Rabelais et la métaphore des boites de Silène
Dissertation : Rabelais et la métaphore des boites de Silène. Recherche parmi 302 000+ dissertationsPar gnome geekos • 3 Avril 2025 • Dissertation • 2 264 Mots (10 Pages) • 22 Vues
Rabelais, dans le « Prologue » de Gargantua, évoque les Silènes, boîtes décorées « à plaisir pour exciter le monde à rire » mais contenant diverses « choses précieuses ». En quoi cette image éclaire-t-elle votre lecture de Gargantua ?
Le sujet invite à étudier la double finalité de l’œuvre :
- faire rire son lecteur
- révéler des vérités précieuses.
Le roman oscille entre le rire du divertissement et la dissimulation d’un bien précieux, le savoir. Cette connaissance ne devra se révéler au lecteur qu’à travers une démarche de compréhension et/ou de dépassement des apparences amusantes de l’œuvre. Le sujet renvoie ici au parcours « rire et savoir » et aux différentes articulations entre ces deux thèmes. Il met en avant la coexistence dans l’œuvre des deux aspects : le rire que l’on trouve à chaque page de ce roman ne se prenant pas au sérieux ; le savoir qu’il dispense.
Problématique
Il nous invite à nous interroger sur la façon dont le roman cherche à provoquer le rire mais aussi sur sa façon de cacher le savoir important à en tirer et donc sur la démarche du lecteur pour saisir l’« infiniment précieux ».
I. Gargantua est une œuvre qui cherche à provoquer le rire
- Histoire de géants et comique de la démesure
- Nous pouvons ainsi citer les chapitres dans lesquelles nous assistons aux festins de Gargantua qui se caractérisent par l’énormité des plats. En outre, ces plats sont en eux-mêmes comiques comme la salade de pèlerins. La table dressée donne aussi lieu à rire.
- De même, provoquent l’amusement les habits de Gargantua : le chapitre sur la livrée de Gargantua met en avant des mesures extrêmement précises mais gigantesques pour mettre en avant la quantité de tissu nécessaire à la réalisation de la livrée. Le contraste entre le réalisme des mesures et l’irréalité d’une telle livrée ne peut que provoquer le rire. Il s’agit d’un comique de « l’énorme et du colossal », comme le met en avant Léo Spitzer.
- La jument de Gargantua est elle aussi un élément démesurément comique, au point qu’un chapitre lui est-même consacré.
- D’autres stratégies sont déployées pour distraire le lecteur
- La chronique : dans le « Prologue » de l’œuvre, Alcofribas Nasier revendique l’écriture de «joyeuses et nouvelles chroniques » tout en expliquant à son lecteur que ce dernier n’y voit souvent que « moqueries, folâtreries, et mensonges joyeux ». La chronique était souvent utilisée par les grands seigneurs et les rois pour renforcer leur pouvoir en présentant une histoire déformée à leur avantage ou encore une généalogie prestigieuse. Ainsi Alcofribas Nasier n’hésite-t-il pas à se faire un chroniqueur zélé en évoquant la généalogie de Gargantua trouvée dans un pré par Jean Audeau (chapitres 1 et 2) - ce qui donne lieu à un texte amusant « les Fanfreluches antidotées ».
- La parodie : le roman de chevalerie est traité de manière parodique. Frère Jean défend l’abbaye de Seuillé et ses vignes avec l’ardeur d’un croisé défendant Jérusalem en empalant ses ennemis par le fondement (chapitre 27), Gargantua n’est pas en reste lors de la prise et la destruction du château du gué de Vède (chapitre 36) grâce à l’usage d’un grand arbre dont il se sert pour détruire les tours et les fortifications.
- Le genre biographique est aussi repris dans l’œuvre dans un but d’amusement : toutes les étapes de la vie de son héros invite à rire (parmi d’autres, sa naissance par l’oreille, déclenchée par un festin de tripes).
- Le rire est d’ailleurs revendiqué comme principe
- Les vers liminaires « Aux lecteurs » annonce l’importance du rire en en faisant « le propre de l’homme ».
- Le prologue se termine sur cette invitation : « Esbaudissez-vous, mes amours, et lisez gaiement le reste. »
- Certains chapitres, se fondant sur des jeux de langage, donne à voir toute la verve et toute l’agilité d’esprit de l’auteur. Au chapitre 5, les « propos des bien ivres » mettent en avant une vraie sagesse d’ivrognes : « Remède contre la soif ? (...) buvez toujours avant la soif, jamais elle ne vous attrapera. ». De même, le chapitre 11 « De la jeunesse de Gargantua », est une variation sur des expressions populaires dont la liste est étourdissante.
Si le rire est un élément très important de l’œuvre, celle-ci apporte aussi un savoir et se fait l’écho de son époque et de ses réflexions.
II. Mais le rire est mis au service d’une réflexion sur les savoirs de son époque
- Le débat sur l’éducation : Ce thème reflète l’actualité de la question au XVIe siècle. Rabelais se fait l’écho des idées d’Érasme ou encore de Guillaume Budé et propose une réflexion sur le savoir.
- Lors de sa petite enfance, Gargantua dépend de son père et de ses gouvernantes : il se livre à ses instincts primaires : boire, manger, dormir, exercer sa braguette. Si la volonté de faire rire le lecteur est évidente dans la description du personnage livré à son animalité, il s’agit aussi de mettre en avant l’importance de ne pas négliger l’éducation liée à la petite enfance.
- Lorsque le héros sera livré à des précepteurs, il s’agira de faire constater au lecteur l’inanité de l’éducation scolastique. Sous la férule de ses maîtres sophistes, Gargantua récite par cœur et à rebours, n’étudie que des ouvrages archaïques ne provenant que du Moyen-Âge. Le narrateur a recours à des chiffres hyperboliques pour bien mettre en avant la lenteur de l’apprentissage et la lourdeur des leçons : « car leur savoir n’était que bêtise, et leur sagesse que rembourrages » (chap. XV). L’échec de cette éducation est mis en avant par le refus de Gargantua de discourir face à Eudémon (chap. XV) préférant « se mettre à pleurer comme une vache ». L’image ne peut que faire sourire le lecteur.
- Après ce fiasco, vient l’éducation prônée par les humanistes et incarnée par Ponocrates. Celui- ci prépare un programme d’éducation complet mettant l’accent sur une organisation stricte, une alliance de disciplines intellectuelles et d’exercices physiques. Il s’agit pour Ponocrates d’éduquer tant le corps que l’âme du futur prince tout en lui faisant connaître ses artisans et les institutions publiques. Les chapitres XXIII et XXIV décrivent cette éducation humaniste.
- L’art de gouverner, la critique de la guerre et la figure du Prince idéal
- Le début des guerres picrocholines provoque le rire puisque la guerre commence pour une histoire de « fouaces ». En effet, les bergers de Grandgousier demandent aux fouaciers de Lerné de leur vendre des fouaces au chapitre XXV. Le refus et les insultes essuyés par les bergers déclenchent les hostilités qui conduisent à la guerre déclarée par Picrochole. Reprenant ainsi la pensée d’Erasme, le narrateur fait donc savoir à son lecteur que la guerre se déclenche trop souvent par un motif frivole.
- En outre, cette réflexion sur les causes de la guerre se double d’une description du mauvais prince dans le personnage de Picrochole et des mauvais conseillers. Ce voisin de Gargantua, dont le nom même renvoie à sa « bile amère », est l’exemple du roi impulsif poussé par de mauvais conseillers aux noms fort évocateurs, le duc de Menuail, le comte Spadassin ou encore le Capitaine Merdaille. Picrochole incarne le mauvais dirigeant poussé par son impulsivité et son désir excessif de conquête. Le chapitre XXXIII fait la part belle aux rêves de grandeur de Picrochole et de ses conseillers.
- Par contraste, Grandgousier et Gargantua incarnent des figures de gouvernants sages et éclairés. Dans le chapitre XXVIII, Grandgousier tente de ne pas s’engager dans une guerre sans avoir essayé auparavant tous les moyens de la négociation : il envoie un ambassadeur en la personne d’Ulrich Gallet, puis propose un généreux dédommagement à Marquet, le fouacier à l’origine de la guerre. Au chapitre XLVI, il prononce un discours condamnant avec virulence les guerres de conquête. Grandgousier est donc la figure du prince idéal dans l’œuvre et s’offre pour exemple.
- Satire de la religion et de ses représentants
- L’œuvre dénonce la superstition à de nombreuses reprises. Ainsi les moines attaqués de l’abbaye de Seuillé ne savent plus auquel de leurs saints se vouer lorsqu’ils sont attaqués par les soldats de Picrochole au chapitre XXVII. Les pèlerins amenés par Frère Jean à Grandgousier expliquent eux aussi revenir d’un pèlerinage à Saint-Sébastien parce qu’ils considèrent que le saint est capable de conjurer la peste qu’il leur a envoyée.
- De la même manière, l’œuvre met aussi en avant les travers des sophistes. Gargantua dénonçe de façon virulente les théologiens de la Sorbonne à travers la critique du sophiste Janotus de Bragmardo. Le nom lui-même ne peut que susciter le rire mais la conduite du sophiste nous invite à réfléchir et à prendre de la distance avec les sommités ecclésiastiques. La harangue de Janotus pour « reprendre les cloches » au chapitre XIX montre l’ignorance et la bêtise de ce grand universitaire et décrédibilise l’ensemble de l’Université.
- Enfin, l’œuvre met en œuvre une critique de la lacheté des moines de l’abbaye de Seuillé et si Frère Jean se détache par sa personnalité pour le moins hors-norme, mais il est affublé de tous les défauts que l’on attribue aux moines. Il est un glouton comparant son estomac à un puits sans fond et use de nombreux jurons à caractère sexuel pour embellir son langage.
La métaphore des boîtes de Silènes du prologue invite le lecteur à penser que l’œuvre proposée est plus précieuse qu’elle n’y paraît, qu’elle contient davantage que le rire mais surtout elle invite le lecteur à dépasser le sens littéral pour découvrir le vrai sens du texte.
III. Que le lecteur se doit de rechercher par une démarche herméneutique
- Critique d’une société qui n’accorde pas assez de libertés à l’homme L’œuvre s’achève sur la présentation de l’abbaye de Thélème qui, comme anti-abbaye, semble être la mise en œuvre de tous les principes dévoilés au lecteur au fil des chapitres. S’opposant en tout point à une abbaye traditionnelle, elle dévoile un idéal de société libre et ouverte.
- L’architecture de l’abbaye est ouverte sur l’extérieur et ses pensionnaires sont destinés à retourner dans le monde quand ils le souhaiteront. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans un espace clos (chapitres XLIII-XLV)
- En outre, les Thélémites en eux-mêmes se caractérisent par leur opposition avec les moines traditionnels faisant vœu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Les vêtements des Thélémites sont dignes des plus beaux atours de la cour (XLVI) et le narrateur les décrits avec moult détails. La chasteté est elle aussi absente car les Thélémites se font la cour et l’obéissance est battue en brèche par la devise « Fais ce que voudras » (LVII).
- Enfin, les Thélémites s’affranchissent aussi de la contrainte imposée par le temps religieux sur leur vie. Celle-ci n’est plus réglée par les « heures » qui dictent les tâches à accomplir ou les messes auxquelles participer. Au contraire, « ils se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. »
B-Mise en avant d’un idéal d’homme libre : L’abbaye de Thélème est une anarchie au sens étymologique : elle ne dépend d’aucun pouvoir extérieur à elle-même, aucun pouvoir ne vient entraver la liberté des pensionnaires.
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