"J'ai tant rêvé de toi" de Robert Desnos
Commentaire de texte : "J'ai tant rêvé de toi" de Robert Desnos. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Sarah Gaffié • 4 Mars 2022 • Commentaire de texte • 1 639 Mots (7 Pages) • 829 Vues
Correction du bac blanc.
Commentaire littéraire.
Le rêve et le pouvoir de l’inconscient sont des thèmes majeurs du mouvement surréaliste : ils permettent de libérer l’esprit du rationalisme et la littérature de ses règles étriquées pour renouveler l’inspiration poétique. Robert Desnos s’inscrit dans ce désir d’émancipation et rejoint le surréalisme en 1922. Ainsi, il mêle rêve et érotisme, deux thèmes qui lui sont chers dans son recueil Corps et biens publié en 1930 dont le poème en vers libres « J’ai tant rêvé de toi » est emblématique. Ce poème fait partie d’un groupe de poèmes dédiés « à la mystérieuse », Yvonne George, danseuse de music-hall dont il tombe amoureux, mais qui ne lui rendra jamais son amour. Il évoque cette passion non réciproque avec lyrisme dans ces vers hétérométriques et déstructurés. Comment la poésie surréaliste parvient-elle à convoquer avec lyrisme la femme aimée absente et rêvée ? Nous étudierons, dans un premier temps, l’évocation lyrique de la bien-aimée du poète. Toutefois, cet amour, troublé par l’absence de l’être aimé, oscille entre rêve et réalité. Cependant, nous verrons, dans un dernier temps, que la poésie surréaliste et musicale rend présente la destinataire du poème.
En premier lieu, le poète déclare son amour à une femme dans ce poème lyrique.
Tout d’abord, Robert Desnos évoque amoureusement la femme qu’il aime. Il lui adresse d’ailleurs son poème en lui parlant à la deuxième personne du singulier comme l’indiquent le pronom personnel « tu » au vers 1 et le déterminant possessif « ton » au vers 7. L’anaphore « j’ai tant rêvé de toi » rappelle à quatre reprises qu’elle est à la fois la destinataire de ses vers et le sujet de son rêve. L’omniprésence de cette femme et le tutoiement révèlent l’intimité des deux protagonistes. D’autre part, il trace les lignes de son corps. Le champ lexical du physique féminin parcourt le poème : « ce corps » v. 1, « bouche » v. 2, « voix » v.3, « front » et « lèvres » v. 15. De plus, les actions mentionnées sont celles d’une relation amoureuse et sensuelle : « baiser » v. 3, « en étreignant » v. 5 ou l’accumulation des participes passés sur un rythme ternaire v. 17 « marché, parlé, couché ». Ce corps est seulement évoqué, jamais décrit avec précision (est-elle blonde ou brune ? grande ou petite ?). Pourtant, le poète laisse entendre la beauté érotique de ce « corps vivant ».
Cette évocation correspond à l’expression lyrique des sentiments du poète. Ce dernier est au cœur de ce dialogue amoureux puisqu’il s’exprime à la première personne du singulier : le pronom personnel « je » est le premier mot du poème et est sujet de nombreux verbes (« j’ai rêvé » v. 1, « je deviendrais » v. 10, « je dors » v. 13). En miroir du corps rêvé de sa bien-aimée, son propre corps est présent : « mes bras » v. 5, « ma poitrine » v. 6. Il manifeste son désir et son amour pour elle comme le montrent la proposition subordonnée relative « qui m’est chère », le nom « amour » et la déclaration du v. 14 « toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi » que les pronoms personnels « toi » et « moi » encadrent, symbolisant la puissance de sa passion. Enfin, le vers 11 qui est au centre du poème met en lumière la dimension lyrique de ces vers libres : l’interjection « ô » indique l’exaltation des sentiments du poète et l’adjectif « sentimentales » met en évidence l’expression de ses émotions.
Ce dialogue amoureux ne laisse pas entendre la voix de la femme aimée : au centre du poème et des désirs du poète, son corps est seulement rêvé. Son absence rend cet amour impossible.
En second lieu, le poète oscille entre rêve et réalité pour exprimer une passion inaccessible et un manque obsédant.
Pour commencer, la femme aimée n’existe plus que dans les rêveries du poète. En effet, l’anaphore « j’ai tant rêvé de toi que» est une proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de conséquence soulignant la trop grande fréquence des rêves qui fait oublier à l’auteur la réalité, processus que nous pouvons noter dès le premier vers, « tu perds ta réalité » où « réalité » apparait en antithèse avec « rêvé ». Cette irréalité est soulignée par le champ lexical de l’illusion et le registre fantastique : « apparences de la vie » v. 13, le nom « ombre » est répété quatre fois, le nom « fantôme » trois fois, verbe « hante » v. 8. La bien-aimée devient de plus en plus insaisissable, son corps n’est plus tangible. De même, la comparaison « moins […] que » au vers 15 et le chiasme « ton front et tes lèvres […] les premières lèvres et le premier front venu » met en avant qu’elle ne fait plus partie du monde réel du poète et qu’il a plus de chance d’embrasser n’importe qui plutôt que la femme qu’il aime. Cette disparition semble fatale et tragique : la forme interrogative de la deuxième phrase (« Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m’est chère ? ») peut être interprétée comme une question rhétorique dont la réponse serait : « Non, il est trop tard ». Le vers 12 reprend la phrase à la forme négative et confirme cette réponse : « il n’est plus temps ». L’emploi du conditionnel met en évidence l’irréalité de cet amour: « je deviendrais » v. 10, « je pourrais » v. 15. La femme est enfermée dans ce monde onirique.
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