La Colonne De La Victoire Et Benjamin

Déplacements berlinois

Sept tables, trois ordinateurs, des milliers de documents numérisés et prêts à être consultés. Deuxième étage d'un bâtiment en face de l'hôpital de la Charité et de l'université. Nous sommes dans les archives du philosophe allemand Walter Benjamin. De la ville autour, on n'entend que le bruit des pots d'échappements et la douce clameur des étudiants fumant leurs cigarettes dehors. Le lieu est fait pour étudier au calme – nous faisons face aux fenêtres en bandeau, derrière nous un mur entier de textes sur Walter Benjamin qui pèse un peu sur nos épaules. Devant la quantité vertigineuse de documents archivés, par où commencer ? Un texte attise immédiatement notre curiosité. Il s'agit de « La colonne de la victoire », tiré d'un recueil écrit entre 1932 et 1933. Dans le court texte, Benjamin retrace ses souvenirs d'enfance à Berlin, lorsqu'en 1902, il se mêlait à la foule avec sa gouvernante pour assister à la commémoration de l'anniversaire de la bataille de Sédan, d'où l'Allemagne ressortit victorieuse. A l'époque, une parade militaire avait lieu sur la Tauentzienstrasse et aboutissait sur la Siegesaule, gigantesque colonne de 60 mètres. Faisant appel au regard sans compromis de l'enfance, Benjamin décrit la colonne comme symbole d'ascension sociale, et établit en filigrane une critique de la guerre, de la domination des vainqueurs sur les vaincus, et de la monumentalité. Benjamin écrivait là-bas et en ce temps-là ; ici et maintenant, ces questions sont encore éminemment valables et actualisables. Comment l'histoire se cristallise-t-elle au travers d'un monument ? Combien de strates de sens et d'histoire forment le palimpseste d'une colonne comme celle de la victoire ?

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