A l'ombre des jeunes filles en fleur
Dissertation : A l'ombre des jeunes filles en fleur. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Rodogune • 25 Mai 2018 • Dissertation • 2 313 Mots (10 Pages) • 1 040 Vues
L’Amour, un professeur macabre
L’amour est aveugle
Platon
Miroir, miroir, dis-moi non pas si je suis la plus belle, ou bien si je surpasse en attraits et en beautés mes nobles frères, mais retranscris-moi a la mesure de ma nature, sans que l’ombre d’un artifice ne vienne troubler mon image, la distordre dans le labyrinthe flatteur de mon idéalité, la soumettre au prisme réducteur de mon regard impropre a l’appréhender, ou même, dans un élan créatif, la confier aux muses frivoles de ta libre invention, puisses-tu, plutôt, en contrepartie, me préserver du décret suborneur des eaux troubles et trompeuses ou s’est noyé Narcisse, daigne arrondir ton galbe a l’être aimé a dessein de m’en fournir une surface noble et transparente habile a restituer mon image. Au diable les compromissions, les largesses et le velours des complaisances, il semblerait que l’amour ne puisse s’épanouir qu’a la condition de se connaître parfaitement, dussions-nous pour cela, nous mutiler, ou pire encore, nous aveugler… pour nous rendre lucides! Œdipe n’est jamais plus éveillé qu’au jour funeste ou il perd la vue. De même, l’amour dépeint dans le discours de Débat de Folie et d’Amour de Labé ne s’entrouvre qu’au contact de Folie, qui le destitue de ses yeux, lui permettant ainsi d’agir et de tourmenter… en conformité avec le caractère proprement incestueux de sa nature. L’amour n’est-il pas proprement fou? Mais ou est donc passé cet élitisme maniéré dont il faisait autrefois frivolement profession de s’embarrasser? L’amour aurait-il recouvert la déraison qui lui est propre? Aurait-il tenté, par quelque ruse juvénile, de la refouler ou même de la renier? Quelle folie que de se compartimenter ainsi! Si le vaste spectre de la littérature s’est maintes fois égayé de ses métamorphoses, l’amour ne s’est jamais complètement départi des tourments qui lui étaient singuliers. Mais la littérature renaissante la surtout façonné sous les traits d’une puissance juvénile, avide de pouvoir, de reconnaissance et de gloire. Hormis son essence puérile, l’amour s’est aussi représenté sous les traits d’un éminent professeur, comme le suggère le Débat de Folie et d’Amour de Louise Labé ou son apparition est perpétuellement porteuse d’un apprentissage sur la condition amoureuse ou bien sur l’être en général. Louise Labé et Clément Marot fournissent tour a tour une conception bien singulière de ce verbe immémorial, constituant une imagerie amoureuse forte et spécifique a chacun. En explorant les textes Le Temple de Cupido de Marot et Le Débat de Folie et d’Amour de Louise Labé, je propose de disséquer les spécificités propres a l’amour mis en scène au sein de ces deux écrits tout en relevant certaines de leurs accointances.
Transgression idéale
Contrairement au reflet stable que donne le miroir, le reflet aquatique, vague, instable, ouvre la voie à l‘idéalisation. C‘est au fond des bois, à la fontaine secrète que Narcisse tend les bras vers son image et a la révélation de son idéalité. Il ne dit plus : « je m‘aime tel que je suis », mais : « je suis tel que je m‘aime ».
Michèle Pichon
Dans un premier temps, Amour est saisi par l’hérésie de l’aspiration subversive qui l’anime, en l’occurrence, se contrefaire. Fidèle a son essence frivole et juvénile, Amour se théorise comme une puissance idéale et ordonnée, voire, platonicienne, ne conspirant qu’a la beauté ou bien a la spiritualisation des formes qu’il embrasse. Il privilégie les êtres aux traits avenants, discriminent la vieillesse ainsi que toute nature a prime abord repoussante. Il priorise des valeurs telles que l’ordre et la mesure, la forme et l’élégance, profitant de ce moment d’inconstance pour révoquer l’essence de la folie qui lui est propre. Symboliquement, le débat de Folie et d’Amour met en scène un conflit intérieur fort, qui consiste a se fuir soi-même et a se rendre aveugle a sa nature, ainsi qu’en témoignent les métamorphoses multiples de Jupiter. (Discours II). Enlisé dans les brumes de son idéalisme coquet, Amour tente une conception nouvelle de sa nature, s’engageant dans l’entreprise aveugle et parfaitement naive de sa révocation, ce qui l’amènera en quelque sorte a se noyer dans ce reflet idéal… Folie intervient donc de façon a la fois tragique et chevaleresque dans la destinée de Cupidon, non pas pour proclamer sa puissance ou sa suprématie comme pourrait le laisser supposer le Discours I mais plutôt pour réconcilier Amour avec… lui-même. Éloigné de sa nature véritable, Amour est inhabile a exercer l’étendue de ses pouvoirs et se dirige vers une sorte d’onanisme évidemment stérile. Folie s’érige en éducatrice survenue dans le souci de réconcilier Amour avec le fondement même de sa nature, celui qu’il se serait amoureusement empressé de se le dénier. Cette idéalisation de soi revêtirait une dimension transgressive et castratrice qui limiterait Amour, et, plus largement, l’être humain, a un rapport irréel et fantasmatique avec lui-même et avec le monde. Cette compréhension de soi et du monde générerait effectivement un rapport factice avec l’autre, instrumental et intéressé, enrayant l’action libératrice et fougueuse de l’Amour par nature universel et déraisonné. En cherchant a limiter son emprise aux êtres bien formés et bien pensants, Amour se réduirait a un dieu qu’il n’est pas ce qui aurait pour tragique conséquence de le freiner dans son entreprise. Dans cet esprit, on peut supposer que Labé dresse un portrait immature et juvénile d’Amour lequel s’avérerait foncièrement impropre a se saisir dans sa totalité mais surtout, dans sa réalité. Paradoxalement, la Folie, sous ses traits fantasques et inégaux, constituerait une source de sagesse, un professeur déguisé en savant fou. La folie va donc jouer un rôle éminemment désinhibiteur dans l’action amoureuse, révélant son ennemi proclamé a lui-même. Amour, saisi par la lumière de cette conscience nouvelle, ne s’écrie-t-il pas aussitôt auprès de Jupiter dans le Discours II, et je cite :
_j’accompagnais les plus jolies des plus beaus et plus adroits. Je pardonnais aus laides, aus viles et basses personnes : je laissois la vieillesse en paix : Maintenant, pensant fraper un jeune, j’asseneray sur un vieillart : au lieu de quelque beau galand, quelque petit laideron a la bouche torse : Et aviendra qu’ils seront les plus amoureus, et qui plus voudront avoir de faveurs en amours : et possible par importunité, presens, ou richesses, ou disgrace de quelques Dames, viendront au dessus de leur intention : Et viendra mon regne en mespris entre les hommes, quand ils y verront tel desordre et mauvais gouvernement. (P.56)
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