La fonction du personnage de roman

Le personnage de roman a-t-il pour fonction de représenter la société dans laquelle l'auteur le fait évoluer ?

Jusqu'à la Renaissance le terme "personnage" appartient au lexique du théâtre. Depuis, on appelle personnage une figure de fiction, fabriquée de toutes pièces ou bien inspirée de la réalité ou de la vie de l'auteur, pour les besoins de l'intrigue, de l'action. Mais d'après le théoricien du roman Lucien Goldmann, le personnage n'a pas pour seule raison d'exister de permettre la narration du récit : "la forme romanesque est la transposition sur le plan littéraire de la vie quotidienne dans la société". On peut donc penser que le personnage de roman est l'acteur principal de cette transposition. Il s'agira de voir dans quelle mesure le personnage de roman a pour fonction de représenter la société dans laquelle l'auteur le fait évoluer. Nous verrons tout d'abord que le personnage exerce en effet très souvent cette fonction, puis nous montrerons que ce n'est cependant pas toujours le cas. Enfin, nous tenterons de dépasser cette contradiction en évoquant l'hétérogénéité d'une société et en montrant que le personnage de roman est avant tout un reflet de la société de l'auteur.

Le personnage principal d'un roman, qu'il soit parfaitement intégré ou tout à fait exclu de sa société, a très souvent pour fonction de la représenter. En effet, en mettant en scène un protagoniste qui s'intègre à sa société, l'auteur permet au lecteur de mieux comprendre les caractéristiques de cette société. Dans le roman autobiographique romancé de Jack London Martin Eden, le personnage principal est à l'origine un marin qui aspire à devenir écrivain. Il parvient à s'élever dans les rangs sociaux et connaît un grand succès littéraire avant de se donner la mort au milieu de l'Océan Pacifique car il a pris conscience, grâce à sa fiancée, de l'hypocrisie et des faux-semblants du milieu aristocratique et perd donc espoir en sa société. C'est donc à travers le personnage de Martin Eden, que le lecteur apprend à connaître toutes les différentes faces de la société : à la fois la classe populaire et la bourgeoisie.

De même, un personnage qui est pourtant tout le contraire de la société dans laquelle il évolue, peut également servir à la représenter. Dans ce cas, il la représente par tout ce qu'il n'est pas. Dans Les Aventures de Monsieur Robert Chevalier, dit de Beauchêne d'Alain-René Lesage, le personnage éponyme de ce roman a grandi au Canada, où le gouvernement exigeait la soumission des habitants et où ses parents exigeaient de lui une discipline rigoureuse. Cependant, Monsieur Robert Chevalier est l'incarnation même de l'aventurier, caractérisé d'une part par l'horreur de l'ennui et de la tranquillité et d'autre part par le solitarisme. En effet, M de Beauchêne est un flibustier qui rejette toute forme de société, de conformisme social ou de contrat social. D'après lui, il ne doit rien à personne et personne ne lui doit rien. Dans Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, Mme de Merteuil et le vicomte de Valmont sont des libertins, c'est-à-dire des personnages qui cèdent à leur instinct de plaisir sans aucune concession. Tout au long du roman épistolaire, les anciens amants se vantent de leurs différentes conquêtes amoureuses : Cécile de Volanges, la Présidente de Tourvel, le chevalier de Belleroche... Ces triomphes sont pour ces libertins synonymes de manipulation de ceux qu'ils séduisent. A l'inverse, la société du XVIIIème siècle, fortement dominée par la religion catholique, s'oppose moralement à ce genre de pratiques. On peut donc dire qu'un personnage qui s'oppose aux principes et aux coutumes de sa société peut avoir pour fonction d'en être le reflet.

Néanmoins, le personnage de roman peut avoir une toute autre fonction que celle de représenter la société dans laquelle le fait évoluer l'auteur. Par exemple, La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette est un roman d'analyse qui s'appuie donc sur les émotions et les sentiments du personnage lorsque celui-ci se retrouve face à une situation inédite. Mme de Lafayette s'intéresse plutôt à l'état d'âme du personnage principal qu'aux personnes qui l'entourent. Le récit est d'ailleurs suspendu à plusieurs reprises dans le roman pour laisser place à la description du conflit intérieur auquel fait face la Princesse de Clèves. La fonction du personnage de roman peut donc être celle

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