Montesquieu, Les Lettres Persanes, Lettre CLXI, 1721
Commentaire de texte : Montesquieu, Les Lettres Persanes, Lettre CLXI, 1721. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar vodk • 2 Mai 2017 • Commentaire de texte • 2 707 Mots (11 Pages) • 2 231 Vues
Commentaire
Montesquieu, Les Lettres Persanes, Lettre CLXI, 1721
Eléments d’introduction :
(Cette introduction est très longue et comporte des éléments purement informatifs destinés à éclairer ceux qui ne connaissent pas l’œuvre. La présentation de l’œuvre et du passage peut s’effectuer en quelques phrases seulement. Certains rapprochements avec d’autres œuvres au cours du développement sont à mettre sur le même plan)
Montesquieu publie Les Lettres Persanes en 1721, sous la double influence du goût pour l’Orient et du goût pour la satire sociale et politique, tous deux très en vogue à son époque. Ce roman épistolaire est dans un premier temps publié anonymement pour éviter la censure et Montesquieu prétend n’en n’être que le traducteur, même si ses contemporains ne s’y trompent pas. Cette œuvre met en scène Usbeck, un riche noble persan en voyage à Paris accompagné de son ami Rica. L’œuvre rassemble la correspondance fictive échangée, de 1711 à 1720, entre les deux voyageurs et leurs amis respectifs restés en Perse. Ces lettres sont le prétexte pour l’auteur de livrer son point de vue critique sur la société française de la fin du règne de Louis XIV, à travers le regard naïf de ses personnages exotiques. A partir de la lettre CXXXVIII, l’intrigue romanesque se recentre sur l’effondrement du sérail d’Usbeck dans lequel sont restées ses cinq épouses (Zachi, Zéphis, Fatmé, Zélis, et Roxane) aux soins d’un certain nombre d’eunuques. Pendant la longue absence de leur époux, les femmes sous l’influence de Roxane, sa favorite, se sont rebellées contre la tyrannie du harem. Il y a eu violence, le sang a coulé, l’homme qu’aimait Roxane a été tué, car Usbeck, informé par lettre, s’est comporté en despote sanguinaire. Roxane écrit à ce dernier cette ultime lettre qui clôt le roman. Elle y révèle à la fois son suicide mais également la réalité des sentiments qui ont été les siens durant son mariage et la vision qu’elle a de son époux. Nous nous demanderons comment cette lettre est tout à la fois une lettre d’aveu et de revendications. Nous montrerons tout d’abord que cette lettre révèle une facette insoupçonnée des personnages Usbeck et Roxane avant de mettre en lumière la dimension tragique de ce dénouement. Enfin, nous montrerons quelles critiques et quelles affirmations elle porte, dans l’esprit des Lumières.
I/ Une lettre d’aveux pleine de ressentiment
- Une lettre d’aveux qui éclairent la fiction romanesque
L’objet de cette lettre semble être les aveux, par lesquels Roxane rétabli la vérité sur le sérail et le remet en cause.
- La lettre s’ouvre sur une succession de quatre aveux que Roxane fait à son époux : elle l’a trompé « Oui, je t’ai trompé » (l.1), elle se suicide (l. 3), elle a aimé un autre homme « le seul homme qui [la] retenait à la vie » (l.4) et elle a tué les gardiens « je viens d’envoyer devant moi ces gardiens sacrilèges » (l.5).
- Loin d’être animée par la culpabilité, Roxane affirme ici avec fermeté son rejet pour Usbeck. Elle n’emploie que le pronom personnel « je » (« je t’ai trompé » (l. 1) , « j’ai séduit » (l.1), « j’ai pu vivre » (l. 9) et « tu » « comment as-tu pensé ? » (l. 7), « tu te permets tout » (l. 8), qu’elle oppose violemment l’un à l’autre : le jeu de l’énonciation souligne la séparation et le fossé qui ont toujours existé au sein du couple.
- On peut noter que le seul « nous » qu’utilise Roxane est placé dans l’expression « nous étions tous deux heureux » (l.16-17) qui exprime ironiquement l’aveuglement de l’époux et la fausseté de la situation dans laquelle ils vivaient.
- Roxane se montre virulente contre un époux haï
Cette lettre peut étonner le lecteur par son ton polémique. Roxane se montre de bout en bout virulente. Elle évoque d’emblée « l’affreux sérail » (l. 1) qui matérialise son état de servitude.
- Dans l’ensemble, c’est surtout contre son époux que s’exprime sa « haine » (l. 15), son mépris et son ironie mordante. Le lexique qu’elle utilise pointe le caractère dominateur d’Usbeck, par exemple avec « ta jalousie » (l. 1), « tes caprices » (l.7), « tu te permets tout » (l. 8) « tes lois » (l. 9), « ma soumission à tes fantaisies » (l. 13), ce terme est particulièrement accusateur et méprisant car il confère une image dérisoire aux transports amoureux d’Usbeck.
- Roxane lui fait observer la naïveté et l’aveuglement dont il a fait preuve, « tu étais étonné » (l. 14), « si tu m’avais bien connue » (l.14), « tu me croyais » (l.17). Elle dresse donc un portrait très sombre de son époux.
3) Une lettre qui rétablit la vérité sur un mariage factice
La critique de la personnalité de son époux est doublée par le regard lucide que Roxane porte sur leur mariage.
- Leur union est présentée comme une tromperie qui a caché la vraie nature des sentiments qu’elle vient de révéler. La phrase qui s’ouvre sur « Nous étions heureux » est teintée de cynisme car elle présente le couple qu’elle formait avec Usbek, comme entièrement factice.
- L’opposition entre «tu me croyais trompée» et «je te trompais » (l. 17) met en lumière un jeu de dupes : Usbek pensait dominer leur couple, tandis que Roxane exerçait sa liberté aux dépens de son époux. Le chiasme « tu me »/« je te » souligne l’inversion des rôles et la reconquête du pouvoir par Roxane. Cette phrase, et par la même occasion la lettre, débute par un arrogant «Oui», qui signale à Usbek la volonté de Roxane d’assumer sans aucun regret ni remords l’infidélité qu’elle a commise.
II/ Une lettre tragique et théâtrale
1) La lettre fait l’objet d’une dramatisation
Certains points permettent de noter que cette lettre s’apparente à une tirade théâtrale. Les adverbes « Oui » à l’initial et « Non » (l. 9) transgressent les codes épistolaires et miment un échange oral et non pas écrit.
- L’écriture imite la spontanéité de l’oral, dans l’absence de liens logiques entre paragraphes qui, hormis « car » (l.4) et « mais » (l. 16), ne sont reliés par aucun connecteur. Elle privilégie l’esthétique du contraste dans le passage entre les paragraphes 1 et 2 de « plaisirs » (l. 2) à « Je vais mourir » (l. 3). On sent l’urgence de cette parole qui se meurt petit à petit.
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