Œdipe
Commentaire d'oeuvre : Œdipe. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Jackytuning • 20 Janvier 2016 • Commentaire d'oeuvre • 315 Mots (2 Pages) • 934 Vues
Jean-Pierre Vernant, 1972 Texte 1
Comme le personnage tragique se constitue dans la distance qui sépare daimôn de êthos, la culpabilité tragique s'établit entre l'ancienne conception religieuse de la faute-souillure, de l’hamartía, maladie de l'esprit, délire envoyé par les dieux, engendrant nécessairement le crime, et la conception nouvelle où le coupable, hamarton et surtout adikôn, est défini comme celui qui, sans y être contraint, a choisi délibérément de commettre un délit1. En s'efforçant de distinguer des catégories de faute relevant de tribunaux différents, le φόνός δίκαιος, ἀκούσιος, ἑκούσιος — même s'il le fait encore de façon maladroite et hésitante —, le droit met l'accent sur les notions d'intention et de responsabilité ; il soulève le problème des degrés d'engagement de l'agent dans ses actes. D'autre part, dans le cadre d'une cité où tous les citoyens dirigent, au terme de discussions publiques, de caractère profane, les affaires de l'État, l'homme commence à s'expérimenter lui- même en tant qu'agent, plus ou moins autonome par rapport aux forces religieuses qui dominent l'univers, plus ou moins maître de ses actes, ayant plus ou moins prise, par sa gnômê, sa phrônesis, sur son destin politique et personnel. Cette expérience, encore flottante et indécise de ce qui sera dans l'histoire psychologique de l'homme occidental la catégorie de la volonté (on sait qu'il n'y a pas en Grèce ancienne de véritable vocabulaire du vouloir), s'exprime dans la tragédie sous forme d'une interrogation anxieuse concernant les rapports de l'agent à ses actes : dans quelle mesure l'homme est-il réellement la source de ses actions ? Alors même qu'il en délibère dans son for intérieur, qu'il en prend l'initiative, qu'il en assume la responsabilité, n'ont-elles pas ailleurs qu'en lui leur véritable origine ? Leur signification ne demeure-t-elle pas opaque à celui qui les commet, les actes tirant leur réalité, non des intentions de l'agent, mais de l'ordre général du monde auquel seuls les dieux président.
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