Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784
Commentaire d'oeuvre : Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Jeanne Boulangé • 11 Décembre 2020 • Commentaire d'oeuvre • 2 794 Mots (12 Pages) • 619 Vues
Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784.
Acte III, scène 5, extrait (la deuxième partie de la scène).
Explication linéaire : de « Le Comte : Quel motif avait la comtesse pour me jouer un pareil tour ? » à la fin de la scène.
Mouvements du texte : je propose un découpage qui suit le rythme des apartés. Donnez un titre à chaque mouvement.
1-l.1-18 : introduction du dialogue et attaque d’Almaviva envers Figaro
2- l.19- 39 : Critique des rapports Maitre/Valets et de la politique par Figaro
3- l. 39-fin : Découverte des intentions des deux personnages et menaces.
Explication
11-18
l.1-10 : le Comte interroge Figaro et tente de retrouver son ancienne complicité avec le valet. Cette complicité apparaît dans les premières répliques, des lignes 1 à 5 où Figaro, dans la confidence des écarts de son maître, laisse cependant entendre qu'il désapprouve sa conduite.
Ainsi, à la première question de son maître, « Quel motif avait la comtesse pour me jouer un pareil tour ? », Figaro le renvoie à une vérité tacite : « Ma foi, monseigneur, vous le savez mieux que moi. »
Lorsqu'Almaviva prend Figaro à partie sur sa supposée bonne conduite avec la Comtesse, le valet lui délivre une vérité générale : « Le Comte : Je la préviens sur tout, et la comble de présents. Figaro : Vous lui donnez, mais vous êtes infidèle. Sait-on gré du superflu à qui nous prive du nécessaire ? ». La liberté de ton de Figaro et sa sagesse se manifestent ici : si le Comte emploie le verbe « combler », le valet, lui, se contente du verbe « donner », établissant une première nuance. Ensuite, la question posée au maître n'est que rhétorique , et il s'agit en fait d'une vérité générale ( il y en aura beaucoup d'autres dans ce dialogue). Cette vérité générale se repère aisément : emploi du pronom indéfini « on », présent de vérité générale, antithèse frappante « superflu » - « nécessaire ». Que faut-il comprendre, si cette loi générale s'applique à la Comtesse ? Que les présents dont le Comte la couvre sont superflus, et que la fidélité serait nécessaire. En généralisant son propos, Figaro peut donc administrer des vérités au Comte tout en restant dans une certaine prudence.
Dans ce passage, le comte se heurte à la fermeté de son valet qui ne lui donne pas les réponses souhaitées, ce qui provoque une certaine nostalgie de l'époque du Barbier de Séville. L'enchaînement des répliques est fondé sur divers procédés :
- Le Comte :« Autrefois tu me disais tout. Figaro : Et maintenant je ne vous cache rien. » Parallélisme et antihèse : les deux répliques sont liées par un parallélisme de construction rigoureux et par une antithèse, autrefois/aujourd'hui. Le valet établit à nouveau une nuance de sens : « dire tout » et « ne rien cacher » ne veulent pas dire exactement la même chose, et Figaro suggère ainsi qu'il met moins de zèle à tout dire à son maître que dans le passé.
- « Combien la comtesse t’a-t-elle donné pour cette belle association ? Figaro : Combien me donnâtes-vous pour la tirer des mains du docteur ? » Figaro reprend ici le premier mot de la phrase du comte (« combien ») pour ouvrir sa propre phrase : il s'agit d'un procédé de reprise de mots, enrichi par la reprise d'un autre mot, le verbe donner. En outre, Figaro reprend également la modalité interrogative de la phrase, le Comte ne recevant pour réponse qu'une question qui le renvoie lui aussi à la complicité disparue du temps du Barbier de Séville. Dans cette réplique, le valet adresse aussi un conseil à son maître : « Tenez, monseigneur, n’humilions pas l’homme qui nous sert bien, crainte d’en faire un mauvais valet. » Le choix d'énonciation relève d'une certaine prudence, (« N'humilions » pas au lieu de « n'humiliez pas »), et « l'homme », c'est probablement Figaro. Par ce moyen, Figaro recommande donc à son maître un principe de bonne conduite à son égard.
l.11-18 : L'animosité du Comte se fait plus ouverte dans les répliques qui suivent ; chaque réplique contient un reproche adressé au valet :
Almaviva reproche d'abord à son valet son caractère d'intrigant. « Le Comte : Pourquoi faut-il qu’il y ait toujours du louche en ce que tu fais ? Figaro : C’est qu’on en voit partout quand on cherche des torts. » Dans sa réponse, Figaro adopte toujours la même stratégie énonciative et s'interdit de s'adresser directement au Comte ; il a ainsi recours au pronom indéfini « on », qui peut désigner le comte, mais aussi un ensemble beaucoup plus large.
Le comte cherche ensuite à piquer l'amour-propre de Figaro : « Une réputation détestable ! » La phrase du Comte reflète sa suffisance : phrase nominale exclamative, comme s'il ne se donnait pas la peine de dépenser un verbe pour s'adresser à son valet. Avec habileté, Figaro riposte : « Et si je vaux mieux qu’elle ? Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ? » ; au lieu d'attaquer directement son rival, le valet emploie le pluriel, « les seigneurs ». Dictée par la prudence, cette phrase constitue malgré tout une attaque contre l'ordre social. Cette question rhétorique sous-entend que beaucoup de seigneurs ne sont pas à la hauteur de leur réputation, et que leur légitimité n'est pas fondée.(et procédé comique- renversement de la hiérarchie...)
Enfin, Almaviva, non sans cruauté, souligne les échecs de Figaro dans son parcours et ses efforts pour accéder à la fortune : « Cent fois je t’ai vu marcher à la fortune, et jamais aller droit. ». La réplique est cruelle, parce qu'elle suggère que Figaro n'est pas à la mesure de ses ambitions et qu'il est voué à rester subalterne. L'hyperbole « cent fois » s'oppose à l'adverbe « jamais », et met en scène les tentatives infructueuses de Figaro. En guise de réponse, le valet offre une vision désabusée de l'arrivisme : « La foule est là : chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse ; arrive qui peut, le reste est écrasé. » Cette phrase esquisse un tableau de la lutte des ambitieux et de la difficulté d'accéder à la fortune ; l'éloquence du propos repose sur la succession de brèves propositions et sur la reprise anaphorique du pronom « on ». En peu de mots, le valet rend perceptible le règne de la loi du plus fort. C'est en toute logique et avec sagesse que le valet annonce son retrait de cette course à l'ambition : « Aussi c’est fait ; pour moi, j’y renonce. » Ce passage annonce l'un des thèmes du grand monologue de Figaro ( V,3).
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