Jean Girou à propos du théâtre
Analyse sectorielle : Jean Girou à propos du théâtre. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar flav300 • 24 Novembre 2014 • Analyse sectorielle • 2 530 Mots (11 Pages) • 749 Vues
Sujet : Jean Giraudoux a pu dire du théâtre : « C’est très simple, cela consiste à être réel dans l’irréel. » Pensez-vous que cette affirmation puisse convenir à la fois à un certain théâtre et à d’autres genres littéraires ? »
Introduction
Quels rapports l’art entretient-il, malgré toutes les conventions qui le structurent, avec le réel ? Cette question fait remonter aux premières théories artistiques énoncées par les Grecs, lorsque Platon chasse les poètes de la cité parce qu’ils mettent en scène de puissants tyrans et que ces représentations artistiques peuvent induire en erreur les citoyens ; ou lorsque le même Platon élève le peintre Zeuxis au premier rang parce que les oiseaux, rapportait une fable, venaient picorer les grains de raisin qu’il dessinait. L’art est-il une mimesis, comme le disaient les Grecs, une imitation du réel ? Ou le réel présent dans l’art est-il le fruit de rapports infiniment plus complexes que la simple copie ?
Le théâtre, selon Giraudoux, se débat entre deux écueils, le réel et l’irréel : « C’est très simple, cela consiste à être réel dans l’irréel. » Cette réflexion faite sur le genre théâtral peut aisément s’applique à tous les genres littéraires. L’art est évidemment fait d’irréel, il n’est pas besoin d’y insister longuement : personnages qui n’ont de chair que celle que le papier leur confère, cohérence dramatique de leurs destins, langue écrite et non parlée, en vers, etc. Mais au sein de cet irréel, il peut exister une apparition du réel, et, selon Giraudoux, c’est ce qui fait la valeur de l’art.
Comment, donc, le réel peut-il se manifester dans l’irréel, et comment ce mélange confère-t-il précisément sa valeur à la littérature ? On examinera trois points de rencontre entre réel et irréel : en premier lieu l’irréalité permet de conférer un poids spécifique aux apparitions du réel par un système de contrepoint ; elle peut également renvoyer au réel par un travail critique ; enfin, toute œuvre, aussi fantaisiste soit-elle, est insérée dans un milieu spécifique dont elle se fait l’écho avec d’autant plus de profondeur qu’elle est de valeur.
1. L’irréel permet une apparition plus saisissante du réel
Le réel et l’irréel peuvent entretenir des rapports de mise en valeur qui font apparaître le premier dans les circonstances qui pourraient lui sembler les moins propices. Si Le Jeu de l’amour et du hasard a une valeur littéraire qui lui fait dépasser le simple canevas de la comédie italienne, c’est que s’y glisse, au cœur d’une structure très conventionnelle, une vérité saisissante. Marivaux n’abolit pas les contraintes de ce type de théâtre : on y trouve à la fois l’intrigue amoureuse entre deux couples de maîtres et de valets, le jeu du masque - on sait que la comédie italienne se joue en masques pour les rôles masculins - des stratagèmes et des quiproquos. Cette structure issue de la commedia dell’arte est fondamentalement irréelle et se présente comme un aimable divertissement léger. Mais Le Jeu de l’amour et du hasard permet, dans des situations convenues, de faire jaillir une intelligence du réel dans ce sujet rebattu qu’est l’amour.
Lorsque Silvia se sent prise d’amour pour Dorante, son attitude face à Lisette puis à son père et à son frère reflète une authenticité psychologique amoureuse qui, sans caractériser la jeune première de manière singulière, relève d’une vérité de l’amour. Le feu des répliques de Silvia lorsque l’on touche à « Bourguignon », qui n’est que Dorante déguisé, sa susceptibilité excessive, sa nervosité, tout la révèle sans qu’elle ait dit mot de son amour et nul ne s’y trompe : « J’ai donc besoin qu’on me défende, qu’on me justifie ? On peut donc mal interpréter ce que je fais. Mais que fais-je ? de quoi m’accuse-t-on ? Instruisez-moi, je vous en conjure : cela est-il sérieux ? me joue-t-on ? se moque-t-on de moi ? Je ne suis pas tranquille. »
L’amour commence par se cacher, et se cacher d’abord à soi-même en prétendant se cacher aux autres. Mais ces derniers voient toujours plus clair, et ni Mario ni Monsieur Orgon ne s’y trompent, pas plus que Lisette. Réel et irréel jouent ensemble dans ce moment du Jeu de l’amour et du hasard. Il relève des conventions du théâtre italien que Silvia soit amoureuse de Dorante, et cet amour, immédiat, n’a rien qui, en soi, le fasse échapper à l’irréel de cette règle. Mais sa manifestation, en revanche, dans ce monde de carton et de masques, emprunte des voies qui relèvent de la connaissance intime des mécanismes profonds de l’amour, que l’on retrouvera tout aussi bien, par exemple, à la fin du XVIIIe siècle dans l’incapacité de Valmont à reconnaître le sentiment qu’il porte à Madame de Tourvel. Derrière cette attitude commune, cette découverte psychologique fondamentale de l’âge classique, l’amour-propre. Car si Silvia refuse de s’avouer son amour, c’est parce qu’elle prend Dorante pour un valet et ne peut s’imaginer lier son sort au sien sans déchoir. Si elle est l’héroïne de la pièce, c’est que seul son amour-propre ne cède pas : Dorante, en revanche, la demandera en mariage en la prenant pour une soubrette. L’art de Marivaux transcende ainsi, sans les rompre, ces barrières irréelles qu’impose la comédie italienne et ce dernier cadre aboutit à un mélange d’une extrême singularité, profondeur et transparence complète, réel et irréel.
L’irréel et le réel peuvent entretenir des rapports qui inversent celui qui se déroule dans les pièces de Marivaux. Le réel peut être une production littéraire liée à une accumulation d’irréalités successives dans un cadre entièrement réel. Le Côté de Guermantes, dans son traitement de l’aristocratie du faubourg Saint-Germain, produit ainsi un effet de réel par le déplacement constant des comportements et surtout du langage des personnages dans leur cadre. Les Guermantes, le duc comme la duchesse, dans des registres différents, sont parfaitement insérés dans un monde réel, celui de la haute société de la fin du XIXe siècle, et tout est fait pour pourvoir d’une réalité précise ce cadre social, que connaît parfaitement Proust, comme le sien propre.
Mais en lieu et place des figures attendues de ces membres éminents du faubourg, telles que le narrateur lui-même se prépare à les rencontrer, sorte de dieux vivants dont la conversation doit le faire entrer dans les arcanes de l’intelligence et de la finesse, sans pour autant tomber le moins du monde dans une caricature qui ne fera que reprendre de simples clichés,
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