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”Si tu fais des vers et que tu commences par des pensées, tu commences par de la prose” Valéry.

Dissertation : ”Si tu fais des vers et que tu commences par des pensées, tu commences par de la prose” Valéry.. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  6 Novembre 2016  •  Dissertation  •  2 327 Mots (10 Pages)  •  943 Vues

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“Non, non, la poésie n’est pas l’écume du cœur”. C’est par ces mots trempés dans la verve mordante de Gustave Flaubert que ce dernier s’adressait à Louise Colet pour lui manifester son désarroi devant les rémanences du romantisme : les sentiments avaient “inondés” l’espace poétique, aussi bien en amour qu’en politique. Il fallait taper du poing sur la table.

Paul Valéry, soixante-dix ans plus tard, exprime aussi son exaspération dans ses Cahiers de jeunesse “si tu fais des vers, et que tu commences par des idées, tu commences par de la prose”. Il s’agit bien de rappeler en ce début de XXème siècle la présence du versificateur dans le champ poétique et de bien distinguer l’activité rationnelle - la prose, de l’activité poétique, le vers.

Ce problème est central : un vers pour advenir doit passer entre les mains d’un artisan-poète. Mais dans cette création, la pensée préexiste-t-elle à la forme ou la forme aux idées? Les sonorités, harmonies rythmiques et syntaxiques ont-elles les moyens de générer des pensées sans en être les servantes? Ou bien s’agit-il là d’une utopie poétique?

Dans un premier temps, on peut tout à fait acquiescer à l’idée de Paul Valéry selon laquelle la “confection” de la versification trouverait son principe ailleurs que dans l’activité rationnelle. Il faut entendre, alors, l’expression “faire des vers” comme le travail du poète qui élabore une forme poétique fixe, qui répond à des règles bien précises et immuables.

En effet, il faut bien reconnaître que les pensées, en tant qu’idées, se transforment rapidement en “thèse” et que cette dernière fonctionne comme un dogme réduisant en servitude la production poétique. Valéry appelle donc de ses vœux la libération de la forme poétique de l’idée. C’est ce que l’exemple du texte de Benjamin Péret, Le Déshonneur des poètes, nous permet de démontrer. En février 1945, depuis Mexico où il s’est réfugié, ce dernier écrit ce texte, en réponse au texte d’Eluard L’Honneur des poètes. Le poète reproche aux poètes engagés de renoncer à la poésie au profit d’idées asservissantes comme la litanie - forme religieuse de la prière :

“Mais c’est à Paul Eluard qui, de tous les auteurs de cette brochure, seul fut poète, qu’on doit la litanie civique la plus achevée. (…) Il y a lieu de remarquer incidemment ici que la forme litanique affleure dans la majorité de ces « poèmes », sans doute à cause de l’idée de poésie et de lamentation qu’elle implique.”

Celui qui veut “faire des vers” (le “seul fut poète” ironique de Péret) doit se garder de recourir à l’idée, car il prend le risque de transformer la forme poétique en discours religieux : Eluard, en reprenant “la forme litanique” dans son poème “Liberté” se range implicitement du côté du pouvoir en place, du côté de Pétain. Pour Péret, la cause en est simple : Eluard veut “démontrer” une thèse, il a “commencé par des pensées”.

Or, Valéry, s’il prohibe au poète l’activité rationnelle (les pensées) dans la phase initiale de la création poétique, ne lui interdit pas cependant d’avoir des “pensées”. Il ne s’agit pas de convoquer des faiseurs de vers privés de bon sens, éloignés dans leur tour d’ivoire de toute réalité. Il importe de distinguer l’activité politique et philosophique de l’activité poétique. C’est ce que nous permet de démonter son engagement pendant la guerre. En effet, si ses textes poétique en vers, Charmes, par exemple, ne sont jamais la mise en mot - aussi poétiques soient-ils - d’une prise de position, ces engagements politiques l’ont conduit à faire l’éloge funèbre du “juif” Henri Bergson à l’Académie française le 06 janvier 1941. La réaction des pouvoirs en place est immédiate : Paul Valéry perd son poste d’administrateur du Centre universitaire méditerranéen. D’autre part, il a manifesté sa résistance par l’acte d’une dédicace à Hélène Berr, jeune française juive, rescapée de l’expérience concentrationnaire. Valéry parvient ainsi à agir sur la société par ses idées, mais c’est en prose qu’il le fait.

Enfin, il est nécessaire de reconnaitre avec lui que le procès poétique est avant toute chose l’obéissance à une forme fixe (que ce soit le sonnet, la ballade, le rondeau…) : le retour de la rime fait passer “les idées” au second plan; ces dernières deviennent alors secondes. La tête est la forme, la queue, le fond, de l’entité poétique. C’est ce que nous permet de démontrer le sonnet de Louise Labé “Je vis, je meurs”.

Je vis, je meurs: je me brûle et me noie,

J’ai chaud extrême en endurant froidure;

La vie m’est et trop molle et trop dure,

J’ai grands ennuis entremélés de joie.

On comprend bien ici, dans ce célèbre sonnet de la “belle cordière” - comme elle était surnommée par Maurice Sève comment la forme fixe du sonnet rend subsidiaire les idées derrière les mots. Ce premier quatrain contraint la poétesse à faire rimer “noie” et “joie”. Que s’est-il passé dans l’activité créatrice? L’idée de “noyade” s’est imposée parce que Louise Labé cherchait une rime à la “joie” du vers 4? Ou bien le contraire? Peu importe, c’est dans ce mystère que se “fait le vers” car on ne saura jamais comment les idées se sont manifestées au poète. Le lecteur peut seulement constater la forme poétique.

Dans un second mouvement, il convient de prendre quelques distances avec la thèse initiale de Paul Valéry selon laquelle un poète, pour “faire des vers” et éviter de produire de “la prose” devait se garder des idées. En effet, l’expression “faire des vers” pourrait bien être entendue dans un sens plus large de “travail sur le rythme, la syntaxe, les sonorités”.

D’ailleurs, si l’on se réfère à l’étymologie du mot “idée”, il convient de voir que les pensées ont une essence “métaphorique”. Le mot idône en grec ancien renvoie à “l’image”, à l’action de voir. Si le poète, donc, n’asservit pas son travail par la “raison” et la rationalité, il n’en demeure pas moins qu’il se donne le droit de “commencer par des images”. C’est ce que l’exemple du premier chant des Tragiques de Théodore Agrippa d’Aubigné nous permet de démontrer.

Je veux peindre la France une mère affligée,

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