Acte I, scène 1, Valère et Elise.
Commentaire de texte : Acte I, scène 1, Valère et Elise.. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar challange2014 • 3 Février 2014 • Commentaire de texte • 5 917 Mots (24 Pages) • 1 943 Vues
ACTE I, SCÈNE PREMIÈRE
VALÈRE, ÉLISE.
VALÈRE.- Hé quoi, charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi ? Je vous vois soupirer, hélas, au milieu de ma joie ! Est-ce du regret, dites-moi, de m’avoir fait heureux ? et vous repentez-vous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre [1] ?
ÉLISE.- Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour vous. Je m’y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n’ai pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, à vous dire vrai, le succès [2] me donne de l’inquiétude ; et je crains fort de vous aimer un peu plus que je ne devrais.
VALÈRE.- Hé que pouvez-vous craindre, Élise, dans les bontés que vous avez pour moi ?
ÉLISE.- Hélas ! cent choses à la fois : l’emportement d’un père ; les reproches d’une famille ; les censures du monde ; mais plus que tout, Valère, le changement de votre cœur ; et cette froideur criminelle dont ceux de votre sexe payent le plus souvent les témoignages trop ardents d’une innocente amour.
VALÈRE.- Ah ! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres. Soupçonnez-moi de tout, Élise, plutôt que de manquer à ce que je vous dois. Je vous aime trop pour cela ; et mon amour pour vous, durera autant que ma vie.
ÉLISE.- Ah ! Valère, chacun tient les mêmes discours. Tous les hommes sont semblables par les paroles ; et ce n’est que les actions, qui les découvrent [3] différents.
VALÈRE.- Puisque les seules actions font connaître ce que nous sommes ; attendez donc au moins à juger de mon cœur par elles, et ne me cherchez point des crimes dans les injustes craintes d’une fâcheuse prévoyance. Ne m’assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d’un soupçon outrageux ; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et mille preuves, de l’honnêteté de mes feux.
ÉLISE.- Hélas ! qu’avec facilité on se laisse persuader par les personnes que l’on aime ! Oui, Valère, je tiens votre cœur incapable de m’abuser. Je crois que vous m’aimez d’un véritable amour, et que vous me serez fidèle ; je n’en veux point du tout douter, et je retranche mon chagrin [4] aux appréhensions du blâme qu’on pourra me donner.
VALÈRE.- Mais pourquoi cette inquiétude ?
ÉLISE.- Je n’aurais rien à craindre, si tout le monde vous voyait des yeux dont je vous vois ; et je trouve en votre personne de quoi avoir raison aux choses [5] que je fais pour vous. Mon cœur, pour sa défense, a tout votre mérite, appuyé du secours d’une reconnaissance où le Ciel m’engage envers vous. Je me représente à toute heure ce péril étonnant, qui commença de nous offrir aux regards l’un de l’autre ; cette générosité surprenante, qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse, que vous me fîtes éclater après m’avoir tirée de l’eau ; et les hommages assidus de cet ardent amour, que ni le temps, ni les difficultés, n’ont rebuté, et qui vous faisant négliger et parents et patrie, arrête vos pas en ces lieux, y tient en ma faveur votre fortune déguisée, et vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l’emploi de domestique [6] de mon père. Tout cela fait chez moi sans doute [7] un merveilleux effet ; et c’en est assez à mes yeux, pour me justifier l’engagement où j’ai pu consentir : mais ce n’est pas assez, peut-être, pour le justifier aux autres ; et je ne suis pas sûre qu’on entre dans mes sentiments.
VALÈRE.- De tout ce que vous avez dit, ce n’est que par mon seul amour que je prétends auprès de vous mériter quelque chose ; et quant aux scrupules que vous avez, votre père, lui-même, ne prend que trop de soin de vous justifier à tout le monde ; et l’excès de son avarice, et la manière austère dont il vit avec ses enfants, pourraient autoriser des choses plus étranges. Pardonnez-moi, charmante Élise, si j’en parle ainsi devant vous. Vous savez que sur ce chapitre on n’en peut pas dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l’espère, retrouver mes parents, nous n’aurons pas beaucoup de peine à nous le rendre favorable. J’en attends des nouvelles avec impatience, et j’en irai chercher moi-même, si elles tardent à venir.
ÉLISE.- Ah ! Valère, ne bougez d’ici, je vous prie ; et songez seulement à vous bien mettre dans l’esprit de mon père.
VALÈRE.- Vous voyez comme je m’y prends, et les adroites complaisances qu’il m’a fallu mettre en usage, pour m’introduire à son service ; sous quel masque de sympathie, et de rapports de sentiments, je me déguise, pour lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afin d’acquérir sa tendresse. J’y fais des progrès admirables ; et j’éprouve que pour gagner les hommes, il n’est point de meilleure voie, que de se parer à leurs yeux de leurs inclinations ; que de donner dans leurs maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce qu’ils font. On n’a que faire d’avoir peur de trop charger la complaisance ; et la manière dont on les joue, a beau être visible, les plus fins toujours sont de grandes dupes du côté de la flatterie ; et il n’y a rien de si impertinent, et de si ridicule, qu’on ne fasse avaler, lorsqu’on l’assaisonne en louange. La sincérité souffre un peu au métier que je fais : mais quand on a besoin des hommes, il faut bien s’ajuster à eux ; et puisqu’on ne saurait les gagner que par là, ce n’est pas la faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être flattés.
ÉLISE.- Mais que ne tâchez-vous aussi à gagner l’appui de mon frère, en cas que la servante [8] s’avisât de révéler notre secret ?
VALÈRE.- On ne peut pas ménager l’un et l’autre ; et l’esprit du père, et celui du fils, sont des choses si opposées, qu’il est difficile d’accommoder ces deux confidences ensemble. Mais vous, de votre part, agissez auprès de votre frère, et servez-vous de l’amitié qui est entre vous deux, pour le jeter dans nos intérêts. Il vient. Je me retire. Prenez ce temps pour lui parler ; et ne lui découvrez de notre affaire, que ce que vous jugerez à propos.
ÉLISE.- Je ne sais si j’aurai la force de lui faire cette confidence.
SCÈNE II
CLÉANTE, ÉLISE.
CLÉANTE.-
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