Voyage au Bout de La Nuit - "Pour ce que vous ferez ici ça n'a pas d'importance [...]"
Commentaire de texte : Voyage au Bout de La Nuit - "Pour ce que vous ferez ici ça n'a pas d'importance [...]". Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar 12345 no name • 10 Janvier 2019 • Commentaire de texte • 1 695 Mots (7 Pages) • 739 Vues
Commentaire composé : Extrait 4 Vabdlan
p.224 à 226
Introduction :
VABDLAN se subdivise en 4 parties associés chacunes à des thèmes différent qui sont à la découverte de l’horreur qu’est la guerre, le colonialisme, le modernisme et le progrès. Dans cet extrait, après avoir vécu le traumatisme de la guerre de 14 puis découvert les méfaits de la colonisation en Afrique, Bardamu se retrouve aux Etats Unis. Plus précisément à Détroit, où il cherche du travail dans l’industrie automobile, secteur phare des années 30. L’extrait est le récit de son embauche dans une usine Ford, emblème de la modernité, du rêve américain, mais aussi de la production en série grâce au travail à la chaîne mis en place par Ford. Céline propose ici une vision à la fois drôle et inquiétante des conditions de travail tellement abrutissantes qu’elles menacent l’ouvrier de déshumanisation. Nous verrons ainsi en quoi cet extrait dénonce les conditions de travail de l’époque où le seul objectif est le profit, quitte à en déshumaniser l’homme et le voir seulement comme un boulon de la machine qu’est le capitalisme. Ceci constituera notre second sujet de réflexion.
I. UNE COURSE AU PROFIT
Cet extrait débute par une déclaration du médecin concernant la futilité de l’état physique de Bardamu, futur ouvrier. On assiste par ce biais à une dénonciation de l’absurdité de la médecine du travail à cette époque où seul la vitesse de production importe.
1. UNE MASCARADE
La simple observation du médecin n’est pas une auscultation et la visite n’est pas destinée à déceler les faiblesses physiques car on se moque de ce critère tant que la personne peut travailler : « vous êtes bien mal foutu (…) mais ça fait rien » ; et le médecin insiste : « ça n’a pas d’importance comment que vous êtes foutu ! »
Ainsi on perçoit sans difficulté l’écart entre les attentes et la réalité de la médecine du travail. Les phrases exclamatives renforcent cette impression.
Bardamu explicite d’ailleurs l’absurdité de telles exigences médicales : « Mais au contraire, ils semblaient l’air bien content de trouver des moches et des infirmes dans notre arrivage. » Ce qui constitue habituellement un handicap est présenté comme une qualité.
Céline emploie l’ironie comme à son habitude : Ainsi Bardamu qualifie de « rassur[ants] »les propos du médecin sur la tâche qui l’attend : « Pour ce que vous ferez ici. » Lorsque Bardamu précise qu’il a « de l’instruction » et met en avant ses « études médicales », il se ridiculise auprès du médecin : « J’ai senti que je venais de gaffer une fois de plus, et à mon détriment ». Cette erreur est qualifiée plus loin, de manière très ironique, de « bêtise ». On assiste au même système parodique d’inversion des valeurs : l’imbécillité constitue la condition requise pour faire un bon ouvrier.
2. LES RAISONS DE CETTE « COMEDIE »
Le texte souligne avec insistance que toute forme d’intelligence est « regard[ée] d’un sale œil » grâce à des termes dépréciatifs : « pas besoin d’imaginatifs » ; grâce aux répétitions du médecin qui suggèrent déjà le caractère abrutissant du travail demandé : « Ça ne vous servira à rien ici vos études, mon garçon ! Vous n’êtes pas venu ici pour penser » ; mais encore grâce à un effet de gradation dans les menaces proférées par le médecin: « Un conseil encore. Ne nous parlez plus jamais de votre intelligence ! On pensera pour vous mon ami ! Tenez-vous-le pour dit ; »
Une métaphore animale, « C’est de chimpanzés dont nous avons besoin… » donne une image caricaturale de la condition de l’ouvrier, réduit à faire docilement et stupidement » les gestes qu’on lui commandera d’exécuter. »
On observe qu’il ne s’agit en rien de comprendre sa tâche mais qu’il s’agit de l’exécuter bêtement et rapidement : aucune action précise n’est indiquée sinon celle, purement mécanique, de réaliser des gestes privés de sens, sur ordre d’un supérieur anonyme. Ceci contribue en plus de la métaphore animale à une sensation de déshumanisation des ouvriers.
Céline dénonce l’absurdité d’un recrutement qui ne requiert aucune qualité et procède même au renversement des valeurs : les défauts et faiblesses ne sont pas disqualifiants mais recherchés tandis l’intelligence est bannie. Les ouvriers sont ainsi sélectionnés sur des critères complètement arbitraires visant seulement à les déshumaniser plus facilement pour obtenir des tâches exécutées machinalement . Ceci permet d’annoncer la dénonciation des conditions de travail à la chaîne.
II. LA DÉNONCIATION DE CONDITIONS DE TRAVAIL DÉSHUMANISANTES
1. LA PERTE DE LA PERSONNALITE
Dans le texte on passe progressivement du pronom je à l’indéfini on : ce glissement s’explique par la volonté de Bardamu de témoigner de ce que vit comme lui l'ensemble des ouvriers. C’est comme si on assistait à la disparition progressive du sujet, fondu dans la masse indifférenciée et anonyme des ouvriers.
Après l’examen ( ou du moins sa parodie ) , les hommes sont « éparpillés » en « files traînardes » et bientôt celles-ci se disloquent : « A mesure qu’on avançait on les perdait les compagnons. » on notera que le verbe perdre suggère une forme de disparition, de mort. Quant au terme « compagnons », il traduit l’instinct grégaire et le sentiment de fraternité devant la menace que ces hommes devinent : « par groupes hésitants (…) vers ces endroits. ». ( On entrevoit un rapport avec les compagnons de guerre, et le fait de perdre des camarades au combat, signe que Bardamu est resté marqué par cet épisode. )
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