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Explique linéaire / Les Essais de Michel de Montaigne

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Par   •  18 Avril 2022  •  Commentaire d'oeuvre  •  1 497 Mots (6 Pages)  •  552 Vues

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Introduction

    Les Essais de Michel de Montaigne (humaniste du XVIème siècle) sont dominés par le souci d'étudier l'homme à travers tous les siècles de l'histoire et nous permettent ici de découvrir l'esprit critique de Montaigne à travers le témoignage clairvoyant sur les premiers effets du colonialisme européen. En effet, à cette époque, le Portugal, l'Espagne et la France découvrent le nouveau monde et ses populations, dont les cannibales de la côte du Brésil. Montaigne va consacrer un chapitre entier à ces gens et raconte une discussion réelle avec eux, puisqu'il a eu l'opportunité d'en rencontrer 3 à Rouen, et de discuter avec eux par l'intermédiaire d'un interprète.
    Ce passage est extrait de la fin du chapitre Des cannibales du livre I des Essais.

Plan du texte pour une analyse linéaire

 

I. La critique de la monarchie
De « ils répondirent trois choses… » à « …l'un d'entre eux pour commander »

II. La critique d'une société injuste
De « secondement… » à « …mettre le feu à leur maison. »

III. La simplicité des cannibales, montrée comme un modèle
De « Je parlai à l'un d'eux fort longtemps… » à « …ils ne portent point de hauts de chausses. » 

I. La critique de la monarchie

De « ils répondirent trois choses… » à « …l'un d'entre eux pour commander »

Montaigne crée un effet d'attente en indiquant « ils répondirent trois choses » et suscite ainsi la curiosité du lecteur.
Le fait que Montaigne avoue avoir oublié une des trois réponses apporte de la véracité à ses propos : il est vraiment en train de relater des événements réels auxquels il a participé. De plus, le fait qu'il en soit déçu (« bien marri ») montre qu'il a apprécié les réponses des trois cannibales, puisqu'il est désolé d'en avoir oublié une.

La suite montre que les cannibales ne se sont pas laissés impressionner par le cérémonial de l'accueil. Ce sont de fins observateurs qui savent livrer le résultat de leur observation.

L'effet d'attente se poursuit quand Montaigne utilise le superlatif « fort étrange » -> le lecteur a envie de découvrir ce qui est fort étrange.

Montaigne décrit les gardes en les montrant forts, grâce à la structure ternaire et au champ lexical de la virilité « hommes grands, portant la barbe, forts et armés ». Puis il utilise la périphrase « enfant » pour désigner le roi (Charles IX accède au trône à 12 ans).
La juxtaposition des deux crée un effet comique et dévalorise le roi.

Ainsi Montaigne critique vivement la monarchie héréditaire qui peut amener un enfant à gouverner mais puisqu'il relate un dialogue qui n'est pas de lui il se protège de la censure et des sanctions. D'ailleurs Montaigne utilise prudemment le discours indirect pour bien montrer que c'est une retranscription de la pensée des cannibales : « Ils dirent que », mais le lecteur comprend que Montaigne est d'accord avec cette opinion.

Les cannibales ne comprennent pas qu'on ne choisisse pas plutôt un garde au hasard pour remplacer le roi car ceux-ci sont plus forts : « on ne choisît pas plutôt l'un d'entre eux pour commander », ainsi ils dévalorisent le roi et, comme précédemment expliqué, ils renient la monarchie héréditaire puisqu'ils disent que n'importe qui de plus fort pourrait remplacer le roi -> ils proposent finalement de se baser sur les compétences (ici, la force) pour choisir un roi, plutôt que sur l'hérédité. Le verbe « choisir » dans « qu'on ne choisît pas » sous-entend que ces cannibales considèrent qu'on doit choisir son dirigeant plutôt que de se le faire imposer.


II. La critique d'une société injuste

De « secondement… » à « …mettre le feu à leur maison. »

A la critique politique succède une critique sociale.

Par l'expression « ils avaient remarqué », Montaigne montre que ces cannibales ont une bonne capacité d'observation et de déduction, ce qui va à l'encontre de l'image que l'on peut se faire de ces « sauvages » à l'époque.

Ensuite, pour montrer les injustices sociales existant dans la société, Montaigne oppose le champ lexical de l'opulence (« remplis et gorgés », « bonnes choses ») au champ lexical de la misère (« mendiants », « décharnés par la faim et la pauvreté », « nécessiteuses »).
Les cannibales considèrent que les hommes sont égaux (« ils ont une expression de leur langage qui consiste à appeler les hommes moitié les uns des autres »), alors que ce n'est pas du tout le cas de la société française. Le terme « leurs moitiés » est ironique et crée un effet comique puisque les riches ne se considèrent pas comme les égaux des pauvres, mais se considèrent supérieurs.

Ainsi Montaigne, à travers le propos des cannibales, défend l'idée d'une société beaucoup plus égalitaire, qui pourrait amener la paix sociale puisque selon lui une société inégalitaire devrait amener des violences (« ils trouvaient étrange que ces « moitiés »-ci, nécessiteuses, pussent supporter une telle injustice sans prendre les autres à la gorge ou mettre le feu à leur maison »). La mise en parallèle de la simplicité et du calme du constat (« ils trouvaient étrange ») avec la violence suggérée (« prendre les autres à la gorge ou mettre le feu à leur maison ») amène également un effet comique dû au décalage.

Le mot « moitié » répété plusieurs fois montre que la société est divisée.

Montaigne nous présente donc les cannibales sous un jour très positif. Ils ne sont pas corrompus par le pouvoir et les richesses et ont un sens très poussé de la fraternité. Ils sont observateurs, et savent raisonner. A l'inverse les Français sont arrogants, superficiels, et injustes.


III. La simplicité des cannibales, montrée comme un modèle

De « Je parlai à l'un d'eux fort longtemps… » à « …ils ne portent point de hauts de chausses. »

« Je parlai à l'un d'eux fort longtemps » -> ces cannibales sont capables d'une conversation soutenue ; encore une fois, Montaigne souligne leur intelligence.
En opposition, le traducteur (a priori français) est présenté très péjorativement : « m'assistait si mal et que sa bêtise empêchait tellement de comprendre mes pensées que je ne pus guère tirer de plaisir de cet entretien ».

Montaigne demande au roi des cannibales quel « profit » il obtient grâce au fait qu'il soit roi (« je lui demandai quel profit il recueillait de la supériorité qu'il avait parmi les siens »), la réponse est qu'il « marche le premier à la guerre » -> Ainsi Montaigne montre que ce roi gagne sa légitimité grâce à son courage et sa bravoure, et montre ce roi comme un chef de guerre. Implicitement, c'est encore une critique de la monarchie française car Montaigne demande quel « profit » retire le roi, comme s'il était automatique qu'un roi profite de sa position, et la réponse montre que bien au contraire, pour le roi des cannibales cette position l'oblige à être courageux et à risquer sa vie lors des guerres.
Ce courage lui apporte la légitimité puisque les hommes le suivent (« de combien d'hommes il était suivi […] quatre ou cinq mille hommes ») -> C'est donc par ses actions qu'il gagne sa légitimité, et non par son hérédité.

En temps de paix, l'autorité du roi des cannibales prend fin logiquement puisque son utilité prend fin aussi, et il ne lui reste alors plus qu'un maigre avantage : « on lui taillait des sentiers au travers des fourrés de leurs bois par où il pût passer bien à l'aise ». On voit ici toute l'ironie et l'humour de Montaigne, car ce maigre avantage n'est rien comparé à tous les privilèges du roi de France, et pourtant le roi des cannibales semble s'en contenter sans protester.

La dernière phrase, mise en exergue par un retour à la ligne la détachant du reste du texte, montre toute l'ironie de Montaigne. Il débute par la litote (utilisation d'une expression suggérant beaucoup plus que ce qu'elle dit réellement) « Tout cela ne va pas trop mal » par laquelle Montaigne veut dire que tout va très bien dans cette société des cannibales. « mais quoi, ils ne portent point de hauts de chausses ! » -> donc Montaigne montre que la société des cannibales est meilleure à ses yeux que la société française, mais que ceux-ci seront tout de même toujours considérés comme des sauvages car ils ne répondent pas aux codes d'apparence de notre société, symbolisés ici par le vêtement qu'il est bien vu de porter à l'époque, les « hauts de chausses ».

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