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Commentaire sur "La Musique" de Baudelaire

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Par   •  13 Avril 2016  •  Commentaire de texte  •  1 843 Mots (8 Pages)  •  15 962 Vues

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Objet d’étude : Ecriture poétique et quête de sens du Moyen Age à nos jours

Séquence : Liberté en poésie

Problématique : En quoi « La Musique » dépasse largement l’expérience sensorielle de la musique ?

Auteur : Charles Baudelaire

Œuvre : Les Fleurs du Mal

Date : 1857

Extrait étudié : « La Musique », LXIX dans « Spleen et Idéal »

Introduction :

Le XIXe siècle est marqué par l’apparition d’une nouvelle génération de poètes : les poètes maudits, êtres en marge de la société, superbes dans les airs, càd en poésie, mais maladroits ici-bas. Dans Les Fleurs du Mal, Baudelaire désigne leur état d’isolement, de mélancolie profonde par le mot anglais « spleen ». Dans « La Musique », de la section « Spleen et Idéal », il évoque ce qu’il ressent à l’audition d’un morceau de musique, mais son poème dépasse largement cette expérience sensorielle.

Analyse :

I. Un poème musical pour parler de la musique

Une expérience personnelle et répétée : le lyrisme

  • 1ère personne du singulier, à l’exclusion de toute autre : le pronom personnel est le plus souvent en position de sujet (« je mets ») qui fait les actions, ou de COD (« me prend », « me berce ») comme unique objet de la musique. Ces pronoms sont soutenus par des adj possessifs (« ma », « mon »)
  • Expérience présentée presque comme une habitude pour Baudelaire, avec « souvent », « d’autres fois » et le présent d’habitude, c’est une expérience répétée, vécue dans le passé et encore dans le présent, qui fait partie du quotidien du poète

L’expérience de la musique

  • Titre du poème + v.1 indiquent que c’est la musique qui donnent son élan et préside le poème, lui donne le ton. Tout part de la sensation auditive, mais le poème ne comporte aucun terme musical technique, précis, et après le v.1, le C.L de la musique disparait, seuls les mots « vibrer » et « bercent », polysémiques, peuvent encore y appartenir
  • Baudelaire ne se pose ni en critique musical, ni en musicien, mais en simple auditeur saisi par une expérience envoûtante.

La brutalité de l’entrée en matière du v.1 donne l’impression que le poète est pris au dépourvu. Personnifiée par « me prend », la musique est présentée comme vivante, dans une dimension concrète

Un poème morceau de musique

  • Composition de ce sonnet calquée sur celle d’un morceau de musique : 3 mouvements : ouverture (v.1) donne le motif (thème) et le ton, très lyrique et puissant avec son « ! » ; les 12 vers suivants développent la métaphore qui va en s’amplifiant (variations) ; la dernière phrase, averbale, a la brutalité d’un final, qui comme une cadence, retombe sur le Spleen baudelairien, après l’émotion de l’Idéal
  • Mariage de la régularité et de l’irrégularité, avec alternance qui le parcourt : 2 quatrains et 2 tercets, avec une chute (donc sonnet) mais irrégularité car pas d’unité Q1/Q2, 3 phrases pour tout le sonnet, les vers ne font pas tous 12 pieds (alternance 12/5), et irrégularité car alternance rimes masculines/féminines
  • Ces mouvements, répétitions, le retour en fin de strophe d’homonymes (nom « voile » puis verbe « voile »), mais aussi les enjambements (v.2/3, 5/6, 7/8…) créent un bercement, un rythme, qui entraînent et envoûtent le lecteur
  • Le poème étant composé de 3 phrases seulement, on a une impression de fluidité qui renforce ce bercement envoûtant
  • Les sonorités contribuent à donner au poème sa musicalité suggestive : les allitérations en v, en s et en f (sifflantes) du T1 reproduisent le son du vent, les allitérations en m (labiale) de la dernière strophe suggèrent le « calme » qui clôt à la fois l’écoute musicale et le poème

II. Une métaphore filée : un voyage en mer

De l’ouïe à la vue, au mouvement

  • L’audition bien réelle du morceau de musique se transforme vite en voyage en voilier : dès le v.1, d’une sensation auditive nait une vision (théorie de la synesthésie)
  • Associé au nom « mer », qui à la lecture crée une ambigüité avec « mère », le verbe « me prend » traduit cette prise de possession presque amoureuse ou maternelle (que semble confirmer en fin de poème le verbe en rejet « me bercent »)
  • Puis la comparaison « comme de la toile » s’épanouit en une métaphore qui parcourt le poème. Elle est soutenue par « j’escalade le dos des flots » associé à la « nuit », mélange de sensations visuelles et de mouvement qui emporte le poète

La métaphore s’appuie aussi sur un lexique ambigu : l’adj « calme » peut aussi bien s’appliquer à la musique qu’à la mer

  • Synesthésie : verbe « vibrer » = ouïe (le son vibre) et toucher (le vaisseau vibre sur la mer) ainsi qu’à la vue.

L’écriture poétique au service de l’évocation d’un voyage en mer

  • Il s’agit bien d’un voyage en mer : le poème comprend de nbx mots qui y renvoient concrètement : la « mer », désignée par ≠ termes (« flots », « immense gouffre ») est évoquée dans ≠ états selon le « vent » (« la tempête et ses convulsions », le « calme plat »). Les conditions de navigation (« brume », « bon vent », « dans un vaste éther » « nuit ») sont mentionnées. Le bateau est un « vaisseau » qui a une « voile » de « toile ».

De plus la destination du périple est indiquée : la « pâle étoile » donne le cap et guide le marin

  • Mais c’est à travers l’écriture poétique que Baudelaire évoque ce voyage à voir et à entendre, et surtout à vivre

La phrase qui en rend compte s’étend sur 12 vers et les coupes successives par des « ; » traduisent les à-coups de la navigation

Le rythme poétique est calqué sur celui de la mer : l’alternance 12/5 reproduit visuellement des vagues, et à la lecture le roulis de la mer, les enjambements rendent audibles la fluidité de l’élément et la course continue du voyage

  • Enfin, les images poétiques suggestives contribuent à peindre ce voyage : la nuit est comme un « voile » ; les vagues, animalisées, ont un « dos », elles sont des montagnes que le vaisseau « escalade » ; parfois elles « bercent » le vaisseau/poète comme une mère son enfant ; le « calme plat », par un effet de métaphore et de synthèse, devint u « grand miroir »

Sensations et émotions fortes

  • La musique suscite en Baudelaire des sensations physiques fortes : C.L du corps (« poitrine », « poumons ») et référence au mouvement qui l’agite (« je mets à la voile », « j’escalade », « vibrer »)
  • Ces sensations vont parfois s’intensifiant jusqu’à la douleur (« souffre ») et aux « convulsions » ; parfois, au contraire, elles rappellent la douceur maternelle (« me bercent »)

  • Le trouble et la possession physique se transmettent à l’affectivité : v.9 sont évoquées les vibrations du corps et « toutes les passions » (patiere en lat = souffrir), tout l’être du poète est bouleversé. Il s’agit d’une véritable « tempête » intérieure

III. Le message du poème

L’expression lyrique d’un mal-être

  • Variations de la musique + imprévus de la navigation reproduisent la dualité des sentiments d’une âme tourmentée, déchirée entre l’aspiration à l’Idéal et les « longs ennuis du Spleen, opposition douloureuse qui structure toutes Les Fleurs du Mal
  • Aspects du Spleen mis en valeur : oxymore « ma pâle étoile » ; la « brume » et la « nuit » qui renvoient à une visibilité réduite, suggèrent à la fois la perte de tout repère et la tristesse, la monotonie d’une vie sans joie

Le plafond traduit l’oppression d’un être qui se sent étouffé, emprisonné sur terre

Le verbe « escalader » souligne la lutte entre Spleen et Idéal de la vie de ce poète qui cherche ses prises

Enfin, le « calme plat » est le « miroir » du vide de la vie

  • La douleur est accrue par le contraste entre ce mal-être et l’aspiration vers l’Idéal. v.3 : déchiré entre ces 2 extrêmes : « plafond » ≠ « vaste éther »

« Mettre à la voile » implique l’exaltation d’un départ et la recherche dynamique d’un ailleurs

L’étoile symbolise à la fois l’espoir et le destin

L’art : un remède éphémère au mal être

  • Musique (et implicitement tout art) = remède au mal-être, moyen de s’évader

Préposition « vers » (v.2) indique le mouvement, l’envoi et l’adj « vaste » (v.3) donne l’impression d’une libération de l’âme, qui élève le poète dans les airs, au-dessus des mortels, et rend la vie supportable

Par l’art, on approche de l’absolu, de l’infini, voire de l’Idéal

  • L’art transforme ainsi la souffrance de l’être en une expérience « agréable », moins pénible

Pour expliciter cette transformation, Baudelaire oppose, en une antithèse forte, le mot « gouffre », image de sa vie, au verbe « bercent »

Il illustre par là le principe même des Fleurs du Mal : tirer de la beauté de la laideur (« Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or »)

Le poème réunit à la fois la musique, le voyage et la poésie pour leur donner une fonction métaphysique

  • Cependant le remède est éphémère : le poème termine sur une note pessimiste

La rupture que crée le dernier mot, « désespoir », passage de l’exaltation dynamique à l’immobilité finale, révèle à la fois la fin du morceau de musique, celle du voyage (qui n’est qu’imaginaire), et l’incapacité à prolonger (ou retrouver) l’état de possession quasi divine de l’acte artistique

Un art poétique, la poésie comme découverte du monde

  • Outre sa vertu thérapeutique, pour le poète, le langage poétique est le seul capable de dire l’indicible, de traduire sa vie intérieure. Mais pour cela, le poète doit à la fois faire preuve d’un élan volontaire (il  « met à la voile ») et accepter de s’offrir à l’expérience poétique, comme à l’expérience musicale
  • La poésie est aussi un mode privilégié d’accès au monde qu’elle transforme pour mieux le faire voir et comprendre

Ainsi, les images poétiques peuvent faire des vagues un animal redoutable, des montagnes ou de la mer des personnes prises de « convulsions », d’un ciel un « plafond », d’un poète un « vaisseau » …

  • Pour atteindre cette mission, le poète doit faire preuve de modernité : le choix de la forme du faux sonnet, avec son alliance de vers pairs et impairs (12/5), l’étrangeté des métaphores imbriquées indiquent une poésie en constant renouvellement, souvent provocatrice, qui allie tradition et nouveauté

Conclusion :

Dans ce poème, tout à la fois expérience musicale, voyage maritime et définition implicite de la poésie, se retrouvent la plupart des thèmes majeurs des Fleurs du Mal. Il entre en résonnance avec les poèmes qui décrivent le mal Baudelairien (les quatre « Spleen ») mais aussi avec les pièces qui traduisent la beauté de l’Idéal (« Elévation », « Invitation au voyage »…). Au-delà, il suggère que tous les arts se rejoignent pour rendre plus supportable la condition humaine.

Questions éventuelles :

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