigue et cela nous amène à reconsidérer les pratiques des Européens eux-mêmes.
II/ La critique de la civilisation européenne :
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