Tristan L’Hermite, La Mort de Sénèque, 1645, II, 2
TD : Tristan L’Hermite, La Mort de Sénèque, 1645, II, 2. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Jamal Azamat • 14 Mars 2023 • TD • 5 377 Mots (22 Pages) • 343 Vues
Textes TD UE 35 C. Trotot, Université Gustave Eiffel, 2022
Séance : La figure royale
Texte 1 : Ronsard, « Le Tombeau du feu Roy Tres-Chrestien Charles Neufiesme, Prince, tres-debonnaire, tres-vertueux & tres-eloquent », Lm t. XVII (1)
Ni la Religion saintement observée,
Qu’il avait des Clovis en la France trouvée,
Ni sa douce éloquence, et sa force de Mars,
Son Esprit , magasin de toutes sortes d’arts,
Ni l’amour de vertu, ni son âge première[1],
Qui commençait encore à goûter la lumière,
Ni les cris des Français, ni les vœux maternels,
Ni les pleurs de sa femme au milieu des autels,
N’ont su fléchir la mort, que sa fière rudesse
N’ait tranché sans pitié le fil de sa jeunesse.
Les Dieux tout vergogneux[2] du malheur advenu,
Et de n’avoir le coup de la mort retenu,
Ont quitté leurs Maisons et leur demeures vaines[3]
Come indignes du soin des affaires humaines.
Je faulx[4], c’est ce grand Dieu, ce Monarque des Dieux ;
Qui l’a ravi d’ici pour honorer les cieux,
Pour en faire une étoile en rayons chevelue,
Telle qu’en son vivant elle était apparue[5].
Aussi bien, ô destin, la France n’était pas
Ni digne de l’avoir, ni de porter ses pas :
La France à son bon Prince une marâtre terre,
Où depuis la mamelle il n’a vécu qu’en guerre,
Qu’en civiles fureurs, qu’au milieu des traisons[6].
Il a vu de Jésus abattre les Maisons,
Profaner les Autels, les Messes sans usage,
Et la Religion n’être que brigandage.
Toutefois au besoin sa vertu n’a failli.
Il se vit au berceau des serpents assailli,
Comme un jeune Herculin, dont il rompit la force :
Puis quand la tendre barbe au menton se renforce,
Que l’âge et la vertu s’accroissent par le temps,
Il se vit assailli de superbes[7] Titans,
Qui combattaient ce Prince en ses propres entrailles,
Qu’à la fin il vainquit pas quatre grands batailles[8].
Il eut le cœur si ferme et si digne d’un Roi,
Que combattant pour Dieu, pour l’Eglise, et la Foi,
Pour autels, pour foyers contre les Hérétiques,
Et rompant par conseil leurs secrètes pratiques,
Telle langueur extrême en son corps il en prit,
Qu’il mourut en sa fleur martyr pour Jésus-Christ.
Questions de cours :
- Quelles sont les dates de règne de Charles IX ? Quel lien l’unit au roi précédent ?
- Qui est la mère de Charles IX désignée vers 23 ?
- Qui sont les « Hérétiques » du vers 53 ? Pourquoi sont-ils nommés ainsi ?
- Qui sont les « Titans » du vers 48 ?
Analyse du texte :
- Commentez le titre du poème.
- Quelles sont les qualités du roi évoquées par le poème ?
- En quoi l’éloge de Ronsard s’inscrit-il dans le mouvement humaniste ?
Texte 2 : Joachim Du Bellay (1522-1560), La Défense et Illustration de la Langue française (1549), CHAPITRE III : Pourquoi la langue française n'est si riche que la grecque et latine, orthographe modernisée, édition en ligne https://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/Du_Bellay.htm
Et si notre langue n'est si copieuse et riche que la grecque ou latine, cela ne doit être imputé au défaut d'icelle, comme si d'elle-même elle ne pouvait jamais être sinon[9] pauvre et stérile : mais bien on le doit attribuer à l'ignorance de nos majeurs[10], qui, ayant (comme dit quelqu'un[11], parlant des anciens Romains) en plus grande recommandation le bien faire, que le bien dire, et mieux aimant laisser à leur postérité les exemples de vertu que des préceptes, se sont privés de la gloire de leurs bienfaits, et nous du fruit de l'imitation d'iceux : et par même moyen nous ont laissé notre langue si pauvre et nue qu'elle a besoin des ornements, et (s'il faut ainsi parler) des plumes d'autrui[12]. Mais qui voudrait dire que la grecque et romaine[13] eussent toujours été en l'excellence qu'on les a vues du temps d'Homère et de Démosthène, de Virgile et de Cicéron ? et si ces auteurs eussent jugé que jamais, pour quelque diligence et culture qu'on y eût pu faire, elles n'eussent su produire plus grand fruit, se fussent-ils tant efforcés de les mettre au point où nous les voyons maintenant? Ainsi puis-je dire de notre langue, qui commence encore à fleurir sans fructifier, ou plutôt, comme une plante et vergette[14], n'a point encore fleuri, tant s'en faut qu'elle ait apporté tout le fruit qu'elle pourrait bien produire. Cela certainement non pour le défaut de la nature d'elle, aussi apte à engendrer que les autres, mais pour la coulpe[15] de ceux qui l'ont eue en garde, et ne l'ont cultivée à suffisance, mais comme une plante sauvage, en celui même désert où elle avait commencé à naître, sans jamais l'arroser, la tailler, ni défendre des ronces et épines qui lui faisaient ombre, l'ont laissée envieillir et quasi mourir. Que si[16] les anciens Romains eussent été aussi négligents à la culture de leur langue, quand premièrement elle commença à pulluler, pour certain en si peu de temps elle ne fût devenue si grande. Mais eux, en guise de bons agriculteurs, l'ont premièrement transmuée d'un lieu sauvage en un domestique ; puis afin que plus tôt et mieux elle pût fructifier, coupant à l'entour les inutiles rameaux, l'ont pour échange d'iceux restaurée de rameaux francs et domestiques, magistralement tirés de la langue grecque, lesquels soudainement se sont si bien entés[17] et faits semblables à leur tronc, que désormais n'apparaissent plus adoptifs, mais naturels. De là sont nées en la langue latine ces fleurs et ces fruits colorés de cette grande éloquence, avec ces nombres et cette liaison si artificielle, toutes lesquelles choses, non tant de sa propre nature que par artifice, toute langue a coutume de produire. Donc si les Grecs et Romains, plus diligents à la culture de leurs langues que nous à celle de la nôtre, n'ont pu trouver en icelles, sinon avec grand labeur et industrie, ni grâce, ni nombre, ni finalement aucune éloquence, nous devons nous émerveiller, si notre vulgaire[18] n'est si riche comme il pourra bien être, et de là prendre occasion de le mépriser comme chose vile, et de petit prix. Le temps viendra (peut-être) et je l'espère moyennant la bonne destinée française que ce noble et puissant royaume obtiendra à son tour les rênes de la monarchie[19], et que notre langue (si avec François[20] n'est du tout ensevelie la langue française) qui commence encore à jeter ses racines, sortira de terre, et s'élèvera en telle hauteur et grosseur, qu'elle se pourra égaler aux mêmes Grecs et Romains, produisant comme eux des Homères, Démosthènes, Virgiles et Cicérons, aussi bien que la France a quelquefois produit des Périclès, Nicias, Alcibiades, Thémistocles, Césars et Scipions.
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