Incipit, Bel Ami, Maupassant
Commentaire de texte : Incipit, Bel Ami, Maupassant. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar MRENL • 10 Octobre 2017 • Commentaire de texte • 2 528 Mots (11 Pages) • 4 147 Vues
BEL AMI (1885) Au début de cette histoire, le héros n’est encore qu’un homme comme les autres, débarquant à Paris. Cependant, quelques signent le distinguent du reste des promeneurs du soir. Quels sont ces signes distinctifs et permettent-ils au lecteur de faire des pronostics pour la suite ? |
Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant.
Comme il portait beau par nature et par pose d'ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d'un geste militaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s'étendent comme des coups d'épervier.
Les femmes avaient levé la tête vers lui, trois petites ouvrières, une maîtresse de musique entre deux âges, mal peignée, négligée, coiffée d'un chapeau toujours poussiéreux et vêtue toujours d'une robe de travers, et deux bourgeoises avec leurs maris, habituées de cette gargote à prix fixe.
Lorsqu'il fut sur le trottoir, il demeura un instant immobile, se demandant ce qu'il allait faire. On était au 28 juin, et il lui restait juste en poche trois francs quarante pour finir le mois. Cela représentait deux dîners sans déjeuners, ou deux déjeuners sans dîners, au choix. Il réfléchit que les repas du matin étant de vingt-deux sous, au lieu de trente que coûtaient ceux du soir, il lui resterait, en se contentant des déjeuners, un franc vingt centimes de boni, ce qui représentait encore deux collations au pain et au saucisson, plus deux bocks sur le boulevard. C'était là sa grande dépense et son grand plaisir des nuits ; et il se mit à descendre la rue Notre-Dame-de-Lorette.
Il marchait ainsi qu'au temps où il portait l'uniforme des hussards, la poitrine bombée, les jambes un peu entrouvertes comme s'il venait de descendre de cheval ; et il avançait brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les épaules, poussant les gens pour ne point se déranger de sa route. Il inclinait légèrement sur l'oreille son chapeau à haute forme assez défraîchi, et battait le pavé de son talon. Il avait l'air de toujours défier quelqu'un, les passants, les maisons, la ville entière, par chic de beau soldat tombé dans le civil.
Quoiqu’habillé d'un complet de soixante francs, il gardait une certaine élégance tapageuse, un peu commune, réelle cependant. Grand, bien fait, blond, d'un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d'une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne, il ressemblait bien au mauvais sujet des romans populaires.
C'était une de ces soirées d'été où l'air manque dans Paris. La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces.
Les concierges, en manches de chemise, à cheval sur des chaises en paille, fumaient la pipe sous des portes cochères, et les passants allaient d'un pas accablé, le front nu, le chapeau à la main.
Quand Georges Duroy parvint au boulevard, il s'arrêta encore, indécis sur ce qu'il allait faire. Il avait envie maintenant de gagner les Champs-Élysées et l'avenue du bois de Boulogne pour trouver un peu d'air frais sous les arbres ; mais un désir aussi le travaillait, celui d'une rencontre amoureuse.
Maupassant, Bel Ami, I-1 p.15-16
- Décryptage du passage : Quels sont les principaux thèmes qui se dégagent de l’œuvre ?
Le portrait physique avantageux du personnage, l’argent, l’ambition, le désir de conquête et de réussite, le récit d’une soirée, les femmes.
- Elaboration d’un plan :
- Le portrait du personnage en action
- Le récit de la soirée (ce qu’il fait)
- Sub de temps : « quand la caissière » : le lecteur prend l’action en marche, on parle de début « in media res » en plein milieu de l’action
- Les verbes d’action : « sortit », « se mit à descendre », « marchait », « avançait »… montrent que le personnage est décrit en pleine action, il s’agit ici d’un jeune homme dynamique, actif.
- Le repas du soir : « restaurant », « gargote », « dîneurs » : moment de plaisir pour G. Duroy, rappelle les dîners qu’il fera en compagnie de Clothilde de Marelle.
- Indication de lieu à valeur symbolique : Notre Dame de Lorette : les lorettes étant des élégantes aux mœurs faciles, la ville est d’ailleurs explicitement nommée l. 25 Egalement autres indicateurs spatiaux : »Champs-Elysées », « Bois de Boulogne », « rue », « trottoir » : le jeune homme déambule dans les rues, et continuera tout au long du roman d’ailleurs, c’est un plaisir pour lui.
- La description naturaliste : C'était une de ces soirées d'été où l'air manque dans Paris. La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces. Cette description montre que Maupassant n’occulte rien, on a là une description qui cherche la justesse, même si celle-ci ne fait pas forcément rêver ; vocabulaire péjoratif : « empestées », « miasmes infâmes » : montrent le désir de respecter la volonté de tout montrer.
- Discours narratif de situation initiale ; Maupassant raconte ce qu’il fait pour mieux nous le présenter.
- Complément du nom+impft : « c’était là son grand plaisir des nuits » (boire des bières) homme qui aime satisfaire ses désirs et est calculateur dans le but de les garder.
- Un seul pronom personnel : « il », qui montre que Duroy est un homme seul sans attache.
- On voit donc ici que le personnage principal est un homme d’action, en mouvement, et qu’il n’est pas dans l’attente mais dans le mouvement.
- Les atouts du personnage : un physique avantageux (comment il est)
- Imparfait + chps lex du corps ; description physique qui met en évidence sa belle allure (de dandy).
- Adjectifs des 2e et 6e § : « beau » l.3, l.26 ; « militaire et familier » l.4, « grand, bien fait, blond […] cheveux frisés naturellement » ; cette description avantageuse truffée de termes mélioratifs vise à accentuer le charme et le coté attractif du personnage.
- Vocabulaire de l’élégance : « chic » l.26, « comme il portait beau, par nature » l.3 , « élégance » l.29, « cambra sa taille » l.4, La poitrine bombée, les jambes un peu entrouvertes, comme s’il venait de descendre de cheval » : Se donne en spectacle, essaie de séduire de faire croire des choses qui ne sont pas vraies, ce qu’il fera tout au long du roman : nature de séducteur. Mais cette grâce, cette distinction est aussi naturelle qu’elle est travaillée.
- Accessoire : chapeau haut de forme l.24 : montre l’homme qui a et qui veut montrer qu’il a de la classe.
- Répétition du mot « moustache » l.4 et l.30. Importance de la moustache pour Maupassant, qui était TRES attaché à la sienne. Il a même écrit une nouvelle à son honneur : « la moustache » en 1883.
Ici un passage :. Oh! ma chère Lucie, ne te laisse jamais embrasser par un homme sans moustaches ; ses baisers n'ont aucun goût, aucun, aucun ! Cela n'a plus ce charme, ce moelleux et ce... poivre, oui, ce poivre du vrai baiser. La moustache en est le piment
[…]
D'où vient donc la séduction de la moustache, me diras-tu ? Le sais-je ? D'abord elle chatouille d'une façon délicieuse. On la sent avant la bouche et elle vous fait passer dans tout le corps, jusqu'au bout des pieds un frisson charmant. C'est elle qui caresse, qui fait frémir et tressaillir la peau, qui donne aux nerfs cette vibration exquise qui fait pousser ce petit "Ah !" comme si on avait grand froid.
Et sur le cou ! Oui, as-tu jamais senti une moustache sur ton cou ? Cela vous grise et vous crispe, vous descend dans le dos, vous court au bout des doigts. On se tord, on secoue ses épaules, on renverse la tête ; on voudrait fuir et rester ; c'est adorable et irritant ! Mais que c'est bon !
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