Rosa Candida
Dissertation : Rosa Candida. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Léa Coste • 8 Mars 2021 • Dissertation • 1 757 Mots (8 Pages) • 549 Vues
Rédaction au Centre d’aide en français
Extrait étudié | Ava Audur Olafsdottir (2010). Rosa candida. Traduit de l’islandais par C. Eyjolfsson. Paris : Zulma, p. 289-293. |
Contexte de l’extrait | Arnljótur, un jeune horticulteur de 22 ans, et Anna, une étudiante en génétique, ont eu une petite fille à la suite d’une aventure d’un soir. Après la naissance de l’enfant, Arnljótur se rend seul dans un pays étranger pour y travailler. Anna l’y rejoint quelques mois plus tard, car elle souhaite qu’il s’occupe de leur fille pendant qu’elle rédige son mémoire de maitrise. Les deux jeunes parents vivent ensemble comme deux bons amis, jusqu’à un certain soir… |
Consigne d’analyse | Montrez que, dans cet extrait de Rosa candida, les personnages sont déstabilisés par les émotions confuses qu'ils ressentent. Montrez que les 2 personnages sont dans l’incompréhension de leurs émotions. |
Présentation attendue |
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Critères d’évaluation |
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Chaque fois que je repasse la scène dans mon esprit, je ne peux expliquer ce qui s’est produit. Chaque fois que j’en ai examiné la causalité, tout seul sous l’édredon, sur le canapé-lit de la salle à manger, je me suis trouvé dans l’incapacité totale d’expliquer ce qui m’est passé par la tête. Je penche à croire que je n’avais pas la moindre arrière-pensée.
Elle a déjà fait la vaisselle lorsque je réapparais, après avoir endormi ma fille, et elle est en train de ramasser les jouets – une fois n’est pas coutume : elle n’est pas assise face à un livre ouvert. Elle porte la robe et a gardé la barrette dans ses cheveux. Il me semble qu’elle me regarde d’une autre façon, comme si elle avait quelque chose de personnel à régler avec moi. De sorte que je commence par enlever mon pull-over, puis je déboutonne ma chemise et dégrafe la ceinture de mon pantalon. Comme ça, comme si je me déshabillais avant d’aller me coucher, ou comme chez le médecin. Ce n’est pas prémédité, en fait je ne peux expliquer pourquoi j’ai trouvé à propos de me déshabiller au milieu de la cuisine. Elle me regarde et j’ai comme l’impression qu’un trouble l’envahit quand je me mets à enlever mes vêtements sans crier gare. Par la pensée, je suis arrivé plus loin qu’elle, je suis arrivé jusqu’au bout et je sais aussi, dès l’instant où j’ai commencé à me déshabiller, que je suis en train de commettre une erreur. Je continue pourtant, comme un homme qui a une tâche pénible et urgente à terminer, jusqu’à ce que je me retrouve tout nu au milieu du tas de vêtements, tel un oiseau dans son nid duveteux, telle une autruche qui a perdu ses plumes.
Au même instant je remarque qu’Anna a un stylo à la main. C’est à ce moment-là et pas avant, que je me rends compte de la possibilité qu’elle ait eu l’intention de me demander des tuyaux sur les concepts de la génétique en latin, comme une camarade de classe qui se fait aider pour sa version latine. Est-ce qu’une femme qui penserait à autre chose qu’à prendre des notes dans la marge du livre ouvert devant elle, qui caresserait, disons, l’idée de coucher avec un homme – est-ce qu’elle aurait un stylo à la main? Elle me regarde exactement comme si elle avait voulu me soumettre quelque chose en rapport avec les ensembles de gènes et que mon geste l’ait prise totalement au dépourvu. Elle va demander incessamment au petit fort en thème : « Sais-tu ce que ça veut dire? » en se penchant sur le texte à la recherche du mot ardu.
Quoi qu’il en soit, je suis tout nu et plutôt que de ne rien faire, je ramasse le tas de vêtements et le pose sur la chaise de la cuisine. Aussi embarrassante que puisse être ma situation présente, je n’ai pas le sentiment d’être ridicule. J’ai la chance de ne pas me prendre au sérieux, pas pour ça, pas en rapport avec la nudité du corps. Ce qui aide aussi, c’est que mon propre corps m’est encore étranger dans une certaine mesure. N’empêche que ça peut être vraiment chiant d’être un homme, je donnerais tout mon herbier avec mon dernier trèfle à six feuilles pour savoir ce qu’elle peut bien penser. Au lieu de venir à moi avec le livre, le doigt pointé sur le mot qui lui manque, elle sourit jusqu’aux oreilles. Je ne comprends pas les femmes. C’est le plus beau sourire du monde. Et puis elle éclate de rire. Je suis soulagé. Je ris aussi. Dieu soit loué, je ne suis pas susceptible. Lorsque le corps a épuisé ses ressources, ce sont les mots qui prennent le relais et je m’évertue, dans une course folle contre un sablier imaginaire, à trouver ceux qui pourraient me sauver. J’aime vraiment beaucoup Anna et je ne veux pas la perdre. Je ne veux pas que cela entraîne son départ. Un mot et tout est sauvé. Un mot et tout est perdu. J’ai chaud. J’ai froid. Quel mot sera assez puissant pour effacer tout un corps d’homme et renverser la situation en ma faveur ? Je me retrouve à la case départ dans ma quête de vérité. Non, je suis en plein milieu d’un torrent en crue, dans la spirale du tourbillon et je ne vois plus la terre, il est clair qu’en vingt-deux ans je n’ai rien appris.
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