La Machine Infernale, La nuit de noce, Cocteau.
Commentaire d'oeuvre : La Machine Infernale, La nuit de noce, Cocteau.. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar fabinounette • 27 Novembre 2016 • Commentaire d'oeuvre • 2 044 Mots (9 Pages) • 3 741 Vues
Cocteau la Machine infernale extrait 4 « La nuit de noces » 1°S novembre 2016
INTRODUCTION
Amorce
Dans La Machine infernale, pièce en quatre actes jouée le 10 avril 1934, Cocteau reprend le mythe antique d’Oedipe, hérité de l’auteur grec Sophocle, pour présenter sa propre conception du tragique et de la place des hommes dans le monde.
Selon la prédiction de l’oracle (cf. Prologue), rien n’a pu empêcher Oedipe de tuer son père et d’épouser sa mère, Jocaste, ni le fantôme de Laïus, qui apparaît sur les remparts (Acte I), ni le sphinx qui tente d’écarter Oedipe pour le sauver (Acte II).
L’acte III marque l’accomplissement de la prophétie.
Situer le passage
Les cérémonies du mariage et du couronnement viennent de s'achever.
Le décor illustre la chambre nuptiale : Cocteau souligne son symbolisme.
Oedipe renvoie le devin Tirésias, rejetant son avertissement ultime. Jocaste somnole, Oedipe s’endort et rêve de sa rencontre avec le sphinx : il pousse un cri et s’éveille.
Jocaste tente de le calmer et se reproche de l'avoir laissé dormir avec ces « sandales qui coupent les pieds » . À demi-ensommeillé, « encore dans le vague », Oedipe s'adresse à sa
« petite mère chérie ».
Problématique :
Un dialogue s’engage alors : parviendra-t-il à éclairer la vérité ?
Dégager des axes de lecture
La scène ne prend toute sa signification que dans la situation de dialogue qui la sous-tend. Elle est en effet à double sens. Une ironie tragique1 la domine. La scène est capitale, puisque Jocaste découvre la vérité. Le temps a fini par la rattraper.
1.C'est ironique parce que la situation est le contraire de ce que les personnages affirment.
Et c'est tragique parce que le destin les conduit à leur perte.
PREMIER AXE DE LECTURE : UNE SCÈNE À DOUBLE SENS
Personnages et spectateurs ne disposent pas des mêmes informations: les premiers ignorent tout d'eux-mêmes; les seconds savent tout sur eux : principe de la double énonciation.
L'ignorance des personnages sur eux-mêmes
Oedipe et Jocaste ignorent (encore) leur véritable identité.
Pour Jocaste, Oedipe est son jeune mari, aimé et aimant, ainsi que le récent vainqueur du Sphinx. Elle vient d'entendre de sa bouche le récit, enjolivé, de cette victoire.
Pour Oedipe, Jocaste est la reine de Thèbes, désormais sa femme. Ni l'un ni l'autre n'ont conscience du lien de parenté qui les unit. Oedipe ne sait pas que Jocaste est sa mère, comme Jocaste est loin d'imaginer qu'Oedipe est ce fils dont la disparition la hante depuis des années.
Le caractère incestueux de leur union leur échappe totalement.
Le savoir des spectateurs sur les personnages
Le public se trouve, quant à lui, dans une situation exactement inverse.
Il en sait plus sur les personnages que ceux-ci n'en savent sur eux-mêmes. Averti depuis le début de la pièce par la Voix, il ne peut avoir oublié que Jocaste et Oedipe sont mère et fils. La supériorité que lui confère son savoir l'oblige à interpréter différemment le dialogue des deux époux. Les mariés ne savent pas ce qu'ils disent, alors que le public sait trop bien ce qu'il entend.
DEUXIÈME AXE DE LECTURE : UNE IRONIE TRAGIQUE
De cette scène à double sens découle l'ironie tragique du passage. Dans leur ignorance, les personnages disent la vérité. Jocaste est la mère-épouse, dont les attitudes et les gestes sont plus maternels que conjugaux.
La mère-épouse
C'est Oedipe qui, le premier, introduit le thème de la mère (l. 1). La didascalie: encore dans le vague », indique qu'il n'a pas conscience de s'adresser à Jocaste. Sa réaction, à son complet réveil, le confirme: Oh! pardon, Jocaste, mon amour, je suis absurde » (l. 4). Aussi impute-t-il l'indécence de son propos à son esprit engourdi par le sommeil.
En fait, il n'y a, pour le public, aucune « absurdité », aucune erreur.
En « imitant » Oedipe et en s'écriant: « Quel enfant! » (l. 2), Jocaste relance la référence à la mère. Considérée de son point de vue, l'exclamation est à la fois moqueuse et affectueuse. Elle signifie:
« Voilà qu'il se conduit comme un enfant. »
Le public, lui, prend la formule au pied de la lettre. Jocaste parle bien de son enfant.
L'ambiguité atteint son comble dans l'éloge que Jocaste fait de la mère d'Oedipe: « Il a dû être choyé par une maman très bonne, trop bonne »(l.8-9). Sans le savoir, Jocaste se dépeint telle qu'elle aurait voulu être. L'abandon forcé de son fils l'a empêchée d'être « bonne ».
La suite est encore plus insupportable pour les spectateurs. « Je l'aime de tout mon coeur d'amoureuse la maman qui t'a dorloté, qui t'a gardé, qui t'a élevé pour moi, pour nous »(l.10-11). « Pour nous » (l. 11): Jocaste désigne par là le couple qu'elle forme avec Oedipe. Mais ce couple n'est pas celui d'une femme et de son mari: c'est celui de la mère et de son enfant.
La formule « mon cœur d'amoureuse la maman » résonne tragiquement. Les déterminants du substantif « mon » et « la » renvoient grammaticalement à deux personnes différentes (Jocaste
« amoureuse » et la mère d'Œdipe). Il suffit de supprimer le second de ces déterminants (« la ») pour que se trouvent juxtaposés « amoureuse » et « maman ». C'est la situation de l'inceste.
Des gestes révélateurs
L'ironie provient également du rapprochement entre le contenu du dialogue et les activités et les gestes des deux personnages. Au théâtre, en effet, tout est langage.
Ce n'est pas un hasard si Oedipe parle de sa « petite mère chérie » (l.1) à ce moment de sa
« nuit de noces ». Ses paroles sont celles qui s'échappent d'un rêve. Or, selon les théories de la psychanalyse, les rêves remplissent une fonction capitale. Ils expriment des obsessions fondamentales, dont celles liées à l'origine (à la naissance). Oedipe, par son rêve, dit sa dépendance vis-à-vis de sa mère. Il est en plein « complexe d'Œdipe », à l'origine précisément de l'inceste.
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