Juste la fin du monde de Jean Luc Lagarce est elle une tragédie ?

Juste la fin du monde est elle une tragédie ?

L’auteur Jean Luc  LAGARCE  ,  issu d’un milieu ouvrier , était un metteur en scène connu  qui  a voué une véritable passion pour le théâtre .  Juste la fin du monde est sa dernière pièce parue en 1990 , peu de temps après avoir appris sa séropositivité . Il se sait condamné. Il mourra du SIDA cinq ans plus tard à l’âge de 38 ans .  C’est une histoire partiellement autobiographique qui évoque les thèmes du SIDA et de l’incommunicabilité au sein d’une famille . Louis retourne dans sa famille pour leur annoncer qu’il est atteint du SIDA et qu’il va mourir mais il ne parvient pas à son but initial et l’ annonce n’aura pas finalement pas lieu ..

La pièce de LAGARCE reprend de nombreuses  caractéristiques de la  tragédie  classique  qui a été codifiée au 17 ème siècle .  Ces similarités sont présentes dans sa structure ,  son dénouement  , le caractère illustre des personnages  ; les héros d’une tragédie classique prouvent leur héroïsme dans un combat contre la fatalité et ne peuvent éviter un dénouement malheureux . Également , l’on peut observer que la fonction de la tragédie est celle de plaire et d’instruire . Selon Aristote , la tragédie suscite » la pitié et la crainte » et a une fonction morale , c’est ce qu’on appelle la catharsis ou purgation des passions .

Cette histoire hantée par le sceau du destin  a  donc  allures d’une tragédie grecque ( partie I ) .La tragédie nait à la fois de la crise familiale  qui est une crise tragique   et de la crise intime du personnage de Louis qui fait face à son destin inéluctable.  

Mais néanmoins la pièce de LAGARCE s’éloigne de la tragédie classique  car au moins l’un des éléments fondamentaux est manquant , à savoir l’action  tragique . La tragédie est devenue action surtout avec Corneille et Racine qui ont fondé leur conception du tragique sur le dépassement de soi pour CORNEILLE  ou par la mort pour RACINE .

LAGARCE a donc tenté de ressusciter la tragédie mais en la modernisant . il n’est d’ailleurs pas le seul auteur à avoir essayer d’adapter la tragédie à la dimension de son temps .

COCTEAU avait parodié Œdipe dans « la machine infernale » en 1933 . ANOUILH , avec ANTIGONE , en 1944 fait l’essai d’une tragédie bourgeoise .

 Selon  LAGARCE ,  l’adaptation moderne de la tragédie passe par  une tragédie du langage et de la communication et non une tragédie crée par des actions  . L’adverbe « juste «  vient opérer une dédramatisation indéniable . L’on frôle le théâtre de l’absurde , qui était le domaine de prédilection de l’auteur Jean Luc LAGARDE , voire la désinvolture .

. ( partie 2 ) .

Partie 1 / La pièce Juste la fin du Monde est une véritable tragédie

En effet ,  sur la forme , elle présente des similarités avec les  grandes tragédies classiques ( 1 ) et sur le fond , il existe à la fois un conflit tragique au sein de la famille ( 2 ) ainsi qu’une crise intime du personnage principal , empreinte de tragédie ( 3 )

1/ la pièce adopte la structure  des grandes tragédies grecques sur plusieurs points : elle incorpore  également plusieurs grands mythes historiques ou littéraires .

a/  Tout d’abord , La forme de cette pièce de théâtre est inspirée  des grandes catégories du théâtre antique , à savoir : un prologue , des épisodes , un intermède et un épilogue .

En effet , la pièce démarre par un prologue , comme les chœurs antiques , lesquels présentent  la pièce et annoncent le dénouement .

Louis , le personnage principal , joue le rôle de ces chœurs antiques et avertit le spectateur qu’il va mourir et qu’il veut rencontrer toute sa famille pour leur annoncer la nouvelle et les revoir tous une dernière fois . Les deux parties de la pièce jouent le rôle des épisodes , même si dans le théâtre antique , la règle veut qu’il y ait trois épisodes . Il livre au spectateur à la fois un état de sa situation et un autoportrait . il s’attribue un rôle : » être l’unique messager » . C’est la fonction du chœur antique de la tragédie grecque qui vient signifier aux spectateurs le drame à venir ; les deux adjectifs « ma mort prochaine et irrémédiable » viennent indiquer au spectateur que l’issue est fatale et inéluctable .

L’intermède rappelle ce qu’on nomme les « stasima » du théâtre grec antique, qui étaient composés de chants ou de danses .

L’épilogue rappelle ce qu’on nomme «  l’exodos » . Ici , c’est en quelque sorte un « chant » nouveau de Louis qui clôture la pièce .

De plus , tout se passe dans un seul lieu , telle l’unité de lieu  règle du théâtre classique,   à savoir la maison familiale , un dimanche , avec quatre personnages qui sont toujours ensemble et dont ne sait pas s’ils quittent la scène .

De même , l’unité de temps et de lieu est respectée ; les monologues et les tirades sont nombreux.

Par exemple , le personnage d’Antoine a trois tirades ; Le personnage de Louis a des tirades qui sont en réalité des  monologues où il semble ne pas parler aux autres ..

                b/ la pièce incorpore des mythes historiques ; ce qui accentue le tragique .

L a pièce de LAGARCE   rappelle des personnages illustres  .  Le prénom «  Louis » est porté par trois générations ; ce qui fait référence à des familles monarchiques , comme celle des rois de France . En fait , ce sont les héritiers symboliques d’un royaume familial . La maison familiale est une sorte de château où l’on vient se réunir , comme les courtisans venaient jadis se réunir en étant reçu par la « reine-mère ».

L’on remarque bien les similitudes voulues par l’auteur avec les grandes familles antiques , telle par exemple , la famille des atrides , où le poids de l’hérédité crée le tragique . LAGARCE s’intéresse à ces grands mythes familiaux de l’antiquité où la situation des familles est au cœur de l’œuvre .

 Par exemple : Suzanne se plaint de l’absence de son frère Louis qui ne donne que très peu de nouvelles , seulement des mots trop rares au dos de cartes postales . Ces plaintes ressemblent aux plaintes d’Electre , la sœur d’ Oreste .

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