EL sur Les Bonnes de Genet
Fiche : EL sur Les Bonnes de Genet. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Laigma Blade • 15 Février 2023 • Fiche • 2 391 Mots (10 Pages) • 298 Vues
Jean Genet, Les Bonnes, « scène d’exposition »
CLAIRE – debout, en combinaison, tournant le dos à la coiffeuse. Son geste – le bras tendu – et le ton seront d’un tragique exaspéré. Et ces gants ! Ces éternels gants ! Je t’ai dit souvent de les laisser à la cuisine. C’est avec ça, sans doute, que tu espères séduire le laitier. Non, non, ne mens pas, c’est inutile. Pends-les au-dessus de l’évier. Quand comprendras-tu que cette chambre ne doit pas être souillée ? Tout, mais tout ! ce qui vient de la cuisine est crachat. Sors. Et remporte tes crachats ! Mais cesse !
Pendant cette tirade, Solange jouait avec une paire de gants de caoutchouc, observant ses mains gantées, tantôt en bouquet, tantôt en éventail.
Ne te gêne pas, fais ta biche. Et surtout ne te presse pas, nous avons le temps. Sors !
Solange change soudain d’attitude et sort humblement, tenant du bout des doigts les gants de caoutchouc. Claire s’assied à la coiffeuse. Elle respire les fleurs, caresse les objets de toilette, brosse ses cheveux, arrange son visage.
Préparez ma robe. Vite le temps presse. Vous n’êtes pas là ? (Elle se retourne.) Claire ! Claire !
Entre Solange.
SOLANGE – Que Madame m’excuse, je préparais le tilleul (Elle prononce tillol.) de Madame.
CLAIRE – Disposez mes toilettes. La robe blanche pailletée. L’éventail, les émeraudes.
SOLANGE – Tous les bijoux de Madame ?
CLAIRE – Sortez-les. Je veux choisir. (Avec beaucoup d’hypocrisie.) Et naturellement les souliers vernis. Ceux que vous convoitez depuis des années.
Solange prend dans l’armoire quelques écrins qu’elle ouvre et dispose sur le lit.
Pour votre noce sans doute. Avouez qu’il vous a séduite ! Que vous êtes grosse ! Avouez-le !
Solange s’accroupit sur le tapis et, crachant dessus, cire des escarpins vernis.
Je vous ai dit, Claire, d’éviter les crachats. Qu’ils dorment en vous, ma fille, qu’ils y croupissent. Ah ! ah ! vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que Solange examine.) Pensez-vous qu’il me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive ? Par la brume de vos marécages ?
SOLANGE – à genoux et très humble. Je désire que Madame soit belle.
CLAIRE – elle s’arrange dans la glace. Vous me détestez, n’est-ce pas ?
Contexte et introduction
Didascalie initiale : La chambre de Madame. Meubles Louis XV. Au fond, une fenêtre ouverte sur la façade de l’immeuble en face. A droite, le lit. A gauche, une porte et une commode. Des fleurs à profusion. C’est le soir. L’actrice qui joue Solange est vêtue d’une petite robe noire de domestique. Sur une chaise, une autre petite robe noire, des bas de fil noirs, une paire de souliers noirs à talons plats.
Que penser du décor ? Quelle fonction occupe-t-il ? Commentez la répétition du « noir » et la présence des fleurs ; Pourquoi des meubles Louis XV ? Pourquoi l’allusion à la présence d’un immeuble en face ?
Réponses pour le professeur : Le décor crée les conditions d’une intimité avec la chambre qui n’est pas sans rappeler le décor intimiste tragique ; La fonction de ce décor est immédiatement de situer le cadre spatio-temporel et de poser les bases sociales de la chambre : la bourgeoisie ; la répétition du noir permet d’insister sur la couleur du domestique par contraste avec les fleurs et la couleur de la maitresse ; Les meubles Louis XV renforcent l’appartenance de classe, on est bien dans la bourgeoisie ; L’immeuble en face et la fenêtre ouverte donnent un cadre urbain pour rappeler la modernité (urbanisation) mais aussi pour bien camper le profil bourgeois. De plus la fenêtre qui permet à l’immeuble d’en face de voir la chambre est une métaphore du regard du spectateur, qui se mue en voyeur, tout au long de la pièce (4ème mur).
Jouée pour la 1ère fois en 1947, juste après la guerre, la pièce a été assez mal reçue, notamment à cause du « malaise » créé (le terme est de Genet) et de la satire de la bourgeoisie. Dès la scène d’exposition, on peut constater que les personnages jouent un rôle (mise en abyme) grâce notamment aux didascalies qui montrent une inversion des noms (pour le lecteur) et grâce au jeu exagéré des acteurs (pour le spectateur). Solange et Claire se sont réparti les rôles de maitresse (Claire) et bonne (Solange) ; le ton est hostile et montre une maîtresse acariâtre et sadique. Cette mise en abyme fonctionne comme un moyen d’inverser les rôles mais en l’absence de la maîtresse. Le procédé d’inversion des rôles est fréquent avec les travestissements (Marivaux, Beaumarchais) mais en l’absence du maître, la parodie se fait satire et prend un tour beaucoup plus violent. La parodie concerne aussi le tragique mais ne se mue pas pour autant en comique à cause du climat malsain créé.
Autres objectifs de Genet (pour votre lecture de la pièce): mettre mal à l’aise le spectateur ; « Sacrées ou non, ces bonnes sont des monstres, comme nous-mêmes quand nous rêvons ceci ou cela » (valeur introspective de la pièce et forme de catharsis) ; recommandation aux actrices de ne pas tomber dans la vulgarité sexuelle (habits, gestuelle) ; volonté de créer un « conte » (car la pièce a une portée allégorique >> quelle serait alors l’allégorie ? y aurait-il une forme de morale ?)
Projet de lecture : Montrer que la violence des rapports maître/valet est ici exacerbée par l’absence de la maîtresse.
Mouvements :
L. 1 à 14 première réplique de Claire, mépris social, ironie et virulence, accentue les abus de la position de maîtresse ;
L.15 à la fin échange Solange – Claire violence et sadisme
Développement
1er mouvement (L.1 à 14)
La didascalie externe permet tout de suite de préciser la tonalité qui sera adoptée tout au long de la scène : « un tragique exaspéré ». L’exaspération fait ici écho à l’attitude de la Maitresse, se plaignant de son domestique. Son association avec le « tragique » crée un effet de ridicule, moquant l’attitude la bourgeoisie lors de sa complainte contre ses domestiques. Le déguisement de Claire est celui d’une bourgeoise ; néanmoins sa place (debout) et le fait qu’elle soit « dos à la coiffeuse » la ramène plutôt vers le domestique. Cet effet miroir (une coiffeuse possède un miroir) est déjà une annonce de l’inversion des rôles (à destination du public, qui ne pourra pas profiter des indices réservés au lecteur comme celui de Claire appelant Claire dans cette réplique).
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