Sujet d'invention : Les Lettres Persanes, Usbek répond à la lettre 121 de Roxane

Usbek à Roxane.

Au sérail d’Ispahan

Je ne cesse de lire et relire la lettre que tu m’as envoyée. Voilà maintenant des heures que tes paroles crues hantent mon esprit. Je ne peux croire aux impies confessions que tu me fais là. Je ne veux y croire ! Comment pourrais-je me résoudre à accepter que de telles horreurs, de telles abominations aient été commises par toi Roxane ?  Le seul fait de prononcer ton nom fait résonner dans ma tête, rongée par le chagrin et les soupçons, les abrupts mots que, sans aucun ménagement, tu m’as adressé, et je me sens trahit une fois encore.

J’avais en toi une inébranlable confiance ; ma raison était sans doute brouillée par mes sentiments. Car même si toute ma vie j’ai prévenu l’amour et l’ai anéanti à chaque fois qu’il voulait faire intrusion dans mon cœur, et bien que je me gardais d’éprouver un quelconque attachement, si infime soit-il, pour aucune de mes femmes, j’ai finit par t’aimer, Roxane. Mais toi, déloyale et perfide que tu es, tu m’annonces que tu me trompes délibérément ? Que tes sentiments son feints ? Qu’envers moi tu ne ressentais que de la haine ? Et que ce que je pensais être ta vertu n’était en fait que soumission à ce que tu appelles mes fantaisies ?                        

Eros et Cupidon : tels sont les noms que les occidentaux donnent au dieu de l’amour. C’est Satan qu’il aurait dû s’appeler tant il a causé de torts ! Ce démon qu’on fait passer pour ange m’a ôté toute sagesse. J’aurais dû deviner ta vraie nature mais il m’a rendu aveugle et sourd. On dit qu’entre l’amour et la haine, il n’y a qu’un seul pas : sache que je l’ai franchit à mesure que mes yeux caracolaient avec fureur le long du maudit papier que tu as eu l’audace de m’envoyer. Je te hais Roxane. Je te hais. Je te hais. Mais que dis-je ? J’aimerai tant que ce soit vrai ! J’aimerai tant te haïr ! Je ne supporte plus l’idée que je t’aime encore ! Je me déteste de t’aimer.

La jalousie consume mon âme. Elle me brûle de l’intérieur et va finir par me faire sombrer dans la folie. Cependant je ne peux rien faire pour remédier à mes maux. Le joug de Paris me retient ici comme un prisonnier dans son cachot. Je suis libre par ma naissance mais esclave de mes actes. J’ai mille fois imploré Rica de quitter cette ville damnée car il m’est impossible de faire seul le voyage jusqu'à Ispahan. Mais il me tourne le dos. Paris l’a ensorcelé. Il est l’abeille, elle est le miel. Et il en vient jusqu’à oublier sa famille, ses amis, et sa patrie. Mais même quand il me serait possible de quitté ce lieu et de rejoindre ma ville, qu’y ferais-je ? Je me suis exilé de cet endroit pour fuir le vice et la corruption. Mes ennemis devenaient de plus en plus nombreux et je m’étais attiré les foudres de plusieurs ministres. Si je venais à retourner auprès d’eux, ils ne m’épargneraient guère.          

Il n’existe aucun mot pour exprimer mon désespoir ; toutes les personnes et les choses qui m’attachaient à cette terre ont finit par me trahir. Il ne me reste plus aucune raison de vivre. Je préfère encore mourir qu’exister dans la honte, avec un honneur bafoué. Je me plains à toi Roxane pour que tu sache tout le mal qui m’accable. Le sort s’acharne sur moi. Le monde tout entier semble s’être ligué pour causer mon malheur. Mon combat contre l’infortune est inéquitable et tu viens de m’affliger le coup de grâce. Je veux que tu te sentes responsable de mon désespoir. Je veux que la culpabilité te ronge jusqu’à t’anéantir. Je veux que ta conscience soit lourde et pèse sur tes épaules jusqu’à t’empêcher de vivre. Alors enfin, tu mettras en œuvre tes fatales menaces, impitoyable Roxane. Et tu viendras me rejoindre dans l’au-delà, où je t’attendrais, avec toujours cette noire rancœur dans mon âme.

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