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Commentaire de texte scène 1 L'île des esclaves de Marivaux

Commentaire de texte : Commentaire de texte scène 1 L'île des esclaves de Marivaux. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  21 Septembre 2020  •  Commentaire de texte  •  2 447 Mots (10 Pages)  •  1 887 Vues

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Intro : Dès les premières répliques de la pièces, Iphicrate révèle à Arlequin qu'ils se trouvent sur l'île des esclaves, où les rôles sont inversés. Lieu symbolique qui permet à Marivaux de parler de la société de son époque sans la dépeindre directement. Lieu commun littéraire que le spectateur reconnaît immédiatement : l'utopie (Utopia, de Thomas More, 1527). Mot inventé par Thomas More lui-même à partir du grec ancien. Signifie étymologiquement un lieu qui n'existe pas (ou : non / topos : lieu). Dans son utopie, Thomas More fait une satire morale de la société de son époque. On peut donc tout de suite s'attendre à un discours moral et philosophique.

Le début de ce texte est surprenant car le spectateur arrive au milieu d'une intrigue bloquée. Les personnages sont immobilisés car les ordres du maître ne sont plus écoutés. Inversion des rôles dans L’île des esclaves. Pour ne pas choquer le spectateur et éviter la censure, Marivaux utilises le cadre antique fictif. Les spectateurs de l'époque reconnaissent le lieu commun de l'île déserte, qui était à la mode (Daniel Defoe : Robinson Crusoé en 1719, six ans avant L'Île des esclaves : succès immense). L'inversion des rôles repose aussi sur le folklore du carnaval qui a donné naissance à la Commedia dell'arte. Marivaux mélange ces influences avec la comédie classique héritée de Molière. Cela lui permet d'aborder un thème particulièrement sérieux et polémique, l'organisation sociale, à travers une comédie à la fois profonde et divertissante.

Comment Marivaux met-il en scène, dès le début de la pièce, l'inversion des rôles, qui lui permet de mener de façon divertissante une réflexion sociale et morale ?

I. Une scène comique, où le maître perd son autorité

a) L'indifférence d'Arlequin est comique

> Arlequin souligne le changement d'attitude en imitant son maître et en le répétant comme en écho : « Je t'en prie, je t'en prie ». Il est déjà à la limite de la chanson. Distance par la moquerie (comique).

> L'opposition des deux personnages est comique. Iphicrate utilise des verbes de mouvement (« hâtons », « faisons », « trouverons », « rembarquerons ») mais Arlequin montre que les actions restent des paroles (« vogue, vogue, vogue »). L'intrigue est bloquée alors que la pièce n'a pas commencé. Tout cela contribue au comique de la situation.

> Dans une métaphore filée les coups de gourdin sont assimilés à des compliments. Arlequin joue sur la polysémie du mot « marque » (démonstration / hématome > éléments opposés : cas particulier de métaphore ironique qui contribue au comique de la scène).

b) Les stratégies du maître pour reprendre son autorité

> Aparté : Iphicrate révèle au spectateur qu'il n'est pas sincère à l'égard de son valet. Le rapport sociale repose d'abord sur un langage manipulateur, qui manque de sincérité.

> Utilisation de la parole détournée pour mieux manipuler Arlequin : Le maître essaie de reprendre le dessus avec des impératifs (« hâtons-nous », « faisons une demie-lieu »). Il planifie avec le futur (« nous trouverons », « nous rembarquerons ») mais en même temps utilise la P1 du pluriel pour inclure Arlequin, et il atténue ses ordres (« seulement », « peut-être »).

> Les didascalies donnent des indications précieuses de mise en scène. Iphicrate est obligé de retenir sa colère. Malgré son ressentiment, il se montre encore plus poli (« Mon cher Arlequin ») : peu sincère, il utilise le langage pour manipuler Arlequin.

> Iphicrate tente une nouvelle stratégie : il essaie de prendre Arlequin par les émotions « ne sais-tu pas que je t'aime ? » : exemple d'un langage peu sincère et manipulateur qui va évoluer au fil de la pièce. A la fin Iphicrate fera à son valet une véritable déclaration d'amitié, qui sera révélatrice du chemin parcouru.

> Arlequin n'est pas dupe des flatteries de son maître. Il qualifie « la langue d'Athènes » de « jargon ». Tout l'enjeu de la pièce n'est pas d'inverser l'ordre social, mais de retrouver un langage sincère, les uns avec les autres.

II. La mise en scène d'une inversion des rôles

b) Un basculement qui s'opère sous nos yeux

> L'inversion des rôles est progressive. D'abord le maître ordonne : « marchons », puis est obligé d'utiliser des formules de politesse : « Je t'en prie ». Pour l'instant, Arlequin ne s'oppose pas directement à son maître, il donne un prétexte : (jambes engourdies) : ce n'est pas un refus frontal.

> Arlequin devient de plus en plus insolent. Il reprend les mots de son maître en improvisant une chanson. « L'embarquement » devient même le thème de la chanson.

> Arlequin se moque de son ancien maître qu'il appelle « mon cher Arlequin ». Il lui renvoie : « Mon cher patron ».

> « Ne sais-tu pas que je t'aime ? » : question rhétorique. Arlequin est obligé de répondre « oui », mais il s'oppose immédiatement de façon beaucoup plus forte avec le lien logique d'opposition (« mais ») « mal placé ».

> La colère d'Iphicrate (« Esclave insolent ! ») est une dernière tentative pour reprendre le dessus et garder Arlequin dans sa position subordonnée, mais les rôles ont définitivement été abolis : le présent est toujours associé à la tournure négative (« je n'entends plus », « n'es-tu plus ») qui fait écho au passé composé (« je l'ai été »). Désormais, Arlequin est libre. Pour la première fois, il se met à tutoyer son maître (« ta honte », « je te le pardonne ») : les rôles ne sont pas encore intervertis, mais ils sont déjà complètement remis en cause.

> Le discours final d'Arlequin repose sur des effets de contraste : les maîtres (« ceux qui te ressemblent ») sont opposés aux esclaves (« mes camarades »), notamment à travers les pronoms personnels de P1 et de P2. Les mêmes mots sont répétés dans des contextes opposés : « tu étais le plus fort » > « plus fort que toi » // « ton esclave » > « esclave à ton tour ». Ce jeu d'opposition entérine le basculement des rôles.

c) Une expérimentation par le théâtre

Une expérimentation qui utilise les ressources de la représentation du théâtre

> Iphicrate répète ses ordres à l'impératif (« marchons », avançons »), mais Arlequin n'obéit plus (« J'ai les jambes si engourdies ») ; > La réflexion sociale passe par le jeu des acteurs et la mise en scène (expérimentation théâtrale).

> « Iphicrate, retenant sa colère : Mais je ne te comprends point, mon cher Arlequin » : Le jeu d'acteur est particulièrement intéressant à ce moment là car l'attitude du personnage rentre en contraste avec ses paroles. Le théâtre est comme un laboratoire qui permet d'observer les réactions des personnages. Ce basculement des rôles est une véritable expérimentation théâtrale.

> thème du valet battu récurent au théâtre, notamment dans la farce. Marivaux utilise des ressorts comiques bien connus des spectateurs pour mener sa réflexion sur la société. La société est un théâtre et la scène ressemble à un laboratoire social où le dramaturge se contente d'observer l'expérimentation en train de se réaliser.

> « Esclave insolent »... : Moment de rupture. La stagnation de l'intrigue s'accompagne d'une communication impossible (« je n'entends plus »). Les émotions se succèdent : colère (« Esclave insolent ! »), rire (« riant »), sérieux (« d'un air sérieux ») ce qui implique un jeu d'acteurs très vif pour illustrer l'évolution psychologique des personnages : expérimentation théâtrale.

> Les nombreux futurs programment déjà toute la réflexion qui sera illustrée sur scène (« dira », « verrons », « penseras », « auras », « seras », « sauras ») : Prolepse (annonce de la suite de la pièce. Le conditionnel (« Tout en irait mieux ») ouvre le champ des possibles et de la fiction. Nous allons assister à une véritable « leçon » magistrale ». Pour Marivaux, le théâtre est un espace où l'on peut faire vivre des exemples, une véritable expérimentation morale.

III. Une réflexion philosophique sur la société

a) Le thème de l'esclavage permet une réflexion critique sur cette société de début de XVIIIème siècle

> Discours assez subversif pour l'époque, où il est admis que la domination est innée, issue de l'hérédité. Certains naissent nobles, d'autres pas. 40 ans plus tard, Beaumarchais fera dire à Figaro : « Vous vous êtes donnés la peine de naître, et rien de plus ! » (1784)

> Au début du XVIIIème siècle, un serviteur pouvait être battu (aucun recours légal à sa défense), mais en même temps, dépendance des maîtres : « Mais j'ai besoin d'eux moi ».

> Le mot « esclave » revient deux fois et Arlequin restitue pour nous le contexte : « la langue d'Athènes ». Scène qui se situe dans l'Antiquité, mais le spectateur reconnaît bien le lieu commun du maître et du valet. Arlequin est immédiatement reconnaissable car c'est un personnage traditionnel de la commedia dell'arte, complètement anachronique avec le monde antique où il est placé. Athènes n'est donc pas à considérer comme un lieu historique, mais plutôt comme le symbole d'une cité organisée et hiérarchisée. Marivaux souligne ainsi qu'il souhaite mener une réflexion sociale complètement atemporelle.

b) Une domination qui repose sur un ordre symbolique

> Si Arlequin change de comportement, ce n'est pas parce que le rapport de force a changé, mais à cause d'une simple parole. La domination est établie dans la loi, qui elle même dépend du lieu « où nous sommes. « C'est l'air du pays qui fait cela » > On dirait que cela repose sur du vent. Arlequin révèle que cette organisation sociale repose en fait uniquement sur une organisation symbolique de la société. Ainsi, le verbe « rembarquer » est quasiment l'équivalent de « reprendre mon autorité ». Le rapport de domination est construit de manière symbolique.

> Depuis le début de la pièce, l'espace géographique symbolise l'espace de domination. Iphicrate veut repartir (« nous nous rembarquerons »). La « chaloupe » représente son seul lien avec son autorité passée.

> Le « gourdin », symbole de l'autorité et du maître, se trouve dans la « chaloupe », symbole de l'ancien monde. On voit bien que le rapport de domination est inscrit de manière symbolique dans l'espace théâtral et dans les accessoires.

> Le verbe psychologique « méconnaître » est intéressant car c'est par lui qu'Arlequin se libère. C'est une parole performative (parole : valeur d'un acte) quand Arlequin dit « je l'ai été » et « je te le pardonne ». On voit donc à quel point les relations entre les personnages sont davantage construites de façon symbolique par les mots que par de véritables rapports de force.

> Le sens des mots semble décidé par celui qui a le plus de pouvoir « tu disais que cela était juste, parce que tu étais le plus fort ».

  1. > Onomastique : Iphicrate signifie étymologiquement « celui qui gouverne par la force » (iphis : force, violence / kratos : pouvoir). Iphicrate n'a plus son gourdin, mais a toujours son épée (« l'épée à la main ») : il pourrait s'en servir pour obliger Arlequin à lui obéir. Tout cela permet donc de montrer que la véritable force se trouve en fait dans les conventions sociales.

c) La mise en place d'un discours moral et philosophique

> Sentiments que les personnages inspirent aux spectateurs (Arlequin insensible : « indifféremment », va presque jusqu'à souhaiter la mort des autres serviteurs de la maison « s'ils sont en vie » // Iphicrate, malgré sa réaction égoïste (« moi j'ai besoin d'eux »), montre en même temps une certaine empathie « un peu ému » > Prépare un discours moral : les personnages qui arrivent sur l'île vont évoluer en bien. Chez Marivaux, le théâtre a un rôle édifiant.

> La colère d'Iphicrate (« Esclave insolent! ») rencontre le rire d'Arlequin (« riant ») : moment comique suivi directement d'un moment plus sérieux (« d'un air sérieux ») avec une réflexion quasi philosophique, au présent de vérité générale (« les hommes ne valent rien »). Tout cela annonce une réplique importante pour la pièce, c'est la dernière réplique de la scène, qui pose enfin tous les enjeux moraux de la pièce.

> A travers cette dernière réplique d'Arlequin, Marivaux aborde des questions philosophiques : la distinction entre l'homme et l'animal, avec des termes très génériques « le monde », « les autres », « ceux qui te ressemblent ». Le mot « animal » est très fort : il indique que l'esclave est totalement déshumanisé. La tournure impersonnelle (« ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres ») pose ainsi une véritable question morale.

> « Quand tu auras soufferts, tu seras plus raisonnable ; tu sauras... » > connaissance empirique.

> Un principe de sagesse émerge déjà (« Quand tu auras souffert, tu seras plus raisonnable ») : Comme chez Molière, ce sont les comportements extrêmes qui empêchent la vie en société (« raisonnable » : raison, tempérance, mesure). Héritage des philosophes des Lumières, pour lesquels la connaissance et la raison sont intimement liés à la vertu. Ce n'est donc pas la révolution mais à la tempérance qu'appelle Marivaux. A la fin de la pièce, les maîtres sont redevenus des maîtres et les esclaves sont redevenus des esclaves, mais tout le monde est devenu plus vertueux. Marivaux tient donc ici davantage un discours de moraliste que de réformateur. Il demande aux maîtres d'avoir un peu plus d'humanité et de ne pas abuser de leur pouvoir. Avec cette pièce il leur dit : prenez garde, votre pouvoir ne repose que sur un consentement. Les esclaves pourraient bien un jour refuser d'obéir, et alors vous n'aurez plus le pouvoir.

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