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Dissertation Céline

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Par   •  2 Décembre 2019  •  Dissertation  •  1 949 Mots (8 Pages)  •  493 Vues

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« Le voyage fait de chacun un écrivain » affirmait Chantal Thomas en 1998 dans Comment supporter sa liberté. Le voyage et l'écriture sont donc étroitement liés, le voyage pouvant déclencher l’écriture d'un récit et le récit pouvant raconter le voyage. C'est ce que l’on retrouve par exemple dans les romans de Louis-Ferdinand Céline, au travers notamment de son œuvre Voyage au bout de la nuit. Ce roman paru en 1932 nous raconte l'expérience du personnage-narrateur Ferdinand Bardamu à travers différents contextes dans différents lieux pendant et après la première guerre mondiale, pour la plupart inspirés du vécu de l'auteur. Nous pouvons donc nous demander dans quelle mesure Voyage au bout de la nuit est un voyage. Pour répondre, nous étudierons tout d'abord en quoi il s'agit du récit d'un voyage physique pour le personnage principal mais aussi d'un voyage pour le lecteur. Ensuite nous analyserons les limites qui restreignent cependant la notion de voyage. Enfin, nous dépasseront ces limites et verrons qu'il s'agit en réalité d'un voyage initiatique pour Bardamu.

Nous pouvons donc tout d'abord voir qu’il s'agit d'un voyage physique pour le narrateur, dont le récit permet également de faire voyager le lecteur.

Premièrement, étudions le voyage physique à proprement parler, qui constitue l'aspect le plus évident du voyage. Bardamu visite au cours de son périple différents lieux successifs : les « Flandres » (p. 19) sur le front et la région parisienne à l'arrière lors de la guerre, puis l'Afrique dans les colonies fictives de la « Bambola-Bragamance » (p. 125), les États-Unis avec les villes de « New York » (p. 184) et « Detroit » (p. 222) et enfin différentes villes françaises dont « Toulouse » (p. 381) et de nouveau la région parisienne. Sont également décrits les moyens employés pour voyager d'un lieu à un autre, principalement avec les traversées maritimes à bord de « l'Amiral Bragueton » (p. 112) puis de « l’Infanta Combita » (p. 181) et les péripéties associées. De plus le voyage est régulièrement évoqué par le narrateur lui-même - sans compter la présence du terme dans le nom même du roman:  « Il me sembla du coup partir en voyage » (p. 36) lors de l’épisode de la guerre sur le front ; « Je décidais (…) d'entreprendre tôt ou tard le voyage aux États-Unis » (p. 54) après la rencontre avec Lola ; « J’étais le premier voyageur » (p. 149) en Afrique ; ou encore « Le voyage de Toulouse » (p. 381) une fois revenu en France. Le protagoniste principal de Voyage au bout de la nuit est donc bien un véritable voyageur, ce qui était par ailleurs inscrit en lui dès le départ car son nom, Bardamu, fait référence un soldat muni de son barda qui se meut et donc, par son mouvement, son déplacement, voyage.

Nous pouvons ensuite voir que Voyage au bout de la nuit propose un voyage au lecteur, et ce par deux aspects. Premièrement on peut relever un certain exotisme lors de l'épisode africain, avec des lieux à consonance exotique comme « Fort-Gono » (p. 127), « Bikomimbo » (p. 128), « Rio del Rio » (p. 178) ou « San Tapeta » (p. 179), avec des noms tout aussi exotiques comme le « Corocoro » (p. 136) ou encore des termes rappelant sans aucun doute possible l’univers colonial, comme les « tirailleurs » (p. 131), « gratteur[s] » (p. 137) et autres « boy[s] » (p. 129) usant de leur « coupe-coupe » (p. 137) pour servir les colons. Deuxièmement on notera les hypotyposes fréquentes permettant de décrire les différents lieux visités par Bardamu en faisant appel aux différents sens du lecteur, ce qui lui permet de s’immerger davantage en visualisant précisément les scènes et donc de voyager virtuellement (par exemple la description de la banlieue sale et repoussante à l’arrière aux pages 94 et 95 ou les jardins exotiques de San Tapeta aux pages 180 et 181).

Ainsi, l'œuvre de Céline est donc bien, sous certains aspects, un voyage. Mais nous pouvons néanmoins relever certaines limites à ce voyage, que nous allons dès à présent étudier.

Les limites du voyage se caractérisent notamment par le thème de l'enfermement et par le flou spatio-temporel.

Le thème de l'enfermement tout d'abord s'illustre par de multiples façons : l'enfermement relatif à l’engagement militaire (involontaire) de Bardamu au début du récit ; l'enfermement illusoire lié aux mensonges de la société et de la ville comme le mensonge du luxe ; avec les citadins fermant les yeux sur la vérité repoussante de la banlieue (« là où le mensonge de son luxe vient suinter et finir en pourriture » à la page 95) ou l'illusion temporaire du théâtre et du cinéma (« Alors les rêves montent dans la nuit pour aller s’embraser au mirage de la lumière qui bouge » à la page 201) ; la sensation d'étouffement provoquée à de multiples reprises par la chaleur et la jungle environnante lors de l'épisode africain, et accompagnée de fièvre ; ou encore l'enfermement de Bardamu à l'asile à la fin du roman. Cette omniprésence de la notion d'enfermement s'oppose ainsi au voyage qui est synonyme de mouvement, de déplacement spatial et de liberté.

Ensuite, le flou spatio-temporel tend également à limiter la notion de voyage. Sur le plan spatial, le brouillage topographique de la ville de Paris (avec les descriptions d’un semblant de banlieue nord mais usage du nom « Rancy » (p. 237) rappelant Le Raincy et la banlieue est, et transposition de bâtiments ou quartiers réels à de mauvais endroits comme un équivalent de l'Institut Pasteur situé fictivement au nord-est et présenté comme étant proche d'une porte du sud) ou encore la ville de Toulouse hybridée avec la structure citadine bordelaise produisent un effet de flou, d’invraisemblance qui donne l'impression d'un espace mal défini aux contours incertains. La distinction entre les différents lieux est donc moins évidente, et il devient plus difficile de séparer les différentes étapes d’un éventuel voyage. De plus, le voyage au sens strictement physique est très peu présent dans la seconde moitié du récit (Bardamu reste en France et bouge peu, alternant simplement entre Paris et Toulouse), ce qui diminue son importance vis à vis de la totalité de l'œuvre. Sur le plan temporel on retrouve aussi une temporalité imprécise : la différence d'âge Bardamu-Robinson semble évoluer au fil de leurs rencontres, et les données temporelles ne permettent pas de dater les différentes séquences narratives avec précision, à cause d'ellipses de durée approximative nombreuses tout au long du roman (par exemple «Il s'est passé des choses et encore des choses » page 47). On à l'impression d'un temps qui ne s'écoule pas, ce qui est renforcé par les personnages qui reviennent sans cesse et les structures d’épisodes récurrentes : Bardamu et Robinson se rencontrent six fois au fil du récit, certains personnages comme Lola ou Musyne réapparaissent à plusieurs reprises, du moins sous forme de souvenirs, et les épisodes hospitaliers sont fréquents. Cela s'oppose donc une fois de plus avec la notion de voyage, car une nouvelle fois la segmentation du voyage en différentes étapes claires est entravée. Le temps semble être une boucle infinie, sans début ni dénouement.

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