Lecture analytique : La tirade de l'inconstance- Don Juan (Document + Analyse)
Fiche : Lecture analytique : La tirade de l'inconstance- Don Juan (Document + Analyse). Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Hamid El Jar • 19 Février 2019 • Fiche • 2 372 Mots (10 Pages) • 2 150 Vues
Extrait de l’acte I ,scène 2 de Don Juan:
DOM JUAN : Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n'est bonne que pour des ridicules; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos coeurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable; et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire ni rien à souhaiter; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d'un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d'une conquête à faire. Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne, et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.
SGANARELLE : Vertu de ma vie, comme vous débitez ! Il semble que vous ayez appris cela par cœur, et vous parlez tout comme un livre.
Éléments pour introduire :
- A la fin de l’année 1664, Molière dont le Tartuffe vient d’être censuré décide d’écrire Dom Juan. Il reprend un mythe qui parcourt toute l’Europe, un mythe bien connu du public du XVIIème siècle.
-Molière fait de ce personnage un porte-parole des esprits forts de son temps, du libertinage d’esprit, de bien des critiques qu’il dirige contre l’Eglise et contre la toute puissante Compagnie du Saint Sacrement.
-La tirade qui est portée à notre attention, extraite de l’Acte I, scène 2, révèle pour la première fois au spectateur le héros éponyme préalablement évoqué en termes peu élogieux par Sganarelle. Dans cette scène d’exposition, le « grand seigneur méchant homme » répond par un éloge de l’inconstance aux remontrances de son valet qui lui reproche sa conduite dissolue.
-On assiste dans cette scène à une démonstration de la puissance verbale de Don Juan .
Probl : Comment Don Juan tente –t-il de convaincre Sg. Et de quel art rhétorique fait-il usage ?
I-Un éloge paradoxal de l’inconstance
Cette tirade permet à Don Juan de répondre à Sganarelle et d’exposer une vision de l’amour . D.J. déclame un éloge de l’inconstance en réponse aux remontrances de son valet. Les procédés argumentatifs se multiplient dans le texte pour faire un éloge paradoxal.
A-D. J. attaque vivement Sg.
-Les phrases interrogatives, exclamatives et négatives du début montrent que Don Juan remet en question les propos de Sganarelle,
il réagit de façon agressive et vive.
- « Quoi ! » expressif, qui suggère que l’idée de la constance est impensable et inadmissible. Don Juan est dans le refus absolu de ce que lui dit son interlocuteur.
- La question rhétorique (l.40.42 ) : « Tu veux qu’on se lie (…) ? »Le héros n’attend évidemment pas de réponse et laforme interrogative est une façon de dénoncer des propos scandaleux.
-D’ailleurs la phrase construite avec une série d’accumulations semble présenter une liste de reproche (« qu’on se lie » ; « qu’on renonce » ; « qu’on n’ait plus ») (l..43) Elle montre la lourdeur, le poids de ce que serait un tel comportement pour Don Juan..
- Le libertin continue de mettre à distance les propos de Sganarelle en utilisant ensuite l’ironie à travers l’expression « la belle chose » (l.42). Cette phrase signifie le contraire de ce qu’elle dit, il s’agit donc d’une antiphrase qui vise à critiquer ce que dit Sganarelle.
- Enfin la répétition du « Non, non » (l.46) achève de mettre en valeur l’opposition du maître aux idées de son valet.
Ainsi tout le début de cette tirade montre que Don Juan s’impose et répond violemment aux reproches qui lui ont été formulés.
B- La dépréciation de la constance
-Le choix du vocabulaire révèle bien combien cette valeur de la fidélité est décriée. Elle est associée, chaque fois qu’elle est évoquée, à une idée
de mort. On trouve tout d’abord deux expressions qui relèvent d’un champ lexical de la mort dans « ensevelir dans une passion »
(l.44) avec l’image très nette d’une inhumation puis très explicitement le mot « mort » (l.44).
- A la fin du texte c’est le verbe s’endormir ( l. 70) qui véhicule la même idée. Ainsi Don Juan associe-t-il la constance à une perte de vitalité.
- Par opposition, et tout à fait logiquement, il valorise l’inconstance en lui associant l’idée d’un réveil « réveiller nos désirs » (l.72). Ces jeux
d’oppositions lexicales déterminent une échelle de valeurs où une des vertus suprêmes de la société, la fidélité, est dénigrée pour laisser place à un éloge de la liberté en amour.
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