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Analyse stylistique de "Déjà", de Baudelaire (Le Spleen de Paris)

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Par   •  1 Octobre 2015  •  Commentaire de texte  •  2 381 Mots (10 Pages)  •  9 312 Vues

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Déjà !

Cycle de poèmes de la rêverie extatique : par les paradis artificiels (Enivrez-vous), par la contemplation des hommes (Les Fenêtres), et par la contemplation de la mer (Déjà, qui s’intercale entre ces deux derniers poèmes). Encadrés par deux poèmes de la création artistique, foisonnante et multiforme : Le Thyrse et Le Désir de peindre. Nous avons donc affaire à une certaine coloration thématique, dans le sens de l’irrémédiable. Irrémédiable dans le sens géographique, mais également potentiellement allégorique.

LECTURE

4 Mouvements :

① 2 1ers paragraphes = récit d’une croisière, installé dans une routine collective montrée comme insatisfaisante.

② 3ème et 4ème paragraphe : arrivée en vue de la terre (coupure, événement dans le récit), et réaction des passagers.

③ 2 paragraphes suivants : solitude du sujet poétique. Regret de l’espace de la mer.

④ Espérance d’un renouveau, avec l’arrivée sur la terre ferme

Problématique : Poème placé sous le signe de l’irrémédiable d’une coupure, géographique et exotique, sociologique, et poétique.

① 1ère phrase : emprunte à la topique de la poésie lyrique de la Nature. Dans cet espace poétique le soleil est personnalisé : sujet de la phrase, il régit des verbes d’actions (« jaillir » ou « replonger »), dénotant une certaine vivacité, et peut également être porteur d’émotions (radieux ou attristé, étincelant ou morose, annonçant peut-être plus loin la cyclothymie du sujet poétique). Une certaine emphase caractérise cette phrase, par exemple l’on note l’expansion nominale sous forme de relative « de cette cuve immense de la mer dont les bords... ».

Mais plus intéressant sont les marques subtiles de l’irrémédiable : déjà (3ème mot du poème) en ouverture de phrase, qui conditionne toute la suite, présence du plus-que-parfait (temps qui apporte une nuance aspectuelle d’achèvement au procès du verbe, vu dans une perspective globale), pour ce qui se présente comme un récit au passé. 

Mais aussi de la répétition : plus-que-parfait (qui, outre son aspect d’accompli, est également porteur d’une valeur d’itératif du passé), cent fois (numéral employé non littéralement mais figurativement, apportant un sème d’imprécision de l’itération), comme l’atteste également la structure répétitive de la phrase : schéma syntaxique « cent fois » + « il / le soleil » + double couples d’adjectifs antithétiques (radieux, attristé, étincelant, morose) et synonymiques (radieux / étincelant, attristé / morose) action de monter ou de descendre + milieu d’extraction ou d’immersion, cuve immense + immense bain (figure de chiasme, également, quasi synonymie de cuve et de bain). Notons également la discrète répétition de la séquence phonique apé : « à peine apercevoir ».  

Tension entre l’enfermement dans une boucle temporelle, et l’irrémédiable du révolu, exprimée par les assonances en i et a (vocalisme), l’allitération discrète en m (« cuve immense de la mer », « morose, dans son immense bain ») et alliance de sifflantes (« étincelant et morose, dans son immense bain du soir »).

L’ouverture du poème se fait donc sur une tonalité à la fois lyrique (présence d’une Nature majestueuse, qui baignera tout le poème) et élégiaque (discrète sensation de révolu, perception accélérée du temps qui passe : une seule phrase brosse une étendue de temps répétitive, brosse la totalité du cycle aurore-zénith-crépuscule).

Toujours dans cette idée de répétition imprécise, en écho au cent fois, nous trouvons l’expression « depuis nombre de jours » en ouverture de la phrase suivante. De manière assez inhabituelle dans le recueil, l’énonciation se fait sous forme de « nous » (qui est constitué, dans ce cas présent, d’un je et d’un ils). Ici, nous nous trouvons transporté dans un ailleurs, mystérieux, sur le motif du renversement : « de l’autre côté », « les antipodes », qu’il va s’agir de déchiffrer, d’interpréter. Mais, en rupture avec cette tonalité mystérieuse, quasiment mystique (on parle de déchiffrer l’alphabet céleste, de contempler le firmament, autant d’expressions marquant à la fois une approche occulte du monde qu’une verticalité), la phrase suivante tombe dans une sorte de trivialité (on parle de « gémir » et de « grogner », parole ou plutôt onomatopée bien éloignée d’un alphabet. Corrélée avec la conjonction de coordination et (qui surprend parce que mais, conjonction adversative, serait plus attendue ici), la totalité unie du nous (P4), totalité globale, est segmentée en totalité distributrice : « chacun des passagers », marque de la P3 à sens collectif, mais personne de la délocution : la P1 se détache déjà de ce collectif anonyme des passagers. Et que font ces passagers ? Il « gémissait et grognait », activités antipoétiques par excellence. « chacun des passagers gémissait et grognait » Phrase d’ailleurs marquée par un certain effort articulatoire, avec beaucoup de sifflantes et de chuintantes. Cette phrase opère une première disjonction, une première rupture, chute dans un prosaïsme de croisière insatisfaisante, bien loin de l’élan lyrique du début. Le locuteur, pour l’instant implicite, est d’emblée exclu de cette masse anonyme des passagers. Le modalisateur on eût dit sert à introduire un autre élément dysphorique, dans la continuité thématique de la phrase précédente : « exaspérer » rejoint « grogner », et « souffrance » rejoint « gémissait ». Cette souffrance s’exprime par des paroles au discours directs, proférés à l’imparfait (aspect itératif), par un collectif anonyme : l’anaphore quand + futur simple montre la tension impatiente vers un moment futur, celui du soulagement, celui de la terre. On note le poétique complément d’objet interne dormir un sommeil, contrebalancé par la comparaison pittoresque entre les flots et le ronflement des passagers ! Ronfler, manger de la viande, digérer : ces passagers semblent marqués par des préoccupations terrestres, triviales, de satisfactions des instincts élémentaires. Les interrogations enchaînées montrent leur impatience, leur insatisfaction.

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