Freud, Gradiva

« Dans un cercle où l’on pensait que l’auteur de cet écrit, dans ses travaux, avait résolu les principales énigmes du rêve, la curiosité s’éveilla un jour à propos des rêves qui ne furent jamais vraiment rêvés, mais attribués par les romanciers à leurs personnages imaginaires. […]

Que le rêve soit susceptible d’un sens et d’une interprétation ne constitue pas une croyance généralement répandue. Les hommes de science, et, avec eux, la majorité des lettrés, sourient lorsqu’on leur propose d’interpréter un rêve ; seule la superstition populaire, qui renoue avec la tradition de l’antiquité, ne veut pas cesser de croire les rêves interprétables, et l’auteur de la Science des Rêves a osé prendre le parti de l’antiquité et de la superstition populaire contre l’ostracisme de la science positive. […]

Dans ce débat relatif à l’estimation du rêve, les poètes et les romanciers semblent être du même côté que l’antiquité, la superstition populaire et l’auteur de la Science des rêves »

Cette citation est extraite de “Le Rêve et les délires dans “Gradiva” de Jensen” de Sigmund Freud écrit en 1906. Dans cet ouvrage en quatre parties, Freud nous propose une analyse de l'oeuvre de “Gradiva” de William Jensen. Parue en 1903, la nouvelle de Jensen raconte l'histoire d'un jeune archéologue allemand, Norbert Hanold, fasciné par la démarche d'une jeune femme d'un bas-relief antique. Il la surnomme “in petto Gradiva”, en latin “celle qui avance”. Une obsession qui se poursuit jusque dans ses rêves, où il la voit mourir à Pompéi suite à l'éruption du Vésuve. À son réveil, il décide de retrouver Gradiva dans le monde réel. Gradiva sera finalement Zoé, son amie d'enfance “oubliée”.

Dans la première partie de son analyse, Freud résume le conte de façon très précise, dans les trois autres parties il va l'analyser.

Nous verrons dans cet extrait du tout début de l'introduction comment Freud s'interroge sur le sens des rêves. D'abord grâce à ses propres études et à “l'ignorance” des hommes de science, ensuite par le savoir des écrivains, et enfin, en prenant en considération les superstitions du peuple et les croyances de l'Antiquité.

Dans un premier temps, nous allons voir que Freud déplore le sarcasme des hommes de science et que, pour lui, ses travaux sont pertinents. En effet, Freud ne se sent pas en adéquation avec les pensées des savants de son époque : "Que le rêve soit susceptible d'un sens et d'une interprétation ne constitue pas une croyance généralement répandue". Il estime que les hommes de sciences et les érudits ne prennent pas au sérieux l'interprétation des rêves "Les hommes de science, et avec eux, la majorité des lettrés sourient lorsqu'on leur propose d’interpréter un rêve". Le verbe "sourient" démontre bien le scepticisme de la science positive. Notons l'opposition employée par Freud hommes de science / science des rêves : il met d'un côté les hommes de science, qui pourtant étudient les sciences humaines et sociales, et de l'autre la science des rêves qu'il étudie lui même, il fait une distinction entre eux et lui. Il se voit comme un avant-gardiste et souhaite faire accepter sa propre démarche scientifique: il a "osé [...] contre l'ostracisme de la science positive". Freud se veut d'un genre à part. Le mot “ostracisme” illustre bien le sentiment de rejet et d'exclusion face à la science positive.

“Si quelques penseurs nous chicanent, comme étant absurde, l’existence d’un tel inconscient, c’est, croyons-nous, qu’ils ne se sont jamais occupés des phénomènes psychiques appropriés.” **

Nous remarquons dans ce début d'introduction que Freud parle de lui à la troisième personne du singulier "l'auteur de cet écrit", "l'auteur de la Science des rêves". Il met une distance entre ses anciens travaux et cette nouvelle analyse des rêves dans "Gradiva". Par cette distinction, il veut prouver la validité, la véracité de son étude précédente. Selon lui, "l'auteur de cet écrit, dans ses travaux, avait résolu les principales énigmes du rêve", les points essentiels, les mécanismes du rêves (comme par exemple la déformation du rêve ou le rôle du rêve) ont été déterminés précédemment dans “La Science des rêves”.

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